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Tout cela fut l’affaire de quelques secondes.

» Bientôt après, les quatre bâtiments mirent le cap sur nous, et nous entendions de tous côtés : « Mayna Ladro, Mayna can Senzafede. » Lettereo mit à l’orse, en sorte que notre bande rasait la surface de l’eau.

Puis, s’adressant à l’équipage, il nous dit :

» – Anime managie, io in galera non ci vado. Pregate per me la santissima Madonna della lettera.

» Nous nous mîmes tous à genoux. Lettereo mit des boulets de canon dans sa poche. Nous crûmes qu’il voulait se jeter à la mer. Mais le malin pirate ne s’y prit pas ainsi. Il y avait un gros tonneau, plein de cuivre, amarré sur le vent. Lettereo s’arma d’une hache et coupa l’amarre. Aussitôt, le tonneau roula sur l’autre bande et, comme nous penchions déjà beaucoup, il nous fit chavirer tout à fait. D’abord, nous autres qui étions à genoux, nous tombâmes tous sur les voiles et, lorsque le navire s’engouffra, celles-ci, par leur élasticité, nous rejetèrent heureusement à plusieurs toises de l’autre côté.

» Pepo nous repêcha tous, à l’exception du capitaine, d’un matelot et d’un mousse. À mesure que l’on nous tirait de l’eau, l’on nous garrottait et l’on nous jetait dans le gavon de la capitane. Quatre jours après, nous abordâmes à Messine. Pepo fit avertir la justice [qu’il avait]17 à lui remettre des sujets dignes de son attention.

Notre débarquement ne manqua pas d’une certaine pompe. C’était précisément l’heure du Corso, où toute la noblesse se promène sur ce que l’on appelle la Marine.

Nous marchions gravement, précédés et suivis par des sbires.

» Le Principino se trouva au nombre des spectateurs. Il me reconnut aussitôt qu’il m’eut aperçu et s’écria :

» – Ecco lu piciolu banditu delli Augustini.

» En même temps, il me sauta aux yeux, me saisit par les cheveux et m’égratigna le visage. Comme j’avais les mains liées derrière le dos, j’avais de la peine à me défendre.

» Cependant, me rappelant un tour que j’avais vu faire à Livourne à des matelots anglais, je débarrassai ma tête et j’en donnai un grand coup dans l’estomac du Principino. Il tomba à la renverse. Puis, se levant furieux, il tira un petit couteau de sa poche et voulut m’en frapper. Je l’évitai et, lui donnant un croc-en-jambe, je le fis tomber lui-même fort rudement, et même, en tombant, il se blessa avec le couteau qu’il tenait en main. La princesse, qui arriva sur ces entrefaites, voulut encore me faire battre par ses gens.

Mais les sbires s’y opposèrent et nous conduisirent en prison.

» Le procès de notre équipage ne fut pas long ; ils furent condamnés à recevoir l’estrapade et puis à passer le reste de leurs jours aux galères. Quant au mousse, qui était échappé, et à moi, nous fûmes relâchés comme n’ayant pas l’âge compétent. Dès que la liberté nous fut rendue, j’allai au couvent des Augustins.

Mais je n’y trouvai plus mon père. Le frère portier me dit qu’il était mort et que mes frères étaient mousses sur un navire espagnol. Je demandai à parler au frère prieur. Je fus introduit et contai ma petite histoire, sans oublier le coup de tête et le croc-en-jambe donnés au Principino. Sa Révérence m’écouta avec beaucoup de bonté, puis elle me dit :

» – Mon enfant, votre père en mourant a laissé au couvent une somme considérable. C’était un bien mal acquis auquel vous n’avez aucun droit. Il est dans les mains de Dieu et doit être employé à l’entretien de ses serviteurs. Cependant nous avons osé en détourner quelques écus, que nous avons donnés au capitaine espagnol qui s’est chargé de vos frères. Quant à vous, on ne peut plus vous donner asile dans ce couvent, par égard pour Mme la princesse de Rocca Fiorita, notre illustre bienfaitrice. Mais, mon enfant, vous irez à la ferme que nous avons au pied de l’Etna, et vous y passerez doucement les années de votre enfance.

» Après m’avoir dit ces choses, le prieur appela un frère lai et lui donna des ordres relatifs à mon sort.

» Le lendemain, je partis avec le frère lai. Nous arrivâmes à la ferme, et je fus installé. De temps à autre, l’on m’envoyait à la ville pour des commissions qui avaient rapport à l’économie. Dans ces petits voyages, je fis tout mon possible pour éviter le Principino.

Cependant, une fois que j’achetais des marrons dans la rue, il vint à passer, me reconnut et me fit rudement fustiger par ses laquais. Quelque temps après, je m’introduisis chez lui à la faveur d’un déguisement et, sans doute, il m’eût été facile de l’assassiner, et je me repens tous les jours de ne l’avoir point fait. Mais alors je n’étais point encore familiarisé avec les procédés de ce genre, et je me contentai de le maltraiter. Pendant les premières années de ma jeunesse, il ne s’est point passé six mois, ni même quatre, sans que j’eusse quelque rencontre avec ce maudit Principino qui, souvent, avait sur moi l’avantage du nombre. Enfin j’atteignis quinze ans, et j’étais alors un enfant pour l’âge et la raison, mais j’étais presque un homme pour la force et le courage, ce qui ne doit point surprendre si l’on considère que l’air de la mer et ensuite celui des montagnes avaient fortifié mon tempérament.

» J’avais donc quinze ans lorsque je vis pour la première fois le brave et digne Testa-Lunga, le plus honnête et vertueux bandit qu’il y ait eu en Sicile.

Demain, si vous le permettez, je vous ferai connaître cet homme, dont la mémoire vivra éternellement dans mon cœur. Pour l’instant, je suis obligé de vous quitter, le gouvernement de ma caverne exige des soins attentifs auxquels je ne puis me refuser. »

Zoto nous quitta, et chacun de nous fit sur son récit des réflexions analogues à son propre caractère. J’avouai ne pouvoir refuser une sorte d’estime à des hommes aussi courageux que ceux qu’il me dépeignait. Émina soutenait que le courage ne mérite notre estime qu’autant qu’on l’emploie à faire respecter la vertu.

Zibeddé dit qu’un petit bandit de seize ans pouvait bien inspirer de l’amour.

Nous soupâmes, et puis chacun fut se coucher. Les deux sœurs vinrent encore me surprendre. Émina me dit :

— Mon Alphonse, seriez-vous capable de nous faire un sacrifice ? Il s’agit de votre intérêt plus que du nôtre.

— Ma belle cousine, lui répondis-je, tous ces préambules ne sont point nécessaires. Dites-moi naturellement ce que vous désirez.

— Cher Alphonse, reprit Émina. Nous sommes choquées, glacées par ce joyau que vous portez au cou, et que vous appelez un morceau de la vraie croix.

— Oh ! pour ce joyau, dis-je aussitôt, ne me le demandez pas. J’ai promis à ma mère de ne le point quitter et je tiens toutes mes promesses. Ce ne serait pas à vous d’en douter.

Mes cousines ne répondirent pas, furent un peu boudeuses, se radoucirent, et la nuit se passa à peu près comme la précédente. C’est-à-dire que les ceintures ne furent point dérangées.

SEPTIÈME JOURNÉE

Le lendemain matin, je me réveillai de meilleure heure que la veille. J’allai voir mes cousines. Émina lisait le Coran, Zibeddé essayait des perles et des châles.

J’interrompis ces graves occupations par de douces caresses, qui tenaient presque autant de l’amitié que de l’amour. Puis nous dînâmes. Après le dîner, Zoto vint reprendre le fil de son histoire, ce qu’il fit en ces termes.

SUITE DE L’HISTOIRE DE ZOTO

— J’avais promis de vous parler de Testa-Lunga. Je vais vous tenir parole. Mon ami était un paisible habitant de Val-Castera, petit bourg au pied de l’Etna. Il avait une femme charmante. Le jeune prince de Val-Castera, visitant un jour ses domaines, vit cette femme, qui était venue le complimenter, avec les autres femmes des notables. Le présomptueux jeune homme, loin d’être sensible à l’hommage que ses vassaux lui offraient par les mains de la beauté, ne fut occupé que des charmes de Mme Testa-Lunga. Il lui expliqua sans détour l’effet qu’elle faisait sur ses sens et mit la main dans son corset. Le mari se trouvait dans cet instant derrière sa femme. Il tira un couteau de sa poche et l’enfonça dans le cœur du jeune prince. Je crois qu’à sa place tout homme d’honneur en eût fait autant.