Выбрать главу

» – Faites finir ceci, ou rappelez-vous que j’en ai assassiné qui en valaient dix de votre sorte.

» Le gentilhomme, considérant que ces paroles renfermaient un grand sens, ordonna que l’on mît fin à mon supplice, mais, comme j’étais encore couché sur le ventre, le Principino s’approcha de moi et me donna un coup de pied dans le visage en me disant :

» – Managia la tua facia de banditu.

» Cette dernière insulte mit le comble à ma rage. Je puis dire que, depuis ce moment, je n’ai plus été enfant, ou du moins que je n’ai plus goûté les douces joies de cet âge et, longtemps après, je ne pouvais, de sang-froid, voir un homme richement habillé.

» Il faut que la vengeance soit le péché originel de notre pays, car, bien que je n’eusse alors que huit ans, la nuit comme le jour, je ne songeai plus qu’à punir le Principino. Je me réveillais en sursaut, rêvant que je le tenais aux cheveux et le rouais de coups, et, le jour, je pensais à lui faire du mal de loin, car je me doutais bien qu’on ne me laisserait pas approcher. De plus, je voulais m’enfuir après avoir fait le coup. Enfin, je me décidai à lui lancer une pierre dans le visage, sorte d’exercice que j’entendais déjà assez bien ; cependant, pour m’y entretenir, je choisis un but contre lequel je m’exerçais presque toute la journée.

» Une fois, mon père me demanda ce que je faisais.

Je lui répondis que mon intention était d’écraser le visage du Principino et puis de m’enfuir et de me faire bandit. Mon père parut ne pas croire à ce que je disais, mais il me sourit d’une manière qui me confirma dans mon projet.

» Enfin arriva le dimanche qui devait être le jour de la vengeance. Le carrosse parut, l’on descendit. J’étais fort ému, cependant je me remis. Mon petit ennemi me démêla dans la foule et me tira la langue. Je tenais ma pierre, je la lançais et il tomba à la renverse.

» Aussitôt je me mis à courir et ne m’arrêtai qu’à l’autre bout de la ville. Là, je rencontrai un petit ramoneur de ma connaissance qui me demanda où j’allais. Je lui racontai mon histoire, et il me conduisit aussitôt à son maître. Celui-ci, qui manquait de garçons et ne savait où en prendre pour un métier aussi rude, me reçut avec plaisir. Il me dit que personne ne me reconnaîtrait lorsque j’aurais le visage barbouillé de suie, et que de grimper dans les cheminées était une science souvent très utile. En cela, il ne m’a point trompé. J’ai souvent dû la vie au talent que j’acquis alors.

» La poussière des cheminées et l’odeur de la suie m’incommodèrent d’abord, mais je m’y accoutumai, car j’étais dans l’âge où l’on se fait à tout. Il y avait environ six mois que j’exerçai ma profession lorsque m’arriva l’aventure que je vais rapporter.

» J’étais sur un toit et je prêtais l’oreille pour savoir par quel tuyau sortirait la voix du maître. Il me parut l’entendre crier dans la cheminée la plus voisine de moi.

J’y descendis, mais je trouvai que, sous le toit, le tuyau se séparait en deux. Là, j’aurais dû appeler, mais je ne le fis point, et je me décidai étourdiment pour une des deux ouvertures. Je m’y laissai glisser et je me trouvai dans un beau salon, mais le premier objet que j’y aperçus fut mon Principino, en chemise et jouant au volant.

» Quoique ce petit sot eût sans doute vu d’autres ramoneurs, il s’avisa de me prendre pour le diable.

Il se mit à genoux et me pria de ne point l’emporter et promettant d’être bien sage. Les protestations m’auraient peut-être touché, mais j’avais à la main mon petit balai de ramoneur et la tentation d’en faire usage était devenue trop forte ; de plus, je m’étais bien vengé du coup que le Principino m’avait donné avec son livre de prières, et en partie des coups de verges, mais j’avais encore sur le cœur le coup de pied qu’il m’avait donné au visage en me disant :

» – Managia la tua fada de banditu.

» Enfin, un Napolitain aime à se venger plutôt un peu plus qu’un peu moins.

» Je détachai donc une poignée de verges de mon balai. Puis je déchirai la chemise du Principino et, quand son dos fut à nu, je le déchirai aussi, ou du moins je l’accommodai assez mal, mais, ce qu’il y avait de plus singulier, c’est que la peur l’empêchait de crier.

» Lorsque je crus en avoir fait assez, je me débarbouillai le visage et lui dis :

» – Ciucio maledetto io no zuno lu diavolu, io zuno lu piciolu banditu delli Augustini.

» Alors le Principino retrouva l’usage de la voix et se mit à crier au secours, mais je n’attendis pas que l’on vînt, et je remontai par où j’étais descendu.

» Lorsque je fus sur le toit, j’entendis encore la voix du maître qui m’appelait, mais je ne jugeai pas à propos de répondre. Je me mis à courir de toit en toit, et j’arrivai à celui d’une écurie, devant laquelle était un chariot de foin. Je me jetai du toit sur le chariot et du chariot à terre. Puis j’arrivai tout courant au portail des Augustins, où je racontai à mon père tout ce qui venait de m’arriver. Mon père m’écouta avec beaucoup d’intérêt, puis il me dit :

» – Zoto, Zoto ! Già vegio che tu sarai banditu.

» Ensuite, se tournant vers un homme qui était à côté de lui, il lui dit :

» – Padron Lettereo prendete lo chiutosto vui.

» Lettereo est un nom de baptême particulier à Messine.

Il provient d’une lettre que la Vierge doit avoir écrite aux habitants de cette ville, et qu’elle doit avoir datée l’an 1452 de la naissance de mon fils. Les Messinois ont autant de dévotion à cette lettre que les Napolitains au sang de saint Janvier. Je vous fais ce détail, parce que, un an et demi après, j’ai fait à la Madonna della lettera une prière que j’ai cru être la dernière de ma vie.

» Or donc Padrón Lettereo était capitaine d’une pinque armée, soi-disant pour la pêche du corail, mais, au fond, contrebandier et même forban, selon que l’occasion s’en présentait. Ce qui lui arrivait rarement, parce qu’il ne portait pas de canons et qu’il lui fallait surprendre des bâtiments en des plages désertes.

» L’on savait tout cela à Messine, mais Lettereo faisait la contrebande pour le compte des principaux marchands de la ville. Les commis de la douane y avaient leur part et, d’ailleurs, le patron passait pour être très libéral de coltellade, ce qui en imposait à ceux qui auraient voulu lui faire de la peine. Enfin, il avait une figure véritablement imposante, sa taille et sa carrure auraient déjà suffi à le faire remarquer, mais tout le reste de son extérieur y répondait si bien que les gens d’un caractère timide ne le voyaient point sans ressentir un mouvement de frayeur.

Son visage, d’un brun déjà très foncé, était encore obscurci par un coup de poudre à canon qui lui avait laissé beaucoup de marques, et sa peau bise était chamarrée de divers dessins tout particuliers. Les matelots de la Méditerranée ont presque tous l’usage de se faire picoter sur les bras et la poitrine des chiffres, des profils de galères, des croix et autres ornements pareils. Mais Lettereo avait enchéri sur cet usage. Il avait gravé sur l’une de ses joues un crucifix, et, sur l’autre, une madone, desquelles images l’on ne voyait pourtant que le haut, car le bas en était caché dans une barbe épaisse que le rasoir ne touchait jamais et que les ciseaux seuls contenaient dans de certaines bornes. Ajoutez à cela des anneaux d’or aux oreilles, un bonnet rouge, une ceinture de même couleur, une veste sans manches, des culottes de matelot, les bras et les pieds nus et les poches pleines d’or. Tel était le Patron.