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Votre affectionné,

DON SANCHE DE TOR DE PENNAS,

ministre de la Guerre.

Cette lettre était accompagnée d’un congé de trois mois en bonne forme et revêtu de tous les seings et cachets accoutumés.

Nous fîmes compliment au cabaliste sur la célérité de ses courriers. Puis nous le priâmes de tenir sa promesse et de nous conter ce qui lui était arrivé la nuit dernière à la Venta Quemada. Il nous répondit comme la veille qu’il y aurait bien des choses dans son récit que nous ne pourrions comprendre, mais, après avoir réfléchi un instant, il commença en ces termes.

HISTOIRE DU CABALISTE

— On m’appelle, en Espagne, Don Pedre de Uzeda, et c’est sous ce nom que je possède un joli château à une lieue d’ici. Mais mon véritable nom est Rabi Sadok Ben Mamoun, et je suis juif. Cet aveu est, en Espagne, un peu dangereux à faire, mais outre que je m’en fie à votre probité, je vous avertis qu’il ne serait pas très aisé de me nuire. L’influence des astres sur ma destinée commença à se manifester dès l’instant de ma naissance, et mon père, qui tira mon horoscope, fut comblé de joie lorsqu’il vit que j’étais venu au monde précisément à l’entrée du soleil dans le signe de la Vierge. Il avait, à la vérité, employé tout son art pour que cela arrivât ainsi, mais il n’avait pas espéré autant de précision dans le succès. Je n’ai pas besoin de vous dire que mon père, Mamoun, était le premier astrologue de son temps. Mais la science des constellations était une des moindres qu’il possédât, car il avait poussé celle de la cabale jusqu’à un degré où nul rabbin n’était parvenu avant lui.

» Quatre ans après que je fus venu au monde, mon père eut une fille, qui naquit sous le signe des Gémeaux.

Malgré cette différence, notre éducation fut la même.

Je n’avais pas encore atteint douze ans et ma sœur huit, que nous savions déjà l’hébreu, le chaldéen, le syro-chaldéen, le samaritain, le copte, l’abyssin et plusieurs autres langues mortes ou mourantes. De plus, nous pouvions, sans le secours d’un crayon, combiner toutes les lettres d’un mot de toutes les manières indiquées par les règles de la cabale.

» Ce fut aussi à la fin de ma douzième année que l’on nous boucla tous les deux, avec beaucoup d’exactitude, et pour que rien ne démentît la pruderie du signe sous lequel j’étais né l’on ne nous donna à manger que des animaux vierges, avec l’attention de ne me faire manger que des mâles et des femelles à ma sœur.

» Lorsque j’eus atteint l’âge de seize ans, mon père commença à nous initier aux mystères de la cabale Séfiroth. D’abord il mit entre nos mains le Sepher Zoohâr, ou livre lumineux, appelé ainsi parce que l’on n’y comprend rien du tout, tant la clarté qu’il répand éblouit les yeux de l’entendement. Ensuite nous étudiâmes le Siphra Dzaniutha, ou livre occulte, dont le passage le plus clair peut passer pour une énigme. Enfin nous en vînmes au Hadra Raba et Hadra Sutha, c’est-à-dire au grand et petit Sanhédrin. Ce sont des dialogues dans lesquels Rabbi Siméon, fils de Johaï, auteur des deux autres ouvrages, rabaissant son style à celui de la conversation, feint d’instruire ses amis des choses les plus simples, et leur révèle cependant les plus étonnants mystères, ou plutôt toutes ces révélations nous viennent directement du prophète Élie, lequel furtivement quitta le séjour céleste et assista à cette assemblée sous le nom du Rabbin Abba. Peut-être vous imaginez-vous, vous autres, avoir acquis quelque idée de tous ces divins écrits par la traduction latine que l’on a imprimée avec l’original chaldéen en l’année 1684, dans une petite ville de l’Allemagne appelée Francfort ? Mais nous nous rions de la présomption de ceux qui imaginent que, pour lire, il suffise de l’organe matériel de la vue. Cela pourrait suffire, en effet, pour de certaines langues modernes, mais dans l’hébreu, chaque lettre est un nombre, chaque mot une combinaison savante, chaque phrase une formule épouvantable qui, bien prononcée, avec toutes les aspirations, les accents convenables, pourrait abîmer les monts et dessécher les fleuves. Vous savez assez qu’Adunaï créa le monde par la parole, ensuite il se fit parole lui-même. La parole frappe l’air et l’esprit, elle agit sur les sens et sur l’âme. Quoique profane, vous pouvez aisément en conclure qu’elle doit être le véritable intermédiaire entre la matière et les intelligences de tous les ordres. Tout ce que je puis vous en dire, c’est que tous les jours nous acquérions non seulement de nouvelles connaissances, mais un pouvoir nouveau et, si nous n’osions pas en faire usage, au moins nous avions le plaisir de sentir nos forces et d’en avoir la conviction intérieure. Mais nos félicités cabalistiques furent bientôt interrompues par le plus funeste de tous les événements.

» Tous les jours, nous remarquions, ma sœur et moi, que notre père Mamoun perdait de ses forces. Il semblait un esprit pur, qui aurait revêtu une forme humaine seulement pour être perceptible aux sens grossiers des êtres sublunaires. Un jour, enfin, il nous fit appeler dans son cabinet. Son air était si vénérable et divin que, par un mouvement involontaire, nous nous mîmes tous deux à genoux. Il nous y laissa et, nous montrant une horloge de sable, il nous dit :

» – Avant que ce sable se soit écoulé, je ne serai plus.

Ne perdez aucune de mes paroles. Mon fils, je m’adresse d’abord à vous ; je vous ai destiné des épouses célestes, filles de Salomon et de la reine de Saba. Leur naissance ne les destinait qu’à être de simples mortelles. Mais Salomon avait révélé à la reine le grand nom de celui qui est. La reine le proféra à l’instant même de ses couches. Les génies du grand orient accoururent et reçurent les deux jumelles, avant qu’elles eussent touché le séjour impur que l’on nomme terre. Ils les portèrent dans la sphère des filles d’Elohim, où elles reçurent le don de l’immortalité, avec le pouvoir de le communiquer à celui qu’elles choisiraient pour leur époux commun. Ce sont ces deux épouses ineffables que leur père a eues en vue dans son Schir haschirim, ou Cantique des cantiques. Étudiez ce divin Épithalame de neuf en neuf versets. Pour vous, ma fille, je vous destine un hymen encore plus beau. Les deux Thamims, ceux que les Grecs ont connus sous le nom de Dioscures, les Phéniciens sous celui de Kabires ; en un mot, les Gémeaux célestes. Ils seront vos époux – que dis-je ? votre cœur sensible, je crains qu’un mortel… – Le sable s’écoule. Je meurs.

» Après ces mots, mon père s’évanouit, et nous ne trouvâmes à la place où il avait été qu’un peu de cendres brillantes et légères. Je recueillis ces restes précieux. Je les enfermai dans une urne et je les plaçai dans le tabernacle intérieur de notre maison, sous les ailes des chérubins.

» Vous jugez bien que l’espoir de jouir de l’immortalité et de posséder deux épouses célestes me donna une nouvelle ardeur pour les sciences cabalistiques, mais je fus des années avant que d’oser m’élever à une telle hauteur, et je me contentai de soumettre à mes conjurations quelques génies du dix-huitième ordre. Cependant, m’enhardissant peu à peu, j’essayai l’année passée un travail sur les premiers versets du Schir haschirim. A peine en avais-je composé une ligne qu’un bruit affreux se fit entendre, et mon château sembla s’écrouler sur ses fondements. Tout cela ne m’effraya point ; au contraire, j’en conclus que mon opération était bien faite. Je passai à la seconde ligne ; lorsqu’elle fut achevée, une lampe que j’avais sur ma table sauta sur le parquet, y fit quelques bonds et alla se placer devant un grand miroir qui était au fond de ma chambre. Je regardai dans le miroir et je vis le bout de deux pieds de femme très jolis. Puis deux autres petits pieds. J’osai me flatter que ces pieds charmants appartenaient aux célestes filles de Salomon, mais je ne crus pas devoir pousser plus loin mes opérations.