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» Ah ! ah ! je vous y prends, me dit-il. Monseigneur de Tolède m’a dit qu’il ne vous voyait plus et que vous aviez des allures dont il n’était pas informé. Je ne lui ai demandé que vingt-quatre heures pour les découvrir et j’y ai réussi. Ah ! çà, mon garçon, tu me dois du respect, car j’ai épousé ta belle-mère.

» Ce peu de mots me rappela combien Busqueros avait contribué à la mort de mon père. Je ne pus m’empêcher de lui montrer de la malveillance et je m’en débarrassai.

» Le lendemain, j’allai chez la duchesse et lui parlai de cette fâcheuse rencontre. Elle en parut très affectée.

» – Busqueros, me dit-elle, est un furet auquel rien n’échappe : il faut soustraire Léonore à sa curiosité.

Dès aujourd’hui, je la fais partir pour Avila. Ne m’en voulez pas, Avadoro, c’est pour assurer votre bonheur.

» – Madame, lui dis-je, l’idée du bonheur semble supposer l’accomplissement des désirs, et je n’ai jamais désiré être l’époux de Léonore. Cependant il est véritable qu’à présent je me suis attaché à elle, et je l’aime tous les jours davantage, si toutefois cette expression m’est permise, car je ne la vois point le jour.

» Le même soir, j’allai à la rue Retrada, mais je n’y trouvai personne : la porte et les volets étaient fermés.

» Quelques jours après, Tolède me fit appeler dans son cabinet et me dit :

» – Avadoro, j’ai parlé de vous au roi. Sa Majesté vous donne une commission pour Naples. Temple, cet aimable Anglais, m’a fait faire des ouvertures ; il désire me voir à Naples, et, si je n’y peux aller, il veut que ce soit vous. Le roi ne juge point à propos que je fasse ce voyage et veut vous y envoyer. Mais, ajouta Tolède, vous ne me paraissez pas trop flatté de ce projet.

» – Je suis très flatté des bontés de Sa Majesté, mais j’ai une protectrice et je ne voudrais rien faire sans son approbation.

» Tolède sourit et me dit :

» – J’ai parlé à la duchesse ; allez la voir ce matin.

» J’y allai. La duchesse me dit :

» – Mon cher Avadoro, vous connaissez la position actuelle de la monarchie espagnole ; le roi est proche de sa fin et avec lui finit la ligne autrichienne ; en des circonstances aussi critiques, tout bon Espagnol doit s’oublier lui-même et, s’il peut servir son pays, il n’en doit pas manquer les occasions. Votre femme est en sûreté ; elle ne vous écrira point. Je lui servirai de secrétaire. Si j’en crois la duègne, je serai dans le cas de vous annoncer bientôt des choses qui vous attacheront encore plus à Léonore.

» En disant ces mots, la duchesse baissa les yeux, rougit, puis elle me fit signe de me retirer.

» Je pris mes instructions chez le ministre. Elles concernaient la politique extérieure et s’étendaient aussi à l’administration du royaume de Naples, qu’on voulait, plus que jamais, rattacher à l’Espagne. Je partis dès le lendemain et fis le voyage avec toute la diligence possible.

» Je mis, à remplir ma commission, le zèle qu’on a pour un premier travail. Mais, dans les intervalles de mes occupations, les souvenirs de Madrid reprenaient un grand empire sur mon âme. La duchesse m’aimait, malgré qu’elle en eût ; elle m’en avait fait l’aveu.

Devenue ma belle-sœur, elle s’était guérie de ce que ce sentiment pouvait avoir de passionné ; mais elle m’avait conservé un attachement dont elle me donnait mille preuves. Léonore, mystérieuse déesse de mes nuits, m’avait, par les mains de l’hymen, offert la coupe des voluptés ; son souvenir régnait sur mes sens autant que sur mon cœur ; mes regrets, pour elle, se tournaient presque en désespoir ; ces deux femmes exceptées, le sexe m’était indifférent.

» Les lettres de la duchesse m’arrivaient dans le pli du ministre. Elles n’étaient point signées et l’écriture en était contrefaite. J’appris ainsi que Léonore avançait dans sa grossesse, mais qu’elle était malade et surtout languissante. Ensuite je sus que j’étais père, et que Léonore avait beaucoup souffert. Les nouvelles qu’on me donnait de sa santé semblaient conçues de manière à en préparer de plus tristes encore.

» Enfin, je vis arriver Tolède au moment ou je m’y attendais le moins. Il se jeta dans mes bras.

» – Je viens, me dit-il, pour les intérêts du roi ; mais ce sont les duchesses qui m’envoient.

» En même temps, il me remit une lettre. Je l’ouvris en tremblant ; j’en pressentis le contenu. La duchesse m’annonçait la fin de Léonore et m’offrait toutes les consolations de la plus tendre amitié.

» Tolède qui, depuis longtemps, avait sur moi le plus grand ascendant, en usa pour rendre le calme à mes esprits. Je n’avais, pour ainsi dire, point connu Léonore ; mais elle était mon épouse, et son idée s’identifiait au souvenir des délices de notre courte union. II me resta de ma douleur beaucoup de mélancolie et d’abattement.

» Tolède prit sur lui le soin des affaires, et, lorsqu’elles furent terminées, nous retournâmes à Madrid. Près des portes de la capitale, il me fit descendre et, prenant des chemins détournés, il me conduisit au cimetière des carmélites : là, il me fit voir une urne de marbre noir ; on lisait sur sa base : Léonore Avadoro. Ce monument fut baigné de mes pleurs ; j’y retournai plusieurs fois avant de voir la duchesse. Elle ne m’en sut point mauvais gré : bien au contraire, la première fois que je la vis, elle me témoigna une affection qui tenait de la tendresse.

Enfin elle me conduisit dans l’intérieur de son appartement et me fit voir un enfant au berceau : mon émotion était à son comble. Je mis un genou en terre ; la duchesse me tendit la main pour me relever. Je la baisai : elle me fit signe de me retirer.

» Le lendemain, je me rendis chez le ministre et, avec lui, chez le roi. Tolède, en m’envoyant à Naples, avait voulu un prétexte de me faire accorder des grâces ; je fus fait chevalier de Calatrava. Cette décoration, sans me mettre au niveau des premiers rangs, m’en rapprochait néanmoins. Je fus, avec Tolède et les deux duchesses, sur un pied qui ne tenait plus en rien de l’infériorité ; d’ailleurs, j’étais leur ouvrage, et ils paraissaient se plaire à me relever.

» Bientôt après, la duchesse d’Avila me chargea de suivre une affaire qu’elle avait au conseil de Castille ; j’y mis le zèle qu’on peut imaginer et une prudence qui ajouta à l’estime que j’avais inspirée à ma protectrice.

Je la voyais tous les jours et toujours plus affectueuse.

Ici commence le merveilleux de mon histoire.

» À mon retour d’Italie, j’avais repris mon logement chez Tolède ; mais la maison que j’avais rue Retrada était restée à ma charge. J’y faisais coucher un domestique appelé Ambrosio. La maison vis-à-vis, qui était celle où je m’étais marié, appartenait à la duchesse. Elle était fermée, et personne ne l’habitait. Un matin, Ambrosio vint me prier de mettre quelqu’un à sa place, surtout quelqu’un de brave, vu qu’après minuit il n’y faisait pas bon, non plus que dans la maison de l’autre côté de la rue.

» Je voulus me faire expliquer de quelle nature étaient les apparitions ; Ambrosio m’avoua que la peur l’avait empêché de rien distinguer. Au surplus, il était décidé à ne plus coucher dans la rue Retrada, ni seul, ni en compagnie. Ces propos piquèrent ma curiosité. Je me décidai à tenter l’aventure dès la même nuit. La maison était restée garnie de quelques meubles. Je m’y transportai après le souper. Je fis coucher un valet dans l’escalier et j’occupai la chambre qui donnait sur la rue et faisait face à l’ancienne maison de Léonore. Je pris quelques tasses de café pour ne point m’endormir et j’entendis sonner minuit. Ambrosio m’avait dit que c’était l’heure du revenant. Pour que rien ne l’effarouchât, j’éteignis ma bougie. Bientôt je vis de la lumière dans la maison vis-à-vis. Elle passa d’une chambre et d’un étage dans l’autre ; les jalousies m’empêchaient de voir d’où provenait cette lumière. Le lendemain, je fis demander, chez la duchesse, les clefs de la maison et je m’y transportai. Je la trouvai entièrement vide et m’assurai qu’elle n’était point habitée. Je décrochai une jalousie à chaque étage et puis j’allai vaquer à mes affaires.