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» C’était une rotonde tapissée en nacre et les bordures en burgos. Au lieu de draperies, le haut des parois était garni d’un filet de perles à grosses mailles, avec une frange de perles, toutes de la même grandeur et de la même eau. Le plafond était fait d’une seule glace, à travers laquelle on voyait nager des poissons dorés de la Chine. Au lieu de baignoire, il y avait un bassin circulaire autour duquel régnait un cercle de mousse artificielle où l’on avait rangé les plus belles coquilles de la mer des Indes.

» Ici, je ne pus plus renfermer en moi-même les témoignages de mon admiration, et je dis :

» – Ah ! Madame, le Paradis n’est pas un plus beau séjour.

» – Le Paradis, s’écria la Dame avec l’air de l’égarement et du désespoir, le Paradis. N’a-t-il pas parlé du Paradis ? Monsieur Romati, je vous en prie, ne vous exprimez plus de cette manière. Je vous en prie sérieusement. Suivez-moi.

» Nous passâmes alors dans une volière remplie de tous les oiseaux du tropique et de tous les aimables chanteurs de nos climats. Nous y trouvâmes une table servie pour moi seul.

» – Ah ! Madame, dis-je à ma belle conductrice, comment songe-t-on à manger dans un séjour aussi divin ? Je vois que vous ne voulez pas vous mettre à table, et je ne saurais me résoudre à m’y mettre seul, à moins que vous ne daigniez m’entretenir de la Princesse qui possède tant de merveilles.

» La Dame sourit obligeamment, me servit, s’assit et commença en ces termes :

» – Je suis fille du dernier prince de Mont-Salerno.

» – Qui ? vous, Madame ?

» – Je voulais dire la Princesse de Mont-Salerno.

Mais [ne] m’interrompez plus.

HISTOIRE DE LA PRINCESSE DE MONT-SALERNO

» – Le Prince de Mont-Salerno, qui descendait des anciens ducs de Salerne, était grand d’Espagne, connétable, grand Amiral, grand Écuyer, grand Maître de la Maison, grand Veneur, enfin il réunissait en sa personne toutes les grandes charges du royaume de Naples.

Mais, bien qu’il fût au service de son roi, il avait lui-même une maison composée de gentilshommes parmi lesquels il y en avait plusieurs de titrés. Au nombre de ceux-ci se trouvait le Marquis de Spinaverde, premier gentilhomme du Prince, et possédant toute sa confiance, qu’il partageait cependant avec sa femme, la Marquise de Spinaverde, première Dame d’atour de la Princesse.

» J’avais dix ans… Je voulais dire que la fille unique du Prince de Mont-Salerno avait dix ans lorsque sa mère mourut. À cette, époque, les Spinaverde quittèrent la maison du Prince, le mari pour prendre la régie de tous les fiefs, la femme pour prendre soin de mon éducation. Ils laissèrent à Naples leur fille aînée, appelée Laure, qui eut auprès du Prince une existence un peu équivoque. Sa mère et la jeune Princesse vinrent résider à Mont-Salerno.

» On s’occupait peu de l’éducation d’Elfrida, mais beaucoup de celle de ses entours. On leur enseignait à courir au-devant de mes moindres désirs.

» – De vos moindres désirs… dis-je à la Dame.

» – Je vous avais prié de ne point m’interrompre, reprit-elle avec un peu d’humeur21.

» Après quoi elle continua en ces termes :

» – Je me plaisais à mettre la soumission de mes femmes à toutes sortes d’épreuves. Je leur donnais des ordres contradictoires dont elles ne pouvaient jamais exécuter que la moitié, et je les en punissais soit en les pinçant, soit en leur enfonçant des épingles dans les bras et les cuisses. Elles me quittèrent. La Spinaverde m’en donna d’autres, qui me quittèrent aussi.

» Sur ces entrefaites, mon père devint malade, et nous allâmes à Naples. Je le voyais peu, mais les Spinaverde ne le quittaient pas d’un moment. Enfin, il mourut après avoir fait un testament par lequel il nommait Spinaverde seul tuteur de sa fille et administrateur des fiefs et autres biens.

» Les funérailles nous occupèrent plusieurs semaines, après lesquelles nous retournâmes à Mont-Salerno, où je recommençai à pincer mes femmes de chambre.

Quatre années s’écoulèrent dans ces innocentes occupations, qui m’étaient d’autant plus douces que la Spinaverde m’assurait tous les jours que j’avais raison, que tout le monde était fait pour m’obéir, et que ceux qui ne m’obéissaient pas assez tôt ou assez bien méritaient toutes sortes de punitions.

» Un jour, pourtant, toutes mes femmes me quittèrent l’une après l’autre, et je me vis sur le point d’être réduite le soir à me déshabiller moi-même.

J’en pleurai de rage, et je courus chez la Spinaverde, qui me dit :

» – Chère et douce Princesse, essuyez vos beaux yeux. Je vous déshabillerai ce soir, et demain je vous amènerai six femmes de chambre, dont sûrement vous serez contente.

» Le lendemain, à mon réveil, la Spinaverde me présenta six jeunes filles très belles, dont la première vue me causa une sorte d’émotion. Elles-mêmes paraissaient émues. Je fus la première à me remettre de mon trouble.

Je sautai de mon lit tout en chemise. Je les embrassai les unes après les autres et les assurai que jamais elles ne seraient ni grondées ni pincées. En effet, soit qu’elles fissent quelque gaucherie en m’habillant, soit qu’elles osassent me contrarier, je ne me fâchai jamais.

» – Mais, Madame, dis-je à la Princesse, ces jeunes filles étaient peut-être des garçons déguisés.

» La Princesse prit un air de dignité et me dit :

» – Monsieur Romati, je vous avais prié de ne pas m’interrompre.

» Ensuite, elle reprit ainsi le fil de son discours :

» – Le jour où j’achevai seize ans, l’on m’annonça une visite illustre. C’était un secrétaire d’État, l’Ambassadeur d’Espagne et le Duc de Guadarrama. Celui-ci venait me demander en mariage. Les deux autres n’y étaient que pour appuyer sa demande. Le jeune Duc avait la meilleure mine qu’on puisse imaginer, et je ne puis nier qu’il n’ait fait quelque impression sur moi.

» Le soir, on proposa une promenade au parc. A peine y eûmes-nous fait quelques pas qu’un taureau furieux s’élança du milieu d’un bouquet d’arbres et vint fondre sur nous. Le Duc courut à sa rencontre, son manteau dans une main et son épée dans l’autre. Le taureau s’arrêta un instant, s’élança sur le Duc, s’enferra lui-même dans son épée et tomba à ses pieds. Je me crus redevable de la vie à la valeur et à l’adresse du Duc.

Mais le lendemain j’appris que le taureau avait été aposté exprès par l’écuyer du Duc, et que son maître avait fait naître cette occasion de me faire une galanterie à la manière de son pays. Alors, bien loin de lui en savoir quelque gré, je ne pus lui pardonner la peur qu’il m’avait faite, et je refusai sa main.

» La Spinaverde me sut gré de mon refus. Elle saisit cette occasion de me faire connaître tous mes avantages et combien je perdrais à changer d’état et à me donner un maître. Quelque temps après, le même secrétaire d’État vint encore me voir, accompagné d’un autre ambassadeur, ainsi que du Prince régnant de Noudel-Hansberg. Ce souverain était un grand, gros, gras, blond, blanc, blafard, qui voulut m’entretenir des majorats qu’il avait dans les États héréditaires ; mais en parlant italien il avait l’accent du Tyrol. Je me mis à parler comme lui ; et, tout en le contrefaisant, je l’assurai que sa présence était très nécessaire dans ses majorats des États héréditaires. Il s’en alla un peu piqué. La Spinaverde me mangea de caresses, et, pour me retenir plus sûrement à Mont-Salerno, elle a fait exécuter toutes les belles choses que vous voyez.

» – Ah ! m’écriai-je, elle a parfaitement réussi. Ce beau lieu peut être appelé un Paradis sur la terre.

» À ces mots, la Princesse se leva avec indignation et me dit :