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Puis il m’aperçut et me dit :

— Ah ! vous, vous êtes bien jeune pour un cabaliste.

Mais vous avez aussi une corde au cou.

Effectivement, j’en avais une. Je me rappelai qu’Émina avait passé à mon cou une tresse tissue de ses cheveux et de ceux de sa sœur, et je ne savais qu’en penser.

Le cabaliste me fixa quelques instants, et puis il me dit :

— Non, vous n’êtes pas des nôtres. Vous vous appelez Alphonse, votre mère était une Gomélez ; vous êtes capitaine aux Gardes wallonnes, brave, mais encore un peu simple. N’importe, il faut sortir d’ici, et puis nous verrons ce qu’il y aura à faire.

La porte du gibet se trouvait ouverte. Nous en sortîmes, et je revis encore la vallée maudite de Los Hermanos. Le cabaliste me demanda où je voulais aller.

Je lui répondis que j’étais décidé à suivre le chemin de Madrid.

— Bon, me dit-il, je vais aussi de ce côté-là, mais commençons d’abord par prendre quelque nourriture.

Il tira de sa poche une tasse de vermeil, un pot rempli d’une sorte d’opiat et un flacon de cristal qui contenait une liqueur jaunâtre. Il mit dans la tasse une cuillerée d’opiat, versa dedans quelques gouttes de liqueur et me dit d’avaler le tout. Je ne me le fis point répéter, car le besoin me faisait défaillir. L’élixir était merveilleux. Je m’en sentis tellement restauré que je n’hésitai point à me mettre en marche à pied, ce qui, sans cela, m’eût paru difficile.

Le soleil était déjà assez haut lorsque nous aperçûmes la malencontreuse Venta Quemada. Le cabaliste s’arrêta et dit :

— Voici un cabaret où l’on m’a joué cette nuit un tour bien cruel. Il faut pourtant que nous y entrions.

J’y ai laissé de certaines provisions qui nous feront du bien.

Nous entrâmes en effet dans la désastreuse venta et nous trouvâmes dans la salle à manger une table couverte et garnie d’un pâté de perdrix et de deux bouteilles de vin. Le cabaliste paraissait avoir bon appétit, et son exemple m’encouragea, sans cela je ne sais si j’aurais pu prendre sur moi de manger, car tout ce que j’avais vu depuis quelques jours bouleversait tellement mes esprits que je ne savais plus ce que je faisais, et, si quelqu’un l’eût entrepris, il serait parvenu à me faire douter de ma propre existence.

Lorsque nous eûmes achevé de dîner, nous nous mîmes à parcourir les chambres et nous arrivâmes à celle où j’avais couché le jour de mon départ d’Anduhhar. Je reconnus mon malheureux grabat et, m’y étant assis, je me mis à réfléchir sur tout ce qui m’était arrivé, et surtout aux événements de la caverne. Je me rappelai qu’Émina m’avait averti de ne pas croire le mal qu’on me dirait d’elle.

J’étais occupé de ces réflexions, lorsque le cabaliste me fit remarquer quelque chose de brillant entre les ais mal joints du plancher. J’y regardai de plus près, et je vis que c’était la relique que les deux sœurs avaient ôtée de mon cou. J’avais vu qu’elles l’avaient jetée dans une fente du rocher de la caverne, et je la retrouvais dans une fente du plancher. Je me mis à imaginer que je n’étais réellement pas sorti de ce malheureux cabaret, et que l’ermite, l’inquisiteur et les frères de Zoto étaient autant de fantômes produits par des fascinations magiques. Cependant, à l’aide de mon épée, je retirai la relique et je la remis à mon cou.

Le cabaliste se prit à rire et me dit :

— Ceci vous appartient donc, Seigneur cavalier.

Si vous avez couché ici, je ne suis point surpris que vous vous soyez réveillé sous le gibet. N’importe, il faut nous remettre en marche, nous arriverons bien ce soir à l’ermitage.

Nous nous remîmes en route, et nous n’étions pas encore à moitié chemin lorsque nous rencontrâmes l’ermite, qui paraissait avoir bien de la peine à marcher.

Du plus loin qu’il nous aperçut, il s’écria :

— Ah ! mon jeune ami, je vous cherchais, revenez à mon ermitage. Arrachez votre âme des griffes de Satan, mais soutenez-moi. J’ai fait pour vous de cruels efforts.

Nous nous reposâmes, et puis nous continuâmes à marcher, et le vieillard put nous suivre en s’appuyant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Enfin nous arrivâmes à l’ermitage.

La première chose que j’y vis fut Pascheco, étendu dans le milieu de la chambre. Il semblait à l’agonie ou, du moins, il avait la poitrine déchirée par ce râle affreux, dernier pronostic d’une mort prochaine. Je voulus lui parler, mais il ne me reconnut pas. L’ermite prit de l’eau bénite et en aspergea le démoniaque en lui disant :

— Pascheco, Pascheco, au nom de ton rédempteur, je t’ordonne de nous dire ce qui t’est arrivé cette nuit.

Pascheco frémit, fit entendre un long hurlement, et commença en ces termes.

RECIT DE PASCHECO

— Mon père, vous étiez dans la chapelle, et vous y chantiez des litanies, lorsque j’entendis frapper à cette porte et des bêlements qui ressemblaient parfaitement à ceux de notre chèvre blanche. Je crus donc que c’était elle, et je pensai qu’ayant oublié de la traire la pauvre bête venait me le rappeler. Je le crus d’autant plus aisément que la même chose était réellement arrivée quelques jours auparavant. Je sortis donc de votre cabane, et je vis effectivement votre chèvre blanche qui me tournait le dos et me montrait ses pis gonflés. Je voulus la saisir pour lui rendre le service qu’elle me demandait, mais elle s’échappa de mes mains et, toujours s’arrêtant et m’échappant toujours, elle me conduisit au bord du précipice qui est près de votre ermitage.

» Lorsque nous y fûmes arrivés, la chèvre blanche se changea en un bouc noir. Cette métamorphose me fit grand-peur et je voulus fuir du côté de notre demeure, mais le bouc noir me coupa le chemin, et puis, se dressant sur ses pieds de derrière et me regardant avec des yeux enflammés, il me causa une telle frayeur que mes sens en furent glacés.

» Alors le bouc maudit se mit à me donner des coups de corne, en me ramenant vers le précipice. Lorsque j’y fus, il s’arrêta pour jouir de mes mortelles angoisses.

Enfin, il me précipita. Je me croyais en poudre, mais le bouc fut au fond du précipice avant moi et me reçut sur son dos sans que je me fisse du mal.

» De nouvelles frayeurs ne tardèrent pas à m’assaillir, car, dès que ce maudit bouc m’eut senti sur son dos, il se mit à galoper d’une étrange manière. Il ne faisait qu’un bond d’une montagne à l’autre, franchissant les plus profondes vallées comme si elles n’eussent été que des fossés. Enfin il se secoua, et je tombai je ne sais comment dans le fond d’une caverne. Là, je vis le jeune cavalier qui, ces jours derniers, a couché dans notre ermitage.

Il était sur son lit et avait auprès de lui deux filles très belles, habillées à la mauresque. Ces deux jeunes personnes, après lui avoir fait quelques caresses, ôtèrent de son cou une relique qui y était et, dès ce moment, elles perdirent leur beauté à mes yeux, et je reconnus en elles les deux pendus de la vallée de Los Hermanos.

Mais le jeune cavalier, les prenant toujours pour des personnes charmantes, leur prodigua les noms les plus tendres. Alors l’un des pendus ôta la corde qu’il avait à son cou et la mit au cou du cavalier, qui lui en témoigna sa reconnaissance par de nouvelles caresses. Enfin ils fermèrent leurs rideaux et je ne sais ce qu’ils firent alors, mais je pense que c’était quelque affreux péché.

» Je voulais crier, mais je ne pus proférer aucun son ; cela dura quelque temps. Enfin une cloche sonna minuit, et bientôt après je vis entrer un démon qui avait des cornes de feu et une queue enflammée que quelques petits diables portaient derrière lui.