«Ils se comportent comme s’ils avaient honte de montrer qu’ils s’aiment », a-t-il déclaré pour tout commentaire.
Une autre fille nous regardait fixement ; elle devait avoir la moitié de notre âge. Petrus a levé son verre de vin et porté un toast. La gamine a ri, un peu gênée, et elle a fait un geste pour indiquer ses parents, s’excusant presque de ne pas s’approcher davantage.
«Ça, c’est le beau côté de l’amour, a-t-il dit. L’amour qui défie, l’amour pour deux étrangers plus âgés qui sont venus de loin et demain partiront sur un chemin qu’elle aussi aimerait parcourir. L’amour qui préfère l’aventure. »
Puis il a continué, désignant un couple de vieux :
«Regarde ces deux-là. Ils ne sont pas laissés gagner par l’hypocrisie, comme beaucoup d’autres. Apparemment ce doit être un couple de paysans : la faim et le besoin les ont obligés à surmonter ensemble bien des difficultés. Ils ont découvert l’amour à travers le travail, c’est là qu’Eros montre son plus beau visage, connu également comme Philos.
— Qu’est-ce que Philos ?
— Philos est l’Amour sous la forme de l’amitié. C’est ce que je ressens pour toi et pour d’autres. Quand la flamme d’Eros cesse de briller, c’est Philos qui maintient les couples unis.
— Et Agapè ?
— Agapè est l’amour total, l’amour qui dévore celui qui l’éprouve. Celui qui connaît et éprouve Agapè voit que rien d’autre qu’aimer n’a d’importance en ce monde. C’est l’amour que Jésus a ressenti pour l’humanité, et il fut si grand qu’il a ébranlé les étoiles et changé le cours de l’histoire humaine.
Pendant les millénaires de l’histoire de la civilisation, beaucoup de gens ont été pris par cet Amour qui dévore. Ils avaient tant à donner, et le monde exigeait si peu, qu’ils furent obligés de chercher les déserts et les lieux isolés, car l’amour était si grand qu’il les transfigurait. Ils sont devenus les saints ermites que nous connaissons aujourd’hui.
Pour moi et pour toi, qui éprouvons une autre forme d’Agapè, la vie ici-bas peut paraître dure, terrible. Mais l’Amour qui dévore fait perdre à tout son importance : ces hommes vivent seulement pour être consumés par leur amour. «
Il a fait une pause.
«Agapè est l’Amour qui dévore, a-t-il répété, comme si cette phrase était la meilleure définition de cette étrange sorte d’amour. Luther King a dit un jour que quand le Christ a parlé d’aimer ses ennemis, il se référait à Agapè. Parce que, selon lui, il était « impossible d’aimer nos ennemis, ceux qui nous font du mal et qui tentent de tenir notre souffrance quotidienne pour peu de choses »
Mais Agapè est beaucoup plus que l’amour. C’est un sentiment qui envahit tout, qui remplit toutes les brèches et transforme en poussière toute tentative d’agression.
Il y a deux formes d’Agapè. L’une est l’isolement, la vie consacrée à la seule contemplation. L’autre est exactement le contraire : le contact avec les autres êtres humains, et l’enthousiasme, le sens sacré du travail.
Enthousiasme signifie transe, ravissement, relation à Dieu. L’enthousiasme c’est Agapè dirigé vers une idée, un objet.
Quand nous aimons et croyons du fond de notre âme en quelque chose, nous nous sentons plus fort que le monde, et nous sommes saisis d’une sérénité qui vient de la certitude que rien ne pourra vaincre notre foi. Cette force étrange fait que nous prenons toujours les bonnes décisions au moment voulu, et quand nous atteignons notre objectif, nous sommes surpris de nos propres capacités.
L’enthousiasme se manifeste normalement de toute sa puissance dans les premières années de notre vie. Nous avons encore un lien très fort avec la divinité, et nous nous attachons avec tant d’énergie à nos jouets que les poupées prennent vie et que les petits soldats de plomb parviennent à se mettre en marche. Quand Jésus a dit que le royaume des Cieux appartenait aux enfants, il faisait allusion à Agapè sous la forme de l’Enthousiasme. Les enfants sont venus à lui sans se mêler de ses miracles, de sa sagesse, des pharisiens et des apôtres. Ils venaient heureux, inspirés par l’enthousiasme.
À aucun moment, jusqu’à la fin de cette année et pour le restant de tes jours, tu ne dois perdre l’enthousiasme : il est une force supérieure, tournée vers la victoire finale. Il ne peut pas nous glisser entre les doigts seulement parce que nous sommes confrontés, au cours des mois, à de petites et nécessaires défaites. «
6.
La recherche de la simplicité
Le tout dans tout
Quand Ketu atteignit l’âge de douze ans, on l’envoya chez un maître, auprès duquel il étudia jusqu’à ce qu’il eût vingt-quatre ans. Son apprentissage terminé, il rentra à la maison plein de fierté.
Son père lui dit alors :
«Comment pouvons-nous connaître ce que nous ne voyons pas ? Comment pouvons-nous savoir que Dieu, le Tout-Puissant, se trouve partout ? »
Le garçon commença à réciter les écritures saintes, mais le père l’interrompit :
«C’est trop compliqué ; n’aurions-nous pas un moyen plus simple pour nous renseigner sur l’existence de Dieu ?
— Pas que je sache, mon père. Aujourd’hui, je suis un homme cultivé et j’ai besoin de cette culture pour expliquer les mystères de la sagesse divine.
— J’ai perdu mon temps et mon argent en envoyant mon fils au monastère ! », protesta le père.
Et prenant Ketu par la main, il l’emmena à la cuisine. Là, il remplit une bassine d’eau et y mêla un peu de sel. Puis ils sortirent se promener en ville.
Quand ils furent de retour à la maison, le père demanda à Ketu : «Apporte le sel que j’ai mis dans la bassine. »
Ketu chercha le sel, mais il ne le trouva pas, car il s’était déjà dissous dans l’eau.
«Alors, tu ne vois plus le sel ? interrogea le père.
— Non, le sel est invisible.
— Alors, goûte un peu l’eau qui est la surface de la bassine. Comment est-elle ?
— Salée.
— Goûte un peu l’eau du milieu : comment est-elle ?
— Aussi salée que celle de la surface.
— Maintenant, goûte l’eau du fond de la bassine, et dis-moi quel goût elle a. »
Ketu goûta, et l’eau avait toujours le même goût.
Tu as étudié pendant des années et tu ne peux pas expliquer simplement comment le Dieu invisible se trouve partout, dit le père. En me servant d’une bassine d’eau et en appelant Dieu « sel », je pourrais faire comprendre cela à n’importe quel paysan. S’il te plaît, mon fils, oublie la sagesse qui nous éloigne des hommes, et remets-toi à chercher l’Inspiration qui nous rapproche.
Utiliser les deux poches
Un disciple fit observer au rabbin Bounam, de Pssiskhe :
«Le monde matériel paraît étouffer le monde spirituel.
— Ton pantalon a deux poches, dit Bounam. Ecris sur la droite : le monde a été créé seulement pour moi. Sur la poche gauche, écris : je ne suis rien d’autre que poussière et cendres.
Répartis bien ton argent entre ces deux poches. Quand tu verras la misère et l’injustice, rappelle-toi que le monde n’existe que pour que tu puisses manifester ta bonté, et sers-toi de l’argent qui est dans la poche droite. Quand tu seras tenté d’acquérir des choses qui ne te manquent pas du tout, rappelle-toi ce qui est écrit sur ta poche gauche et réfléchis à deux fois avant de le dépenser. Ainsi, le monde matériel n’étouffera jamais le monde spirituel. «
Rendre le champ fertile
Le maître zen chargea le disciple de s’occuper de la rizière.
La première année, le disciple veillait à ce que l’eau nécessaire ne manquât jamais. Le riz poussa vigoureusement, et la récolte fut bonne.