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Émina me répondit :

— Je ne sais ce que vous voulez dire avec votre mouchoir et votre manteau. Il y a des choses que je ne puis vous dire. Il y en a que je ne sais pas moi-même. Je ne fais rien que par les ordres du chef de notre famille, successeur du cheik Massoud, et qui sait tout le secret du Cassar-Gomélez. Tout ce que je puis vous dire, c’est que vous êtes notre très proche parent. L’oidor de Grenade, père de votre mère, avait eu un fils qui fut trouvé digne d’être initié. Il embrassa la religion musulmane, et épousa les quatre filles du dey de Tunis, alors régnant.

La cadette seule eut des enfants et elle est notre mère.

Peu de temps après la naissance de Zibeddé, mon père et ses trois autres femmes moururent dans une contagion qui, à cette époque, désola toute la côte de Barbarie… Mais laissons là toutes ces choses que peut-être vous saurez un jour. Parlons de vous, de la reconnaissance que nous vous devons, ou plutôt de notre admiration pour vos vertus. Avec quelle indifférence vous avez regardé les apprêts du supplice ! Quel respect religieux pour votre parole ! Oui, Alphonse, vous sur-passez tous les héros de notre race, et nous sommes devenues votre bien.

Zibeddé, qui laissait volontiers parler sa sœur lorsque la conversation était sérieuse, reprenait ses droits lorsqu’elle prenait le ton du sentiment. Enfin, je fus flatté, caressé, content de moi-même et des autres.

Puis arrivèrent les négresses ; on donna le souper, et Zoto nous servit lui-même, avec les marques du plus profond respect. Ensuite les négresses firent pour mes cousines un assez bon lit, dans une espèce de grotte.

J’allai me coucher dans une autre, et nous goûtâmes tous un repos dont nous avions besoin.

CINQUIÈME JOURNÉE

Le lendemain, la caravane fut sur pied de bonne heure. Nous descendîmes les montagnes et tournâmes dans de creux vallons, ou plutôt dans des précipices qui semblaient atteindre aux entrailles de la terre. Ils coupaient la chaîne des monts sur tant de directions différentes qu’il était impossible de s’y orienter ni de savoir de quel côté l’on allait.

Nous marchâmes ainsi pendant six heures, et nous arrivâmes aux ruines d’une ville abandonnée et déserte.

Là, Zoto nous fit mettre pied à terre et, me conduisant à un puits, il me dit :

— Seigneur Alphonse, faites-moi la grâce de regarder dans ce puits et de me dire ce que vous en pensez.

Je lui répondis que j’y voyais de l’eau, et que je pensais que c’était un puits.

— Eh bien ! reprit Zoto, vous vous trompez, car c’est l’entrée de mon palais.

Ayant ainsi parlé, il mit la tête dans le puits et cria d’une certaine manière. Alors je vis d’abord des planches qui sortirent d’un côté du puits, et qui furent posées à quelques pieds au-dessus de l’eau. Ensuite, un homme armé sortit de la même ouverture, et puis un autre. Ils grimpèrent hors du puits et, lorsqu’ils furent dehors, Zoto me dit :

— Seigneur Alphonse, j’ai l’honneur de vous présenter mes deux frères, Cicio et Momo. Vous avez peut-être vu leurs corps attachés à une certaine potence, mais ils ne s’en portent pas moins bien, et vous seront toujours dévoués, étant, ainsi que moi, au service et à la solde du grand cheik des Gomélez.

Je lui répondis que j’étais charmé de voir les frères d’un homme qui semblait m’avoir rendu un service important.

Il fallut se résoudre à descendre dans le puits. On apporta une échelle de corde, dont les deux sœurs se servirent avec plus d’aisance que je ne l’avais espéré.

Je descendis après elles. Lorsque nous fûmes arrivés aux planches, nous trouvâmes une petite porte latérale, où l’on ne pouvait passer qu’en se baissant beaucoup.

Mais, tout de suite après, nous nous trouvâmes sur un bel escalier, taillé dans le roc, éclairé par des lampes.

Nous descendîmes plus de deux cents marches. Enfin, nous entrâmes dans une demeure souterraine, composée d’une quantité de salles et de chambres. Les pièces que l’on habitait étaient tapissées en liège, ce qui les garantissait de l’humidité. J’ai vu, depuis, à Cintra, près de Lisbonne, un couvent, taillé dans le roc, dont les cellules étaient ainsi tapissées, et que l’on appelle, à cause de cela, le couvent de liège. De plus, de bons feux, bien disposés, donnaient une température très agréable au souterrain de Zoto. Les chevaux qui servaient à sa cavalerie étaient dispersés dans les environs. Cependant, en un besoin, on pouvait aussi les retirer dans le sein de la terre, par une ouverture qui donnait sur un vallon voisin, et il y avait une machine faite exprès pour les hisser, mais on s’en servait rarement.

— Toutes ces merveilles, me dit Émina, sont l’ouvrage des Gomélez. Ils creusèrent ce rocher dans le temps qu’ils étaient les maîtres du pays, c’est-à-dire qu’ils achevèrent de le creuser, car les idolâtres, qui habitaient les Alpuharras à leur arrivée, en avaient déjà fort avancé le travail. Les savants prétendent qu’en ce lieu même étaient les mines d’or natif de la Bétique, et d’anciennes prophéties annoncent que toute la contrée doit retourner un jour au pouvoir des Gomélez. Qu’en dites-vous, Alphonse ? Ce serait un joli patrimoine.

Ce discours d’Émina me parut très déplacé. Je le lui témoignai, puis, changeant de propos, je lui demandai quels étaient ses projets pour l’avenir.

Émina me répondit qu’après ce qui s’était passé elles ne pouvaient plus rester en Espagne, mais qu’elles voulaient se reposer un peu jusqu’à ce que l’on eût préparé leur embarquement.

On nous donna un dîner très abondant, surtout en venaison, et beaucoup de confitures sèches. Les trois frères nous servaient avec le plus grand empressement.

J’observai à mes cousines qu’il était impossible de trouver des pendus plus honnêtes. Émina en convint et, s’adressant à Zoto, elle lui dit :

— Vous et vos frères, vous devez avoir eu des aventures bien étranges ; vous nous feriez beaucoup de plaisir de nous les raconter.

Zoto, après s’être fait un peu presser, prit place auprès de nous et commença en ces termes.

HISTOIRE DE ZOTO

— Je suis né dans la ville de Bénévent, capitale du duché de ce nom. Mon père, qui s’appelait Zoto comme moi, était un armurier, habile dans sa profession. Mais comme il y en avait deux autres dans la ville, qui avaient même plus de réputation, son état ne suffisait qu’à peine à l’entretenir avec sa femme et ses trois enfants, à savoir mes deux frères et moi.

» Trois ans après que mon père se fut marié, une sœur cadette de ma mère épousa un marchand d’huile, appelé Lunardo, qui lui donna pour présent de noces des boucles d’oreilles en or, avec une chaîne du même métal à mettre autour du cou. Ma mère, en revenant de la noce, parut plongée dans une sombre mélancolie. Son mari voulut en savoir le motif ; elle se défendit longtemps de le lui dire, enfin elle avoua qu’elle se mourait d’envie d’avoir des pendants d’oreilles et un collier comme sa sœur. Mon père ne répondit rien. Il avait un fusil de chasse du plus beau travail, avec les pistolets de même façon, ainsi que le couteau de chasse. Le fusil tirait quatre coups sans être rechargé. Mon père y avait travaillé quatre ans. Il l’estimait trois cents onces d’or de Naples. Il alla chez un amateur, vendit toute la garniture pour quatre-vingts onces. Puis il alla acheter des bijoux tels que sa femme en avait désiré et les lui apporta. Ma mère alla dès le même jour les montrer à la femme de Lunardo, et même ses boucles d’oreilles furent trouvées un peu plus riches que celles de sa sœur, ce qui lui fit un extrême plaisir.

» Mais, huit jour après, la femme de Lunardo vint chez ma mère pour lui rendre sa visite. Elle avait les cheveux tressés tournés en limaçon et rattachés par une aiguille d’or, dont la tête était une rose de filigrane, enrichie d’un petit rubis. Cette rose d’or enfonça une cruelle épine dans le cœur de ma mère. Elle retomba dans sa mélancolie et n’en sortit que lorsque mon père lui eut promis une aiguille pareille à celle de sa sœur.