« Le saint patron des traducteurs », me répond-on.
Le saint patron des traducteurs ! Sur-le-champ mes yeux se remplissent de larmes.
Nous sommes le 9 octobre 2004, la ville s’appelle Oshakan, et l’Arménie est, à ma connaissance, le seul lieu au monde qui déclare fête nationale et célèbre en grand style le jour du saint patron des traducteurs, saint Mesrob. Outre qu’il a inventé l’alphabet arménien (la langue existait déjà, mais seulement sous forme orale), il a consacré sa vie à transmettre dans sa langue maternelle les textes les plus importants de son époque – qui étaient écrits en grec, en persan, ou en cyrillique. Lui et ses disciples se sont consacrés à la tâche gigantesque de traduire la Bible et les principaux classiques de la littérature de son temps. Dès lors, la culture du pays a acquis son identité propre, qui s’est maintenue jusqu’à nos jours.
Le saint patron des traducteurs. Je tiens la fleur dans la main, je pense à toutes les personnes que je n’ai jamais rencontrées et que je n’aurai peut-être jamais l’occasion de connaître, mais qui en ce moment ont mes livres en main, essayant de donner le meilleur d’elles-mêmes pour rendre fidèlement ce que j’ai voulu partager avec mes lecteurs. Mais je pense surtout à mon beau-père, Christiano Monteiro Oiticica, profession : traducteur. Aujourd’hui, en compagnie des anges et de saint Mes-rob, il assiste à cette scène. Je me souviens de lui collé à sa vieille machine à écrire, se plaignant très souvent que son travail fût mal payé (ce qui est malheureusement encore vrai de nos jours). Aussitôt après, il expliquait que la vraie raison pour laquelle il poursuivait cette tâche était son enthousiasme de partager un savoir qui, sans les traducteurs, n’arriverait jamais jusqu’à son peuple.
Je fais une prière silencieuse pour lui, pour tous ceux qui ont traduit mes livres, et pour ceux qui m’ont permis de lire des œuvres auxquelles je n’aurais jamais eu accès, m’aidant ainsi – anonymement – à former ma vie et mon caractère. En sortant de l’église, je vois des enfants dessinant l’alphabet, des sucreries en forme de lettres, des fleurs, et encore des fleurs.
Quand l’homme a montré son arrogance, Dieu a détruit la tour de Babel et tous se sont mis à parler des langues différentes. Mais dans Son infinie bienveillance, Il a créé également une sorte de gens qui allaient reconstruire ces ponts, permettre le dialogue et la diffusion de la pensée humaine. Cet homme (ou cette femme) dont nous nous donnons rarement la peine de connaître le nom quand nous ouvrons un livre étranger : le traducteur.
Bouger, c’est vivre
Je suis à une fête de la Saint Jean, avec petites baraques, tir à l’arc, nourriture simple. La seule chose curieuse, c’est que, d’un certain angle de la rue aux maisons à deux étages, nous pouvons voir les édifices les plus hauts du monde, la fête paysanne se passe en plein New York.
Soudain, un clown se met à imiter tous mes gestes. Les gens rient, et moi aussi je m’amuse. À la fin, je l’invite à prendre un café.
« Engagez-vous dans la vie », dit le clown. « Si vous êtes vivant, vous devez secouer les bras, sauter, faire du bruit, rire et parler aux gens, parce que la vie est exactement l’opposé de la mort.
« Mourir, c’est rester toujours dans la même position. Si vous êtes très calme, vous ne vivez pas. »
Le rat et les livres
Alors que j’étais interné à la maison de santé du Dr Eiras, je me suis mis à avoir des crises de panique. Un jour, j’ai décidé de consulter le psychiatre chargé de mon cas :
« Docteur, je suis sous l’emprise de la peur. Cela me retire la joie de vivre.
— Ici, dans mon cabinet, il y a un petit rat qui mange mes livres », a dit le médecin. « Si ce rat me met au désespoir, il va se cacher et je ne ferai rien d’autre dans la vie que le chasser. Alors, je mets les livres les plus importants en lieu sûr, et je le laisse en ronger quelques autres.
« Ainsi, il reste un petit rat, et il ne devient pas un monstre. Ayez peur de certaines choses, et concentrez toute votre peur sur elles – et vous aurez du courage pour le reste. »
9.
Une place au paradis
Il y a des années, vivaient dans le Nordeste du Brésil un homme et une femme très pauvres, dont le seul bien était une poule. Grâce aux œufs qu’elle pondait, ils parvenaient péniblement à survivre.
Mais voilà que, la veille de Noël, la poule mourut. Le mari, qui n’avait que quelques centimes, bien insuffisants pour acheter de la nourriture pour le repas de ce soir-là, alla chercher de l’aide auprès du curé du village.
Pour toute aide, le prêtre déclara simplement :
« S’il ferme une porte, Dieu ouvre une fenêtre. Vu que, avec votre argent, vous n’aurez presque rien, allez au marché et achetez la première chose que l’on vous offrira. Je bénis cet achat et, comme Noël est le jour des miracles, quelque chose va se passer, qui va changer votre vie pour toujours. »
L’homme n’était pas certain que ce fût la meilleure solution, il se rendit cependant au marché ; le voyant errer sans but, un commerçant lui demanda ce qu’il cherchait.
« Je ne sais pas. J’ai très peu d’argent, et le curé m’a dit d’acheter la première chose que l’on m’offrirait. »
Le commerçant, bien que richissime, ne manquait jamais une occasion de faire du profit. Il s’empara immédiatement des pièces que tenait l’homme, griffonna quelques mots sur un bout de papier et le lui tendit.
« Le curé a eu raison ! Comme j’ai toujours été bon, en ce jour de fête, je vous vends ma place au paradis ! Voici le contrat ! »
L’homme prit le papier et s’éloigna, tandis que le commerçant se sentait très fier d’avoir fait encore une excellente affaire. Le soir, alors qu’il se préparait pour le souper dans sa maison remplie de domestiques, il raconta l’histoire à sa femme, ajoutant que c’était grâce à sa faculté de raisonner rapidement qu’il avait réussi à devenir très riche.
« C’est une honte ! s’exclama la femme. Agir ainsi le jour de la naissance de Jésus ! Va chez cet homme et reprends ce papier, ou bien tu ne remettras pas les pieds ici ! »
Effrayé par la fureur de son épouse, le commerçant se résolut à lui obéir. Après qu’il eut beaucoup cherché, il trouva enfin la maison de l’homme. Lorsqu’il entra, il vit le couple assis devant une table vide, le papier au milieu.
« Je suis venu jusqu’ici parce que j’ai commis une erreur, dit-il. Voici votre argent, rendez-moi ce que je vous ai vendu.
— Vous n’avez pas commis d’erreur, rétorqua le pauvre. J’ai suivi le conseil du prêtre, et je sais que ce papier est béni.
— Ce n’est qu’un bout de papier : personne ne peut vendre sa place au paradis ! Si vous le voulez, je vous en donne le double. »
Mais le pauvre ne voulait pas vendre, car il croyait aux miracles. Petit à petit, le commerçant fit monter son offre, qui atteignit la somme de dix pièces d’or.
« Cela ne m’avancera pas, dit le pauvre. Je dois donner à ma femme une vie plus digne, et pour cela cent pièces d’or sont nécessaires. Voilà le miracle que j’attends en cette nuit de Noël. »
Désespéré, sachant que s’il s’attardait davantage, personne chez lui ne dînerait ni n’assisterait à la messe de minuit, le commerçant paya finalement les cent pièces d’or et reprit le bout de papier. Pour le couple pauvre, le miracle s’était réalisé. Quant au commerçant, il avait fait ce que sa femme lui avait demandé. Mais l’épouse se mit à douter : n’avait-elle pas été trop dure avec son mari ?