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Le centre de toute pruderie ainsi mis à couvert, l’on ne songea point à m’en disputer les surfaces. Zibeddé se rappela le rôle d’amante qu’elle avait autrefois étudié avec sa sœur. Celle-ci voyait dans mes bras l’objet de ses feintes amours et livrait ses sens à cette douce contemplation La cadette, souple, vive, brûlante, dévorait par le tact et pénétrait par ses caresses. Nos moments furent encore emplis par je ne sais quoi, – par des projets sur lesquels on ne s’expliquait pas, par tout ce doux babil de jeunes gens qui sont entre le souvenir récent et l’espoir d’un bonheur prochain.

Enfin le sommeil vint appesantir les belles paupières de mes cousines, et elles se retirèrent dans leur appartement. Lorsque je me trouvai seul, je pensai qu’il me serait bien désagréable de me réveiller encore sous le gibet. Je ne fis que rire de cette idée, mais néanmoins elle m’occupa jusqu’au moment où je m’endormis.

SIXIÈME JOURNÉE

Je fus réveillé par Zoto, qui me dit que j’avais dormi très longtemps et que le dîner était prêt. Je m’habillai à la hâte et j’allai trouver mes cousines, qui m’attendaient dans la salle à manger. Leurs yeux me caressaient encore, et elles semblaient occupées de la veille plus que du dîner qu’on leur servait. Lorsque l’on eût ôté la table, Zoto prit place auprès de nous et reprit en ces termes le récit de son histoire.

SUITE DE L’HISTOIRE DE ZOTO

— Lorsque mon père alla joindre la troupe de [Monaldi]16, je pouvais avoir sept ans, et je me rappelle qu’on nous mena en prison, ma mère, mes deux frères et moi. Mais ce ne fut que pour la forme ; comme mon père n’avait pas oublié la part des gens de loi, ils furent aisément convaincus que nous n’avions aucune relation avec lui.

» Le chef des sbires eut un soin tout particulier de nous pendant notre détention et, même, il en abrégea le terme. Ma mère, au sortir de la prison, fut très bien reçue par les voisines et tout le quartier, car, dans le midi de l’Italie, les bandits sont les héros du peuple, comme les contrebandiers le sont en Espagne. Nous avions notre part dans l’estime universelle et, moi en particulier, j’étais regardé comme le prince des polissons de notre rue.

» Vers ce temps, Monaldi fut tué dans une affaire, et mon père, qui prit le commandement de la troupe, voulut débuter par une action d’éclat. Il alla se poster sur le chemin de Salerne, pour y attendre une remise d’argent qu’envoyait le vice-roi de Sicile. L’entreprise réussit, mais mon père y fut blessé d’un coup de mousquet dans les reins, qui le rendit incapable de servir plus longtemps.

Le moment où il prit congé de la troupe fut extraordinairement touchant. L’on assure même que plusieurs bandits y pleurèrent ; ce que j’aurais de la peine à croire, si moi-même je n’avais pleuré une fois en ma vie, et ce fut après avoir poignardé ma maîtresse, ainsi que je vous le dirai en son lieu.

» La troupe ne tarda pas à se dissoudre ; quelques-uns de nos braves allèrent se faire pendre en Toscane, les autres furent joindre Testa-Lunga, qui commençait à acquérir quelque réputation en Sicile. Mon père lui-même passa le détroit et se rendit à Messine, où il demanda un asile aux Augustins del Monte. Il mit son petit pécule entre les mains de ces pères, fit une pénitence publique, et s’établit sous le portail de leur église, où il menait une vie fort douce, ayant la liberté de se promener dans les jardins et les cours du couvent.

Les moines lui donnaient la soupe, et il faisait chercher une couple de plats à une gargote voisine. Le frater de la maison pansait encore ses blessures par-dessus le marché.

» Je suppose qu’alors mon père nous faisait tenir de fortes remises, car l’abondance régnait dans notre maison. Ma mère prit part aux plaisirs du carnaval et, dans le carême, elle fit une crèche, ou présépe, représentée par des petites poupées, des châteaux de sucre et autres enfantillages de cette espèce, qui sont fort en vogue dans tout le royaume de Naples et forment un objet de luxe pour le bourgeois. Ma tante Lunardo eut aussi un présépe, mais il n’approchait pas du nôtre.

» Autant que je me rappelle ma mère, il me semble qu’elle était très bonne, et souvent nous l’avons vue pleurer sur les dangers auxquels s’exposait son époux, mais quelques triomphes remportés sur sa sœur ou sur ses voisines séchaient bien vite ses larmes. La satisfaction que lui donna sa belle crèche fut le dernier plaisir de ce genre qu’elle put goûter. Je ne sais comment elle gagna une pleurésie, dont elle mourut au bout de quelques jours.

» À sa mort, nous n’aurions su que devenir si le Barigel ne nous eût retirés chez lui. Nous y passâmes quelques jours, après quoi l’on nous remit à un muletier, qui nous fit traverser toute la Calabre et arriver le quatorzième jour à Messine. Mon père était déjà informé de la mort de son épouse. Il nous reçut avec beaucoup de tendresse, nous fit donner une natte auprès de la sienne, et nous présenta aux moines qui nous mirent au nombre des enfants de chœur. Nous servions la messe, nous mouchions les cierges, nous allumions les lampes et, à cela près, nous étions d’aussi fieffés polissons que nous l’avions été à Bénévent. Lorsque nous avions mangé la soupe des moines, mon père nous donnait un tari à chacun, dont nous achetions des châtaignes et des craquelins, après quoi nous allions jouer sur le port et ne revenions plus qu’à la nuit. Enfin nous étions d’heureux polissons, lorsqu’un événement, qu’aujourd’hui même je ne puis me rappeler sans un mouvement de rage, décida du sort de ma vie entière.

» Un certain dimanche, comme l’on allait chanter vêpres, je revins au portail de l’église, chargé de marrons que j’avais achetés pour mes frères et pour moi, et j’en faisais les dividendes lorsque je vis arriver une voiture superbe, attelée de six chevaux et précédée de deux chevaux de même couleur qui couraient en liberté, sorte de luxe que je n’ai vu qu’en Sicile. La voiture s’ouvrit et j’en vis sortir d’abord un gentilhomme braciere, qui donna le bras à une belle dame, ensuite un abbé et enfin un petit garçon de mon âge, d’une figure charmante et magnifiquement habillé à la hongroise, ainsi que l’on habillait les enfants assez communément. La petite hongreline était de velours bleu, brodée en or et garnie de zibelines ; elle lui descendait à la moitié des jambes et couvrait même une partie de ses bottines, qui étaient en maroquin jaune. Son bonnet, également garni de zibelines, était aussi en velours bleu et surmonté d’une houppe de perles qui tombait sur une épaule. Sa ceinture était en glands et cordons d’or, et son petit sabre enrichi de pierreries. Enfin, il avait à la main un livre de prières monté en or.

» Je fus si émerveillé de voir un si bel habit à un garçon de mon âge que, ne sachant trop ce que je faisais, j’allai à lui et lui offris deux châtaignes que j’avais à la main, mais l’indigne garnement, au lieu de répondre à la petite amitié que je lui faisais, me donna de son livre de prières par le nez, et cela de toute la force de son bras.

J’eus l’œil gauche presque poché et, un fermoir du livre étant entré dans une de mes narines, la déchira de façon que je fus en un instant couvert de sang. Il me semble qu’alors j’entendis le petit seigneur pousser des cris affreux, mais j’avais, pour ainsi dire, perdu connaissance. Lorsque je la repris, je me trouvai près de la fontaine du jardin, entouré de mon père et de mes frères qui me lavaient le visage et cherchaient à arrêter l’hémorragie.

» Cependant, comme j’étais encore tout en sang, nous vîmes revenir le petit seigneur, suivi de son abbé, du gentilhomme braciere et de deux valets de pied, dont l’un portait un paquet de verges. Le gentilhomme expliqua en peu de mots que Mme la princesse de Rocca Fiorita exigeait que je fusse fouetté jusqu’au sang en réparation de la frayeur que je lui avais causée, ainsi qu’à son Principino, et, tout de suite, les valets de pied mirent la sentence à exécution. Mon père, qui craignait de perdre son asile, n’osa d’abord rien dire, mais, voyant que l’on me déchirait impitoyablement, il n’y put tenir et, s’adressant au gentilhomme, avec tout l’accent d’une fureur étouffée, il lui dit :