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» La jeune personne avait les yeux baissés et l’air de la mélancolie la plus profonde. Elle s’assit sur un banc, s’appuya sur la table de marbre et versa beaucoup de larmes. Sans trop savoir ce que je faisais, je me laissai couler en bas de mon arbre et me plaçai de manière que je pouvais la voir sans être moi-même aperçu. Alors je vis le Principino qui s’avançait, tenant un bouquet à la main. Il y avait près de trois ans que je ne l’avais vu. II s’était formé. Sa figure était belle, pourtant assez fade.

» Lorsque la jeune personne le vit, sa physionomie exprima le mépris d’une manière dont je lui sus bon gré.

Cependant le Principino l’aborda, d’un air content de lui-même, et lui dit :

» – Ma chère promise, voici un bouquet que je vous donnerai si vous me promettez de ne jamais plus me parler de ce petit gueux de Zoto.

» La demoiselle répondit :

» – Monsieur le prince, il me semble que vous avez tort de mettre des conditions à vos faveurs, et puis, quand je ne vous parlerais pas du charmant Zoto, toute la maison vous en entretiendrait. Votre nourrice elle même ne vous a-t-elle pas dit qu’elle n’avait jamais vu un aussi joli garçon, et pourtant vous étiez là.

» Le Principino, fort piqué, répliqua :

» – Mademoiselle Sylvia, souvenez-vous que vous êtes ma promise.

» Sylvia ne répondit point et fondit en larmes.

» Alors le Principino, furieux, lui dit :

» – Méprisable créature, puisque tu es amoureuse d’un bandit, voilà ce que tu mérites.

» En même temps, il lui donna un soufflet.

» Alors la demoiselle s’écria :

» – Zoto, que n’es-tu ici pour punir ce lâche !

» Elle n’avait pas achevé ces mots que je parus et je dis au prince :

» – Tu dois me reconnaître. Je suis bandit et je pourrais t’assassiner. Mais je respecte Mademoiselle qui a daigné m’appeler à son secours, et je veux bien me battre à la manière de vous autres, nobles.

» J’avais sur moi deux poignards et quatre pistolets.

J’en fis deux parts, je les mis à dix pas l’une de l’autre, et je laissai le choix au Principino. Mais le malheureux était tombé évanoui sur un banc :

Sylvia prit alors la parole et me dit :

» – Brave Zoto, je suis noble et pauvre. Je devais demain épouser le prince, ou bien être mise au couvent.

Je ne ferai ni l’un ni l’autre. Je veux être à toi pour la vie.

» Et elle se jeta dans mes bras.

» Vous pensez bien que je ne me fis pas prier. Cependant, il fallait empêcher le prince de troubler notre retraite. Je pris un poignard et, me servant d’une pierre en guise de marteau, je lui clouai la main contre le banc sur lequel il était assis. II poussa un cri et retomba évanoui. Nous sortîmes par le trou que j’avais fait dans le mur du jardin, et nous regagnâmes le sommet des monts.

» Mes camarades avaient tous des maîtresses ; ils furent charmés que j’en eusse fait une, et leurs belles jurèrent d’obéir en tout à la mienne.

» J’avais passé quatre mois avec Sylvia, lorsque je fus obligé de la quitter pour reconnaître les changements que la dernière éruption avait faits dans le nord. Je trouvai dans ce voyage à la nature des charmes qu’auparavant je n’avais pas aperçus. Je remarquai des gazons, des grottes, des ombrages, en des lieux où je n’aurais auparavant vu que des embuscades ou des postes de défense. Enfin Sylvia avait attendri mon cœur de brigand. Mais il ne tarda pas à reprendre toute sa férocité.

» Je reviens à mon voyage au nord de la montagne. Je m’exprime ainsi parce que les Siciliens, lorsqu’ils parlent de l’Etna, disent toujours « Il monte » – ou le mont par excellence. Je dirigeai d’abord ma marche sur ce que nous appelons la tour du Philosophe, mais je ne pus y parvenir. Un gouffre, qui s’était ouvert sur les flancs du volcan, avait vomi un torrent de lave qui, se divisant un peu au-dessus de la tour et se rejoignant un mille au-dessous, y formait une île tout à fait inabordable.

» Je sentis tout de suite l’importance de cette position, et, de plus, nous avions, dans la tour même, un dépôt de châtaignes que je ne voulais pas perdre. A force de chercher, je retrouvai un conduit souterrain où j’avais passé d’autres fois, et qui me conduisit jusqu’au pied, ou plutôt dans la tour elle-même. Aussitôt, je résolus de placer dans cette île tout notre peuple femelle. J’y fis construire des huttes de feuillage. J’en ornai une autant que je le pus. Puis je retournai au sud, d’où je ramenai toute la colonie, qui fut enchantée de son nouvel asile.

» À présent, lorsque je reporte ma mémoire au temps que j’ai passé dans cet heureux séjour, je l’y retrouve comme isolé, au milieu des cruelles agitations qui ont assailli ma vie. Nous étions séparés des hommes par des torrents de flammes. Celles de l’amour embrasaient nos sens. Tout y obéissait à mes ordres et tout était soumis à ma chère Sylvia. Enfin, pour mettre le comble à mon bonheur, mes deux frères me vinrent trouver. Tous les deux avaient eu des aventures intéressantes, et j’ose vous assurer que, si quelque jour vous voulez en entendre le récit, il vous donnera plus de satisfaction que celui que je vous fais.

» Il est peu d’hommes qui ne puissent compter de beaux jours, mais je ne sais s’il y en a qui peuvent compter de belles années. Mon bonheur à moi ne dura pas un an entier. Les braves de la troupe étaient très honnêtes entre eux. Nul n’aurait osé jeter les yeux sur la maîtresse de son camarade, et moins encore sur la mienne. La jalousie était donc bannie de notre île, ou plutôt elle n’en était qu’exilée pour un temps, car cette furie ne retrouve que trop aisément le chemin des lieux qu’habite l’amour.

» Un jeune bandit appelé Antonino devint amoureux de Sylvia et, sa passion étant très forte, il ne pouvait la cacher. Je l’apercevais moi-même, mais, le voyant fort triste, je jugeais que ma maîtresse n’y répondait pas et j’étais tranquille. Seulement, j’aurais voulu guérir Antonino, que j’aimais à cause de sa valeur. Il y avait dans la troupe un autre bandit appelé Moro, que je détestais, au contraire, à cause de sa lâcheté et, si Testa-Lunga m’en avait cru, il l’aurait dès longtemps chassé.

» Moro sut gagner la confiance du jeune Antonino, et lui promit de servir son amour. Il sut aussi se faire écouter de Sylvia et lui fit accroire que j’avais une maîtresse dans un village voisin. Sylvia craignit de s’expliquer avec moi. Elle eut un air contraint que j’attribuai à un changement dans le sentiment qu’elle me portait. En même temps, Antonino, instruit par Moro, redoubla d’assiduités auprès de Sylvia, et il prit un air de satisfaction qui me fit supposer qu’elle le rendait heureux.

» Je n’étais pas exercé à démêler des trames de ce genre. Je poignardai Sylvia et Antonino. Celui-ci, qui ne mourut pas sur-le-champ, me dévoila la trahison de Moro. J’allai chercher le scélérat, mon poignard sanglant à la main. Il en fut effrayé, tomba à genoux, et m’avoua [que] le prince de Rocca-Fiorita l’avait payé pour me faire périr ainsi que Sylvia, et qu’enfin il ne s’était joint à notre troupe que dans l’intention d’accomplir ce dessein. Je le poignardai. Puis j’allai à Messine, et m’étant introduit chez le prince à la faveur d’un déguisement je l’envoyai dans l’autre monde, joindre son confident et mes deux autres victimes. Telle fut la fin de mon bonheur, et même de ma gloire. Mon courage tourna en une entière indifférence pour la vie et, comme j’avais la même indifférence pour la sûreté de mes camarades, je perdis bientôt leur confiance. Enfin je puis vous assurer que, depuis lors, je suis devenu un brigand des plus ordinaires.