« Si Dieu aide le renard, il m’aidera aussi », réfléchit l’homme. Il rentra chez lui, s’enferma, et attendit que les Cieux lui donnent à manger.
Rien ne se passa. Alors qu’il était trop faible pour sortir et travailler, un ange apparut.
« Pourquoi as-tu décidé d’imiter le renard estropié ? demanda l’ange. Lève-toi, prends tes outils, et suis le chemin du tigre ! »
Quelqu’un aurait su la différence
Un père emmenait ses deux garçons jouer au minigolf. A la caisse, il demanda le prix de l’entrée.
« Cinq euros pour les adultes, trois pour les plus de six ans. Pour les moins de six ans, c’est gratuit.
— L’un a trois ans, l’autre sept. Je paie pour l’aîné.
— Vous êtes stupide, dit le caissier. Vous auriez pu économiser trois euros en disant que l’aîné avait moins de six ans ; je n’aurais jamais su la différence.
— Peut-être, mais les petits auraient su. Et le mauvais exemple serait gravé pour toujours. »
Le condamné à mort
Le groupe passa dans la rue : les soldats emmenaient un condamné à la potence.
« Cet homme n’était bon à rien, déclara un disciple à Awas-el Salam. Une fois, je lui ai donné une pièce d’argent pour l’aider à sortir de la misère, et il n’a rien fait d’important.
— Il n’était peut-être bon à rien, mais il se peut que maintenant il marche vers la potence à cause de toi. Il est possible qu’il ait utilisé l’argent que tu lui as donné pour acheter un poignard qu’il a finalement utilisé pour commettre le crime ; alors, toi aussi tu as du sang sur les mains. Au lieu de chercher à le soutenir avec amour et tendresse, tu as préféré lui donner l’aumône et te libérer de ton devoir.
12.
Un jour quelconque de 2006
Aujourd’hui il pleut beaucoup, et la température est proche de 3 °C. J’ai décidé de marcher – je pense que si je ne marche pas tous les jours, je ne travaille pas bien – mais le vent est fort aussi, et je suis retourné à la voiture au bout de dix minutes. J’ai pris le journal dans la boîte aux lettres, rien d’important – excepté les choses dont les journalistes ont décidé que nous devions les connaître, les suivre, prendre position à leur sujet.
Je vais lire sur l’ordinateur les messages électroniques.
Rien de nouveau, quelques décisions sans importance, que je prends en peu de temps.
J’essaie un peu l’arc et la flèche, mais le vent continue de souffler, c’est impossible. J’ai déjà écrit mon livre bisannuel, Le Zahir, et il a été publié. J’ai écrit les colonnes que je publie sur Internet. J’ai fait le bulletin de ma page sur le Web. Je me suis fait faire un check-up de l’estomac, heureusement on n’a détecté aucune anomalie (on m’avait inquiété avec cette histoire de tube qui entre par la bouche, mais ce n’est rien de terrible). Je suis allé chez le dentiste. Les billets pour le prochain voyage en avion, qui tardaient, sont arrivés par courrier exprès. Il y a des choses que je dois faire demain, et des choses que j’ai fini de faire hier, mais aujourd’hui...
Aujourd’hui je n’ai absolument rien sur quoi concentrer mon attention.
Je suis effrayé : ne devrais-je pas faire quelque chose ? Bon, si je veux m’inventer du travail, ce n’est pas difficile – on a toujours des projets à développer, des lampes à remplacer, des feuilles mortes à balayer, le rangement des livres, l’organisation des archives de l’ordinateur, etc. Mais pourquoi ne pas envisager le vide total ?
Je mets un bonnet, un vêtement chaud, un manteau imperméable -ainsi, je parviendrai à résister au froid les quatre ou cinq heures à venir et je sors dans le jardin. Je m’assieds sur l’herbe mouillée, et je commence à faire mentalement la liste de ce qui me passe par la tête :
A] Je suis inutile. Tout le monde en ce moment est occupé, travaillant dur.
Réponse : moi aussi je travaille dur, parfois douze heures par jour. Aujourd’hui, il se trouve que je n’ai rien à faire.
B] Je n’ai pas d’amis. Moi qui suis l’un des écrivains les plus célèbres du monde, je suis seul ici, et le téléphone ne sonne pas.
Réponse : bien sûr, j’ai des amis. Mais ils savent respecter mon besoin d’isolement quand je suis dans mon vieux moulin à Saint-Martin, en France.
C] Je dois sortir pour acheter de la colle.
Oui, je viens de me rappeler qu’hier il manquait de la colle, pourquoi ne pas prendre la voiture et aller jusqu’à la ville la plus proche ? Et sur cette pensée, je m’arrête. Pourquoi est-il si difficile de rester comme je suis maintenant, à ne rien faire ?
Une série de pensées me traverse l’esprit. Des amis qui s’inquiètent pour des choses qui ne sont pas encore arrivées, des connaissances qui savent remplir chaque minute de leur vie avec des tâches qui me paraissent absurdes, des conversations qui n’ont pas de sens, de longs coups de téléphone pour ne rien dire d’important. Des chefs qui inventent du travail pour justifier leur fonction, des fonctionnaires qui ont peur parce qu’on ne leur a rien donné d’important à faire ce jour-là et que cela peut signifier qu’ils ne sont déjà plus utiles, des mères qui se torturent parce que les enfants sont sortis, des étudiants qui se torturent pour leurs études, leurs épreuves, leurs examens.
Je mène un long et difficile combat contre moi-même pour ne pas me lever et aller jusqu’à la papeterie acheter la colle qui manque. L’angoisse est immense, mais je suis décidé à rester ici, sans rien faire, au moins quelques heures. Peu à peu, l’anxiété cède la place à la contemplation, et je commence à écouter mon âme. Elle avait une envie folle de causer avec moi, mais je suis tout le temps occupé.
Le vent continue de souffler très fort, je sais qu’il fait froid, qu’il pleut, et que demain je devrai peut-être acheter de la colle. Je ne fais rien, et je fais la chose la plus importante dans la vie d’un homme : j’écoute ce que j’avais besoin d’entendre de moi-même.
13.
Comme un fleuve qui coule
« Un fleuve ne passe jamais deux fois au même endroit », dit un philosophe. « La vie est comme un fleuve », dit un autre philosophe, et nous arrivons à la conclusion que cette métaphore est ce qui se rapproche le plus de la signification de la vie. Par conséquent, il est bon de nous rappeler ceci toute l’année :
— Nous sommes toujours devant la première fois. Pendant que nous nous déplaçons entre notre source (la naissance) et notre destination (la mort), les paysages changent sans cesse. Nous devons envisager toutes les nouveautés avec joie et sans crainte – il est inutile de redouter ce qui ne peut être évité. Un fleuve ne cesse jamais de couler.
— Dans une vallée, nous avançons plus lentement. Quand autour de nous tout est plus facile, les eaux se calment, et nous devenons plus amples, plus larges, plus généreux.
— Nos rives sont toujours fertiles. La végétation pousse seulement là où il y a de l’eau. Celui qui entre en contact avec nous doit comprendre que nous sommes là pour donner à boire à celui qui a soif.
— Les pierres doivent être contournées. Evidemment, l’eau est plus puissante que le granit, mais pour cela il faut du temps. Il n’avance à rien de nous laisser dominer par des obstacles plus forts que nous, ou de tenter de nous jeter contre eux ; nous dépenserions notre énergie inutilement. Mieux vaut comprendre où se trouve l’issue, et aller de l’avant.
E] Les dépressions nécessitent de la patience. Le fleuve entre brusquement dans une sorte de trou et cesse de couler aussi joyeusement qu’auparavant. Alors, le seul moyen d’en sortir est de compter sur l’aide du temps. Quand arrive le bon moment, la dépression se remplit et l’eau peut poursuivre son cours. A la place du trou laid et sans vie, se trouve