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La rencontre de 2005 contenait tout ce qui se pouvait espérer, surtout des discussions passionnées, avec des moments de joie et de confrontation. Presque tous les invités sont retournés dans leurs pays respectifs le dimanche soir  ; mais comme le lendemain les organisateurs et moi allions participer à l’inauguration de la partie autrichienne du Chemin de Saint-Jacques et devions passer la nuit dans l’abbaye, le père Martin nous a invités à dîner dans son «  lieu secret  ».

Nous sommes descendus, tout excités, jusqu’aux souterrains du vieil édifice. Une porte ancienne s’est ouverte, et nous nous sommes trouvés dans une gigantesque salle, dans laquelle il y avait tout   – ou pratiquement tout   – ce qui avait été accumulé au long des siècles, et que Martin se refusait à jeter. De vieilles machines à écrire, des skis, des casques de la Seconde Guerre mondiale, des outils d’autrefois, des livres qui ne sont plus en circulation, et... des bouteilles de vin  ! Des dizaines, des centaines, de bouteilles de vins recouvertes de poussière, parmi lesquelles, à mesure que le dîner se déroulait, l’abbé Burkhard, qui nous accompagnait, choisissait ce qu’il y avait de meilleur. Je considère Burkhard comme l’un de mes mentors en matière de spiritualité, bien que nous n’ayons jamais échangé plus de deux phrases (il ne parle qu’allemand). Ses yeux expriment la bonté, son sourire manifeste une immense compassion. Je me souviens qu’un jour, chargé de me présenter dans une conférence, il a choisi, à la surprise générale, une citation de mon livre Onze Minutes (qui traite de sexe et de prostitution).

Tout en mangeant, j’avais pleinement conscience d’être en train de vivre un moment unique, dans un lieu unique. Soudain, j’ai constaté quelque chose de très important  : tous ces objets dans la cave étaient rangés, avaient un sens, faisaient partie du passé, mais complétaient l’histoire du présent.

Et je me suis demandé ce qui, dans mon passé, est rangé, mais que je n’utilise plus.

Mes expériences font partie de mon quotidien, elles ne sont pas à la cave, mais continuent à agir et à m’aider. Alors, parler d’expérience, ce serait une mauvaise idée. Quelle serait la bonne réponse  ?

Mes erreurs.

Oui. Regardant la cave de l’abbaye de Melk, comprenant que l’on ne doit pas se débarrasser de tout ce qui n’a plus d’usage, j’ai compris que dans la cave de mon âme se trouvaient mes erreurs. Un jour, elles m’ont aidé à trouver le chemin, mais à présent que j’en ai pris conscience, elles n’ont plus aucune utilité. Cependant, elles doivent m’accompagner, pour que je n’oublie pas qu’à cause d’elles j’ai glissé, je suis tombé, et que c’est à peine si j’ai eu la force de me relever.

Cette nuit-là, en regagnant ma cellule dans le cloître, j’ai fait une liste. Voici deux exemples  :

—  L’arrogance de la jeunesse. Chaque fois que je me suis rebellé, je cherchais un nouveau chemin, et c’était positif. Mais chaque fois que je me suis montré arrogant, pensant que les aînés ne savaient rien, il y a beaucoup de choses que je n’ai pas apprises.

—  L’oubli des amis. J’ai eu souvent des hauts et des bas. Mais lors de mon premier «  haut  », j’ai cru que j’avais changé de vie et j’ai décidé de m’entourer de gens nouveaux. Bien sûr, dans la chute qui a suivi, les derniers arrivants ont disparu, et je ne pouvais plus recourir à mes anciens compagnons. Depuis lors, je m’efforce de conserver l’amitié comme quelque chose qui ne change pas avec le temps.

La liste est immense, mais l’espace de l’article est limité. Cependant, bien que mes erreurs m’aient déjà enseigné tout ce qu’il me fallait apprendre d’elles, il est important qu’elles demeurent dans la cave de mon âme. Ainsi, quand de temps en temps je descendrai y chercher le vin de la sagesse, je pourrai les contempler, accepter qu’elles font partie de mon histoire, qu’elles se trouvent dans les fondations de ma personnalité d’aujourd’hui, et que je dois les porter en moi   – aussi bien rangées (ou résolues) soient-elles.

Sinon, je cours le risque de tout répéter de nouveau.

Dans la retraite du cœur

Quelques jours après avoir écrit le texte qui précède et l’avoir envoyé en Autriche, j’ai reçu une lettre de l’abbé Dr Burkhard Ellegast, OSB. Voici une partie de ses réflexions  :

«  Il nous arrive très souvent de nous demander  : comment cela nous est-il arrivé  ? Soudain, je me suis vu entouré de gens qui étaient prêts à réfléchir sur le sens de la vie. Qu’aurais-je pu dire à ces personnes, s’il ne m’est rien arrivé d’autre dans l’existence qu’entrer dans un couvent encore jeune, et plus tard être chargé de diriger cette abbaye pendant 26 ans  ?

«  Je pense que les gens me regardaient comme si j’avais une réponse pour tout. Mais j’ai décidé simplement de parler un peu de moi. De dire que ma foi est capable de me maintenir en vie, avec l’enthousiasme d’aller de l’avant malgré des moments de pessimisme. Alors j’ai expliqué ma devise  : si je fais un faux pas et que je suis entraîné au fond, cela ne se passera jamais d’une manière discrète. Tout le monde me verra crier, donner des coups de pied, agiter des drapeaux, ainsi pourrai-je alerter ceux qui viendront.

«  À cause de cette devise, je sais que j’entraînerai difficilement d’autres personnes avec moi dans mes erreurs, par conséquent je parviens à dominer ma peur et je me risque à mener ma barque dans des eaux inconnues. Je sais, bien sûr, que si je commence à me noyer malgré le bruit que je ferai, je pourrai encore lever la main et prier Dieu de venir à mon secours  ! Je serai très certainement entendu, et un nouveau chemin s’ouvrira.

«  Dans son article, Paulo Cœlho déclare qu’il a été surpris de constater que je le présentais en me servant d’un texte de son livre Onze Minutes. Je rapportais un passage du journal du personnage principal, dans lequel elle raconte l’histoire d’un bel oiseau qui lui rendait souvent visite. Elle l’admirait tellement qu’un jour, elle décida de l’enfermer dans une cage pour avoir toujours auprès d’elle sa beauté et son chant. Les jours passant, elle s’habitua à sa nouvelle compagnie, et elle perdit l’éblouissement qu’était l’attente de cette âme libre qui lui rendait visite de temps en temps, sans aucune contrainte. Quant à l’oiseau, ne pouvant chanter en captivité, il finit par mourir. Alors seulement elle comprit que l’amour avait besoin de liberté pour exprimer tout son charme   – bien que la liberté supposât des risques.

«  Nous avons tendance à rechercher la prison car nous sommes habitués à voir dans la liberté quelque chose qui n’a pas de frontières et n’engage pas de responsabilités. C’est pourquoi nous finissons également par essayer de réduire en esclavage tous ceux que nous aimons -comme si l’égoïsme était la seule façon de maintenir notre monde en équilibre. L’amour ne limite pas, il élargit notre horizon. Nous pouvons voir clairement ce qui est dehors, et nous nous pouvons voir encore plus clairement les lieux obscurs de notre cœur.

«  Bien que je ne parle pas anglais, je comprenais tout ce que disaient les yeux et les gestes de Cœlho. Je me rappelle le moment où il m’a demandé, par l’intermédiaire de l’une des personnes présentes, ce qu’il devait faire maintenant. J’ai alors répondu  : «  Continuez à chercher.

« «  Et quand vous aurez trouvé, continuez pourtant à chercher encore, avec enthousiasme et curiosité. Malgré les erreurs qui seront éventuellement commises, l’amour est le plus fort, laissez l’oiseau voler en liberté, et non seulement chaque pas sera un mouvement en avant, mais il contiendra en soi tout un nouveau chemin.  »  »