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» Un soir, Trivulce, qui n’avait pas dormi la nuit précédente, s’endormit auprès du tombeau et, lorsqu’il se réveilla, il trouva que l’église était fermée. Il prit aisément le parti d’y passer la nuit, parce qu’il aimait à entretenir sa tristesse et nourrir sa mélancolie. II entendait successivement sonner les heures, et il aurait voulu être à celle de sa mort.

» Enfin minuit sonna. Alors la porte de la sacristie s’ouvrit, et Trivulce vit entrer le sacristain, tenant sa lanterne dans une main et un balai dans l’autre. Mais ce sacristain n’était qu’un squelette. Il avait un peu de peau sur le visage et, comme des yeux fort creux, mais son surplis qui collait sur ses os faisait assez voir qu’il n’avait pas de chair du tout.

» L’affreux sacristain posa sa lanterne sur le maître-autel et alluma les cierges comme pour vêpres. Ensuite il se mit à balayer l’église et épousseter les bancs. Il passa même plusieurs fois près de Trivulce, mais il ne parut point l’apercevoir.

» Enfin il alla à la porte de la sacristie et sonna la petite cloche qui y est toujours. Alors les tombeaux s’ouvrirent, les morts y parurent enveloppés de leurs linceuls, et entonnèrent des litanies sur un ton fort mélancolique.

» Après qu’ils eurent ainsi psalmodié pendant quelque temps, un mort, revêtu d’un surplis et d’une étole, monta sur la chaire et dit :

» – Mes frères, je suis ici pour publier les bans de Thebaldo et de Nina Dei Gieraci ; damné Trivulce, y faites-vous opposition ?

» Mon père interrompit ici le théologien et, se tournant vers moi, il me dit :

» – Mon fils Alphonse, à la place de Trivulce, auriez-vous eu peur ?

» Je lui répondis :

» – Mon cher père, il me semble que j’aurais eu grand-peur.

» Alors mon père se leva, furieux, sauta sur son épée et voulut me la passer au travers du corps. On se mit au-devant de lui, et enfin on l’apaisa un peu.

Cependant, lorsqu’il eut repris sa place, il me lança un regard terrible et me dit :

» – Fils indigne de moi, ta lâcheté déshonore en quelque façon le régiment des Gardes wallonnes, où j’avais l’intention de te faire entrer.

» Après ces durs reproches, qui manquèrent à me faire mourir de honte, il se fit un grand silence. Garcías le rompit le premier et, s’adressant à mon père, il lui dit :

» – Monseigneur, si j’osais dire mon avis à Votre Excellence, ce serait de prouver à Monsieur votre fils qu’il n’y a point de revenants, ni de spectres, ni de morts qui chantent des litanies, et qu’il ne peut y en avoir. De cette manière-là, il n’en aurait sûrement pas peur.

» – Monsieur Hierro, répondit mon père avec un peu d’aigreur, vous oubliez que j’ai eu l’honneur de vous montrer hier une histoire de revenants, écrite de la propre main de mon bisaïeul.

» – Monseigneur, reprit Garcías, je ne donne pas un démenti au bisaïeul de Votre Excellence.

» – Qu’appelez-vous, dit mon père, je ne donne pas un démenti ? Savez-vous que cette expression suppose la possibilité d’un démenti donné par vous à mon bisaïeul ?

» – Monseigneur, dit encore Garcías, je sais bien que je suis trop peu de chose pour que Monseigneur votre bisaïeul voulût tirer aucune satisfaction de moi.

» Alors mon père, prenant un air encore plus terrible, dit :

» – Hierro, que le ciel vous préserve de faire des excuses, car elles supposeraient une offense.

» – Enfin, dit Garcías, il ne me reste plus qu’à me soumettre au châtiment qu’il plaira à Votre Excellence de m’infliger au nom de son bisaïeul, seulement, pour l’honneur de ma profession, je voudrais que cette peine me fût administrée par notre aumônier, pour que je pusse la considérer comme pénitence ecclésiastique.

» – Cette idée n’est point mauvaise, dit alors mon père, d’un ton plus tranquille. Je me rappelle avoir écrit autrefois un petit traité sur les satisfactions admissibles dans les cas où le duel ne pouvait avoir lieu. Laissez-moi y réfléchir.

» Mon père parut d’abord s’occuper de cet objet, mais de réflexion en réflexion, il finit par s’endormir dans son fauteuil. Ma mère dormait déjà, ainsi que le théologien, et Garcias ne tarda pas à suivre leur exemple.

Alors je crus devoir me retirer, et c’est ainsi que s’est passée la première journée de mon retour à la maison paternelle.

» Le lendemain, je fis des armes avec Garcias. J’allai à la chasse. On soupa, et lorsqu’on fut levé de table mon père pria encore le théologien d’aller chercher son gros volume. Le révérend obéit, l’ouvrit au hasard, et lut ce que je vais raconter.

HISTOIRE DE LANDULPHE DE FERRARE

» Dans une ville d’Italie appelée Ferrare, il y avait un jeune homme appelé Landulphe. C’était un libertin sans religion et en horreur à toutes les bonnes âmes qu’il y avait dans ce pays. Ce méchant aimait passionnément le commerce des courtisanes, et il avait fait le tour de toutes celles de la ville, mais aucune ne lui plut autant que Blanca de Rossi, parce qu’elle surpassait toutes les autres en impureté.

» Blanca était non seulement libertine, intéressée, dépravée, mais elle voulait encore que ses amants fissent pour elle des actions qui les déshonoraient, et elle exigea de Landulphe qu’il la conduisît tous les soirs chez lui, et la fît souper avec sa mère et sa sœur.

Landulphe alla aussitôt chez sa mère et lui en fit la proposition, comme de la chose du monde la plus convenable. La bonne mère fondit en larmes et conjura son fils d’avoir égard à la réputation de sa sœur. Landulphe fut sourd à ses prières et promit seulement de tenir la chose aussi secrète qu’il pourrait, puis il alla chez Blanca et la conduisit chez lui.

» La mère et la sœur de Landulphe reçurent la courtisane mieux qu’elle ne méritait. Mais celle-ci voyant leur bonté en redoubla d’insolence ; elle tint à souper des propos très libres, et donna à la sœur de son amant des leçons dont elle se serait bien passée.

Enfin elle lui signifia, ainsi qu’à sa mère, qu’elles feraient bien de s’en aller parce qu’elle voulait rester seule avec Landulphe.

» Le lendemain, la courtisane raconta cette histoire dans toute la ville, et pendant plusieurs jours on ne parla pas d’autre chose. Si bien que le bruit public en informa bientôt Odoardo Zampi, frère de la mère de Landulphe. Odoardo était un homme que l’on n’offensait point impunément. Il crut l’être dans la personne de sa sœur, et fit, dès le même jour, assassiner l’infâme Blanca. Landulphe étant allé voir sa maîtresse, la trouva poignardée et nageant dans son sang. Il apprit bientôt que c’était son oncle qui avait fait le coup.

Il courut chez lui pour l’en punir, mais il le trouva environné des plus braves de la ville, qui se moquèrent de son ressentiment.

» Landulphe, ne sachant sur qui exercer sa fureur, courut chez sa mère, avec l’intention de l’accabler d’outrages. La pauvre femme était avec sa fille, et allait se mettre à table. Lorsqu’elle vit entrer son fils, elle lui demanda si Blanca viendrait souper.

» – Puisse-t-elle venir, dit Landulphe, et te mener en enfer, avec ton frère et toute la famille des Zampi.

» La pauvre mère tomba à genoux et dit :

» – Oh ! mon Dieu ! pardonnez-lui ses blasphèmes.

» Dans ce moment, la porte s’ouvrit avec fracas, et l’on vit entrer un spectre hâve, déchiré de coups de poignard, et conservant néanmoins avec Blanca une affreuse ressemblance.

» La mère et la sœur de Landulphe se mirent en prière, et Dieu leur fit la grâce de pouvoir soutenir ce spectacle sans expirer d’horreur.

» Le fantôme s’avança à pas lents et s’assit à table comme pour souper. Landulphe, avec un courage que le démon seul pouvait inspirer, osa prendre un plat et l’offrir. Le fantôme ouvrit la bouche si grande que sa tête parut se partager en deux, et il en sortit une flamme rougeâtre. Ensuite il avança une main toute brûlée, prit un morceau, l’avala, et on l’entendit tomber sous la table. Il engloutit ainsi tout le plat, et tous les morceaux tombèrent sous la table. Lorsque le plat fut vide, le fantôme, fixant Landulphe avec des yeux épouvantables, lui dit :