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» Testa-Lunga, après avoir fait ce coup, se retira dans une église, où il resta jusqu’à la nuit. Mais, jugeant qu’il lui fallait prendre d’autres mesures pour l’avenir, il se résolut à joindre quelques bandits qui s’étaient depuis peu réfugiés sur les sommets de l’Etna. Il y alla, et les bandits le reconnurent pour leur chef.

» L’Etna avait alors vomi une prodigieuse quantité de lave, et ce fut au milieu des torrents enflammés que Testa-Lunga fortifia sa troupe, dans de ces repaires dont les chemins n’étaient connus que de lui. Lorsqu’il eut ainsi pourvu à sa sûreté, ce brave chef s’adressa au vice-roi et lui demanda sa grâce et celle de ses compagnons. Le gouvernement refusa, dans la crainte, à ce que j’imagine, de compromettre l’autorité. Alors Testa-Lunga entra en pourparlers avec les principaux fermiers des terres voisines. Il leur dit :

» – Volons en commun, je viendrai, et je demanderai, vous me donnerez ce que vous voudrez, et vous n’en serez pas moins à couvert devant vos maîtres.

» C’était toujours voler, mais Testa-Lunga partageait le tout entre ses compagnons et ne gardait pour lui que l’absolu nécessaire. Au contraire, s’il traversait un village, il faisait tout payer au double, si bien qu’il devint en peu de temps l’idole du peuple des Deux-Siciles.

» Je vous ai déjà dit que plusieurs bandits de la troupe de mon père avaient été joindre Testa-Lunga qui, pendant quelques années, se tint au midi de l’Etna, pour faire des courses dans le Val di Noto et le Val di Mazara. Mais à l’époque dont je vous parle, c’est-à-dire lorsque j’eus atteint quinze ans, la troupe revint au Val Demoni, et un beau jour nous les vîmes arriver à la ferme des moines.

» Tout ce que vous pouvez imaginer de leste et de brillant n’approcherait pas encore des hommes de Testa-Lunga. Des habits de miquelets, les cheveux dans une résille de soie, une ceinture de pistolets et de poignards.

Une épée de longueur, et un fusil de même, tel était à peu près leur équipage de guerre. Ils furent trois jours à manger nos poules et boire notre vin. Le quatrième, on vint leur annoncer qu’un détachement des dragons de Syracuse s’avançait, avec l’intention de les envelopper. Cette nouvelle les fit rire de tout leur cœur.

Ils se mirent en embuscade dans un chemin creux, attaquèrent le détachement et le dispersèrent. Ils étaient un contre dix, mais chacun d’eux portait plus de dix bouches à feu, et toutes de la meilleure qualité.

» Après la victoire, les bandits revinrent à la ferme, et moi, qui de loin les avait vus combattre, j’en fus si enthousiasmé que je me jetai aux pieds du chef pour le conjurer de me recevoir dans sa troupe. Testa-Lunga demanda qui j’étais. Je répondis que j’étais le fils du bandit Zoto. À ce nom chéri, tous ceux qui avaient servi sous mon père poussèrent un cri de joie. Puis l’un d’eux, me prenant dans ses bras, me posa sur la table et dit :

» – Mes camarades, le lieutenant de Testa-Lunga a été tué dans le combat ; nous sommes embarrassés à le remplacer. Que le petit Zoto soit notre lieutenant. Ne voyez-vous pas que l’on donne des régiments aux fils des ducs et des princes ? Faisons pour le fils du brave Zoto ce que l’on fait pour eux. Je réponds qu’il se rendra digne de cet honneur.

» Ce discours mérita de grands applaudissements à l’orateur, et je fus proclamé à l’unanimité.

» Mon grade, d’abord, n’était qu’une plaisanterie, et chaque bandit éclatait de rire en m’appelant : « Signor tenente ». Mais il leur fallut changer le ton. Non seulement j’étais toujours le premier à l’attaque et le dernier à couvrir la retraite, mais aucun d’eux n’en savait autant que moi lorsqu’il s’agissait d’épier les mouvements de l’ennemi ou d’assurer le repos de la troupe. Tantôt je gravissais le sommet des rochers pour découvrir plus de pays et faire les signaux convenus, et tantôt je passais des journées entières tout au milieu des ennemis, ne descendant d’un arbre que pour grimper sur un autre. Souvent même, il m’est arrivé de passer les nuits sur les plus hauts châtaigniers de l’Etna. Et, lorsque je ne pouvais plus résister au sommeil, je m’attachais aux branches avec une courroie. Tout cela ne m’était pas bien difficile, puisque j’avais été mousse et ramoneur.

» J’en fis tant enfin que la sûreté commune me fut entièrement confiée. Testa-Lunga m’aimait comme son fils, mais, si je l’ose dire, j’acquis une renommée qui surpassait presque la sienne, et les exploits du petit Zoto devinrent en Sicile le sujet de tous les entretiens. Tant de gloire ne me rendit pas insensible aux douces distractions que m’inspirait mon âge. Je vous ai déjà dit que, chez nous, les bandits étaient les héros du peuple, et vous jugez bien que les bergères de l’Etna ne m’auraient pas disputé leur cœur, mais le mien était destiné à se rendre à des charmes plus délicats, et l’amour lui réservait une conquête plus flatteuse.

» J’étais lieutenant depuis deux ans, et j’en avais dix-sept finis lorsque notre troupe fut obligée de retourner vers le sud, parce qu’une nouvelle irruption de volcan avait détruit nos retraites ordinaires. Au bout de quatre jours, nous arrivâmes à un château, appelé Rocca-Fiorita, fief et manoir en chef du Principino, mon ennemi.

» Je ne pensais plus guère aux injures que j’en avais reçues, mais le nom du lieu me rendit toute ma rancune. Ceci ne doit point vous surprendre : dans nos climats, les cœurs sont implacables. Si le Principino eût été dans son château, je crois que je l’aurais mis à feu et à sang. Je me contentai d’y faire tout le dégât que je pus, et mes camarades, qui connaissaient mes motifs, me secondaient de leur mieux. Les domestiques du château, qui avaient d’abord voulu nous résister, ne résistèrent point au bon vin de leur maître, que nous répandions à grands flots. Ils furent des nôtres. Enfin, nous fîmes de Rocca-Fiorita un véritable pays de cocagne.

» Cette vie dura cinq jours. Le sixième, nos espions m’avertirent que nous allions être attaqués par tout le régiment de Syracuse, et que le Principino viendrait ensuite avec sa mère et plusieurs dames de Messine.

Je fis retirer ma troupe, mais je fus curieux de rester, et je m’établis sur le sommet d’un chêne touffu qui était à l’extrémité du jardin. Cependant, j’avais eu la précaution de faire un trou dans la muraille du jardin pour faciliter mon évasion.

» Enfin je vis arriver le régiment, qui campa devant la porte du château, après avoir placé des postes tout autour. Puis arriva une file de litières, dans lesquelles étaient les dames, et dans la dernière était le Principino lui-même, couché sur une pile de coussins. Il descendit avec peine, soutenu par deux écuyers, se fit précéder par une compagnie de soldats, et lorsqu’il sut que personne de nous n’était resté dans le château, il y entra avec les dames et quelques gentilshommes de sa suite.

» Il y avait au pied de mon arbre une source d’eau fraîche, une table de marbre et des bancs. C’était la partie du jardin la plus ornée. Je supposai que la société ne tarderait pas à s’y rendre, et je me résolus [à] l’attendre pour la voir de plus près. Effectivement, au bout d’une demi-heure, je vis venir une jeune personne à peu près de mon âge. Les anges n’ont pas plus de beauté, et l’impression qu’elle fit sur moi fut si forte et si subite que je serais peut-être tombé du haut de mon arbre si je n’y eusse été attaché par ma ceinture, ce que je faisais quelquefois pour me reposer avec plus de sûreté.