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» Il y avait déjà huit jours que j’étais arrêté à Reggio et livré à ces incertitudes, lorsqu’un jour, après m’être assez longtemps promené sur le port, je m’assis sur des pierres, du côté de la plage où il y avait le moins de monde. Là, je fus abordé par un homme d’une figure avantageuse et couvert d’un manteau écarlate. Il s’assit à côté de moi sans faire de compliments ; puis il me parla ainsi :

» – Le seigneur Romati est-il occupé de quelque problème d’algèbre ou d’astronomie ?

» – Point du tout, lui répondis-je, le seigneur Romati voudrait seulement aller de Reggio à Naples, et le problème qui l’embarrasse en cet instant est de savoir comment il échappera à la bande du seigneur Zoto.

» Alors l’inconnu, prenant un air fort sérieux, me dit :

» – Seigneur Romati, vos talents font déjà honneur à votre pays, vous lui en ferez encore plus lorsque les voyages que vous entreprenez auront étendu la sphère de vos connaissances. Zoto est trop galant homme pour vouloir vous arrêter dans une aussi noble entreprise.

Prenez ces aigrettes rouges, mettez-en une à votre chapeau ; donnez les autres à vos gens, et partez hardiment. Quant à moi, je suis ce Zoto que vous craignez tant, et pour que vous n’en doutiez pas je vais vous montrer les instruments de ma profession.

» En même temps, il ouvrit son manteau et me fît voir une ceinture de pistolets et de poignards. Puis il me serra affectueusement la main et disparut. »

Ici j’interrompis le chef des Bohémiens pour lui dire que j’avais entendu parler de ce Zoto, et que je connaissais ses deux frères.

— Je les connais aussi, reprit Pandesowna. Ils sont, ainsi que moi, au service du grand cheik des Gomélez.

— Quoi ? Vous aussi à son service ! m’écriai-je avec le plus grand étonnement.

En ce moment, un Bohémien vint parler à l’oreille du chef, qui se leva aussitôt et me laissa le temps de m’occuper de ce qu’il venait de m’apprendre. « Quelle est donc, me dis-je en moi-même, quelle est cette puissante association qui paraît n’avoir d’autre but que de cacher je ne sais quel secret, ou de me fasciner les yeux par des prestiges dont je devine quelquefois une partie, tandis que d’autres circonstances ne tardent pas à me replonger dans le doute. Il est clair que je fais moi-même partie de cette chaîne invisible. Il est clair que l’on veut m’y retenir encore plus étroitement. »

Mes réflexions furent interrompues par les deux filles du chef, qui vinrent me proposer une promenade.

J’acceptai et les suivis ; la conversation fut en bon espagnol et sans aucun mélange de hérigonze (ou jargon bohémien) ; leur esprit était cultivé et leur caractère gai et ouvert. Après la promenade, on soupa et l’on fut se coucher. Mais, la nuit, point de cousines.

TREIZIÈME JOURNÉE

Le chef des Bohémiens me fit apporter un ample déjeuner et me dit :

— Seigneur cavalier, les ennemis approchent, c’est-à-dire les gardes de la douane. Il est juste de leur céder le champ de bataille. Ils y trouveront les ballots qui leur sont destinés, le reste est déjà en sûreté. Déjeunez à votre aise, et puis nous partirons.

Comme l’on voyait déjà les gardes de la douane de l’autre côté du vallon, je déjeunai à la hâte, tandis que le gros de la troupe prenait les devants. Nous errâmes de montagne en montagne, nous enfonçant toujours davantage dans les déserts de la Sierra Morena.

Enfin, nous nous arrêtâmes dans une vallée fort profonde, où déjà l’on nous attendait, et l’on avait préparé notre repas. Après qu’il fut terminé, je priai le chef de continuer l’histoire de sa vie, ce qu’il fit en ces termes :

SUITE DE L’HISTOIRE DE PANDESOWNA

— Vous m’avez laissé, écoutant de toutes mes oreilles, le récit admirable de Giulio Romati. Voici donc, à peu près, comment il s’exprima :

SUITE DE L’HISTOIRE DE GIULIO ROMATI

» Le caractère connu de Zoto me fit prendre une confiance entière aux assurances qu’il m’avait données.

Je retournai très satisfait à mon auberge et je fis chercher des muletiers. Il s’en offrit plusieurs, car les bandits ne leur faisaient aucun mal non plus qu’à leurs bêtes. Je choisis l’homme qui jouissait parmi eux de la meilleure réputation. Je pris une mule pour moi, une pour mon domestique et deux pour mon bagage.

Le muletier en chef avait aussi sa mule et deux valets qui suivaient à pied.

» Je partis le lendemain à la pointe du jour et je ne fus pas plus tôt en chemin que je vis des partis de la bande de Zoto qui semblaient me suivre de loin et se relayaient de distance en distance. Vous jugez bien que de cette manière il ne pouvait m’arriver aucun mal.

» Je fis un voyage fort agréable, pendant lequel ma santé se raffermissait de jour en jour. Je n’étais plus qu’à deux journées de Naples, lorsque l’idée me vint de me détourner de mon chemin pour passer à Salerne.

Cette curiosité était fort naturelle. Je m’étais beaucoup attaché à l’histoire de la renaissance des arts, dont l’école de Salerne avait été le berceau en Italie. Enfin, je ne sais quelle fatalité m’entraînait à ce funeste voyage.

» Je quittai le grand chemin à Monte-Brugio, et, conduit par un guide du village, je m’enfonçai dans le pays le plus sauvage qu’il soit possible d’imaginer.

Sur le midi, nous arrivâmes à une masure toute ruinée que le guide m’assura être une auberge, mais je ne m’en aperçus pas à la réception que me fit l’hôte.

Car, bien loin de m’offrir quelques provisions, il me demanda en grâce de lui faire part de celles que je pourrais avoir avec moi. J’avais effectivement quelques viandes froides, que je partageai avec lui, avec mon guide et mon valet, car les muletiers étaient restés à Monte-Brugio.

» Je quittai ce mauvais gîte, vers les deux heures après midi ; et bientôt après je découvris un château très vaste situé sur le haut d’une montagne. Je demandai à mon guide comment ce lieu s’appelait et s’il était habité. Il me répondit que dans le pays on appelait ce lieu simplement « Lo Monte » ou bien « Lo Castello » ; que le château était entièrement désert et ruiné, mais que dans l’intérieur on avait bâti une chapelle, avec quelques cellules, où les franciscains de Salerne entretenaient habituellement cinq ou six religieux, et il ajouta avec beaucoup de naïveté :

» – On fait bien des histoires sur ce château, mais je ne puis vous en dire aucune, car dès que l’on commence à en parler je m’enfuis de la cuisine et je m’en vais chez ma belle-sœur la Pepa, où je trouve toujours quelque père franciscain qui me donne son scapulaire à baiser.

» Je demandai à ce garçon si nous passerions près de ce château. Il me répondit que nous passerions à mi-côte de la montagne sur laquelle il était bâti.

» Sur ces entrefaites, le ciel se chargea de nuages, et vers le soir un orage affreux vint à fondre sur nos têtes. Nous étions alors sur un dos de montagne qui n’offrait aucun abri. Le guide dit qu’il savait une caverne où nous pourrions nous mettre à couvert, mais que le chemin en était difficile. Je m’y hasardai, mais à peine étions-nous engagés entre les rochers que le tonnerre tomba tout auprès de nous. Ma mule s’abattit, et je roulai de la hauteur de quelques toises.

Je m’accrochai à un arbre, et lorsque je sentis que j’étais sauvé j’appelai mes compagnons de voyage, mais aucun ne me répondit.

» Les éclairs se succédaient avec tant de rapidité qu’à leur lumière je pus distinguer les objets qui m’environnaient et changer de place avec quelque sûreté.