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» – Landulphe, quand je soupe ici, j’y couche.

Allons, mets-toi au lit. »

» Ici mon père interrompit l’aumônier et, se tournant de mon côté, il me dit :

» – Mon fils Alphonse, à la place de Landulphe, auriez-vous eu peur ?

» Je lui répondis :

» – Mon cher père, je vous assure que je n’aurais pas eu la plus légère frayeur.

» Mon père parut satisfait de cette réponse et fut très gai pendant tout le reste de la veillée.

» Nos jours se passaient ainsi sans que rien en altérât l’uniformité. Si ce n’est que, dans la belle saison, au lieu de se mettre autour de la cheminée, on s’asseyait sur des bancs qui étaient près de la porte. Six ans entiers se sont écoulés dans cette douce tranquillité, et à présent il me semble que ce soit autant de semaines.

» Lorsque j’eus achevé ma dix-septième année, mon père songea à me faire entrer au régiment des Gardes wallonnes, et en écrivit à ceux de ses anciens camarades sur lesquels il comptait le plus. Ces dignes et respectables militaires réunirent en ma faveur tout ce qu’ils avaient de crédit et obtinrent une commission de capitaine. Quand mon père en reçut la nouvelle, il éprouva un saisissement si vif que l’on craignit pour ses jours. Mais il se rétablit promptement, et il ne songea plus qu’aux préparatifs de mon départ. Il voulut que j’allasse par mer, afin d’entrer en Espagne par Cadix, et me présenter d’abord à Don Henri de Sa, commandant de la province, et qui avait le plus contribué à mon avancement.

» Lorsque la chaise de poste fut déjà tout attelée dans la cour du château, mon père me conduisit dans sa chambre et, après en avoir fermé la porte, il me dit :

» – Mon cher Alphonse, je vais vous confier un secret que je tiens de mon père, et que vous ne confierez qu’à votre fils lorsque vous l’en croirez digne.

» Comme je ne doutais pas qu’il ne s’agît de quelque trésor caché, je répondis que je n’avais jamais regardé l’or que comme un moyen de venir au secours des malheureux.

» Mais mon père me répondit :

» – Non, mon cher Alphonse, il ne s’agit ici ni d’or ni d’argent. Je veux vous enseigner une botte secrète, avec laquelle, en parant au contre et marquant la flanconade, vous êtes sûr de désarmer votre ennemi.

» Alors il prit des fleurets, me montra la botte en question, me donna sa bénédiction et me conduisit à ma voiture. Je baisai encore la main de ma mère et je partis.

» J’allai en poste jusqu’à Flessingue, où je trouvai un vaisseau qui me porta à Cadix. Don Henri de Sa me reçut comme si j’eusse été son propre fils ; il s’occupa de mon équipage et me recommanda deux domestiques dont l’un s’appelait Lopez et l’autre Moschito. De Cadix, j’ai été à Séville, et de Séville à Cordoue, puis je suis venu à Anduhhar, où j’ai pris le chemin de la Sierra Morena.

J’ai eu le malheur d’être séparé de mes domestiques près de l’abreuvoir de Los Alcornoques. Cependant, je suis arrivé le même jour à la Venta Quemada, et, hier au soir, dans votre ermitage.

— Mon cher enfant, me dit l’ermite, votre histoire m’a vivement intéressé, et je vous suis très obligé d’avoir bien voulu me la raconter. Je vois bien à présent que, de la manière dont vous avez été élevé, la peur est un sentiment qui vous doit être tout à fait étranger.

Mais, puisque vous avez couché à la Venta Quemada, je crains bien que vous ne soyez exposé aux obsessions des deux pendus, et que vous n’ayez le triste sort du démoniaque.

— Mon père, répondis-je à l’anachorète, j’ai beaucoup réfléchi cette nuit au récit du seigneur Pascheco.

Bien qu’il ait le diable au corps, il n’en est pas moins gentilhomme et, à ce titre, je le crois incapable de manquer à ce que l’on doit à la vérité. Mais Innigo Velez, aumônier de notre château, m’a dit que, bien qu’il y ait eu des possédés dans les premiers siècles de l’Église, il n’y en avait plus à présent, et son témoignage me paraît d’autant plus respectable que mon père m’a ordonné de croire Innigo sur toutes les matières qui ont rapport à notre religion.

— Mais, dit l’ermite, n’avez-vous pas vu la mine affreuse du possédé, et comme les démons l’ont rendu borgne ?

Je lui répondis :

— Mon père, le seigneur Pascheco peut avoir perdu l’œil d’une autre manière. Au reste, je m’en rapporte sur toutes ces choses à ceux qui en savent plus que moi.

Il me suffit de n’avoir peur ni des revenants, ni des vampires. Cependant, si vous voulez me donner quelque sainte relique pour me préserver de leurs entreprises, je vous promets de la porter avec foi et vénération.

L’ermite me parut sourire un peu de cette naïveté, puis il me dit :

— Je vois, mon cher enfant, que vous avez encore de la foi, mais je crains que vous n’y persistiez pas.

Ces Gomélez, de qui vous descendez par les femmes, sont tous nouveaux chrétiens. Quelques-uns même sont, à ce que l’on dit, musulmans au fond du cœur. S’ils vous offraient une fortune immense pour changer de religion, l’accepteriez-vous ?

— Non, assurément, lui répondis-je. Il me semble que de renoncer à sa religion, ou d’abandonner ses drapeaux, sont deux choses également déshonorantes.

Ici l’ermite parut encore sourire, puis il me dit :

— Je vois avec chagrin que vos vertus reposent sur un point d’honneur beaucoup trop exagéré, et je vous avertis que vous ne trouverez plus Madrid aussi ferraillant qu’il était au temps de votre père. De plus, les vertus ont d’autres principes plus sûrs. Mais je ne veux pas vous arrêter davantage, car vous avez une forte journée à faire avant que d’arriver à la Venta del Pegnon, ou cabaret du rocher. L’hôte y est resté, en dépit des voleurs, parce qu’il compte sur la protection d’une bande de Bohémiens campés dans les environs.

Après-demain, vous arriverez à la Venta de Cardegnas, où vous serez déjà hors de la Sierra Morena. J’ai mis quelques provisions dans les poches de votre selle.

Ayant dit ces choses, l’ermite m’embrassa tendrement, mais il ne me donna point de relique pour me préserver des démons. Je ne voulus plus lui en parler et je montai à cheval.

Chemin faisant, je me mis à réfléchir sur les maximes que je venais d’entendre, ne pouvant concevoir qu’il y eût pour les vertus des bases plus solides que le point d’honneur, qui me semblait comprendre, à lui seul, toutes les vertus. J’étais encore occupé de ces réflexions lorsqu’un cavalier, sortant tout à coup de derrière un rocher, me coupa le chemin et dit :

— Vous appelez-vous Alphonse ?

Je répondis que oui.

— Si cela est, dit le cavalier, je vous arrête, de la part du roi et de la très sainte Inquisition. Rendez-moi votre épée.

J’obéis sans réplique. Alors le cavalier donna un coup de sifflet et, de tous les côtés, je vis des gens armés fondre sur moi. Ils m’attachèrent les mains derrière le dos et nous prîmes dans les montagnes un chemin de traverse qui, au bout d’une heure, nous conduisit à un château très fort. Le pont-levis se baissa et nous entrâmes. Comme nous étions encore sous le donjon, l’on ouvrit une petite porte de côté et l’on me jeta dans un cachot, sans se donner seulement la peine de défaire les liens qui me tenaient garrotté.

La cachot était tout à fait obscur et, n’ayant pas les mains libres pour les mettre devant moi, j’aurais eu de la peine à y marcher sans donner du nez contre les murailles. C’est pourquoi je m’assis à la place où je me trouvais et, comme on l’imagine aisément, je me mis à réfléchir sur ce qui pouvait avoir donné lieu à mon emprisonnement. Ma première, et ma seule idée, fut que l’Inquisition s’était emparée de mes belles cousines et que les négresses avaient dit tout ce qui s’était passé à la Venta Quemada. Dans la supposition que je fusse interrogé sur le compte des belles Africaines, je n’avais que le choix, ou de les trahir, et de manquer à ma parole d’honneur, ou de nier que je les connusse, ce qui m’aurait embarqué dans une suite de honteux mensonges. Après m’être un peu consulté sur le parti que j’avais à prendre, je me décidai pour le silence le plus absolu, et je pris une ferme résolution de ne rien répondre à tous les interrogatoires.