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— Et là ?! sursauta le Toro.

— Qu’est-ce qui se passe ? souffla Parise sur leur droite.

Le gros homme aurait juré avoir vu passer une forme, entre les arbres… Toute proche.

— J’ai vu passer un truc, souffla-t-il.

— Quoi ?

— J’en sais rien, putain !

Le Picador scruta les ténèbres, la main rivée sur son pistolet automatique, les sens aux aguets. Une série de légers craquements se fit entendre dans leur dos, comme des pas furtifs qui couraient à « huit heures » : ils se retournèrent, braquèrent leurs armes vers le noir, attendirent, le cœur battant… Plus un bruit.

Parise s’était mis debout sans prendre appui sur sa cheville blessée, les yeux dilatés.

— Il y a quelqu’un, souffla le Toro. J’ai vu une forme…

— Il fait noir, connard !

— Justement !

Les vieillards se redressèrent à leur tour, dans l’expectative.

— Qu’est-ce qui se passe ?! lança le général.

Le Picador la vit alors sur sa droite, une fraction de seconde : une ombre striée de blanc filant à toute vitesse entre les arbres. Des rayures verticales. Un putain de fantôme. Il tira trois balles coup sur coup, qui se fichèrent dans l’écorce toute proche.

— Y a quelque chose, cria-t-il, là !

— Où ?! gronda le chauve.

Il ne sentait que la poudre et la peur des autres collés les uns aux autres.

— À dix heures !

Ils n’avaient plus de repères, et l’ombre avait disparu.

— Quoi ?! s’agaça Parise. Qu’est-ce que tu as vu ?!

— Une bête, rétorqua le Picador. Une bête avec des bandes blanches… phosphorescentes !

— Ouais ! confirma le Toro.

Les fuyards ne voyaient rien, que la nuit qui tremblait.

— Vous délirez ! gronda Ardiles. Vous êtes devenus complètement malades !

Le temps resta suspendu : puis il l’aperçut à son tour, sur sa droite, spectre ou animal dont l’ombre les contournait en se déplaçant très vite.

— Là ! C’est là ! Sur la droite !!!

Les détonations claquèrent dans l’air saturé de la forêt, dévoilant un bref instant leurs visages ébahis, mais s’il y avait une forme, elle avait disparu.

— C’est le diable ! fulmina von Wernisch. C’est le diable qui nous a menés là !

Le général tâtonna en aveugle, accrocha la veste de Parise et ne le lâcha plus.

— Donnez-moi une arme ! éructa-t-il, autoritaire. Donnez-moi une arme !

Le géant se dégagea d’un revers. Ils n’avaient que trois pistolets et les chargeurs étaient restés sous le siège du Land Cruiser. Le chef de la sécurité crut alors sentir une présence dans son dos. Il hésita à tirer de peur de blesser un des siens, mais c’était sûr : quelque chose rôdait autour d’eux. Quelque chose qui ne semblait pas humain.

— C’est quoi ? rugit le Toro.

— Il ne faut pas rester ici ! répéta le cardinal. Il y a des esprits mauvais dans ces bois, je les sens. Je sens leur présence autour de moi. Ils rôdent… Vous ne sentez pas ?!

Le diable errait dans la forêt, autour d’eux. Une menace terrible, qui allait bientôt les frapper. Même le général Ardiles tremblait à côté de lui. La vieille peur du noir l’avait saisi à la gorge. Un vent de panique souffla quand la tête du fantôme apparut derrière le tronc : une barre blanche, à peine perceptible dans l’obscurité, à trois mètres de lui.

— Donnez-moi ça ! siffla Ardiles en se jetant sur le pistolet de Parise.

Il voulut lui arracher l’arme des mains mais le chauve le repoussa brutalement : il avait la cheville brisée et les deux vieux pétaient les plombs. Jeté à terre, Ardiles hurla de douleur en tombant sur son bras blessé. Un projectile rasa le crâne de Parise, et ricocha contre le tronc de l’araucaria. Une balle de revolver, tirée tout près de là. Non, ce n’était pas des fantômes, mais un ou plusieurs chasseurs embusqués. Parise se baissa et fit feu, au risque d’essuyer une riposte ciblée.

— Dégagez de là ! cria-t-il en braquant son arme automatique. Putain, dégagez de là !

Il appuya sur la détente avant que le cliquetis du percuteur ne s’affole. Il insista, en vain : le Glock était vide.

— Mierda !

Une balle fendit les ténèbres, sur leur gauche. Le Picador se mit à couiner, battant les bras autour de lui.

— Putain, je suis touché ! Aah ! Putain de saloperie de merde !

— Où ça, s’affola le Toro. Où ça, putain ?! On n’y voit rien !

— La concha de tu abuela[11] ! jura l’autre entre les dents. J’ai la jambe cassée, putain, j’en suis sûr !

La balle lui avait brisé le tibia. Il s’appuyait contre le tronc sans savoir comment il pouvait tenir debout. Parise pesta dans le noir : ils allaient se faire tirer comme des lapins s’ils restaient là. Le tueur les observait, en ce moment même, et lui n’avait plus d’arme.

— Sauve qui peut ! gronda-t-il en relevant le général.

Le chef détalait. Pris de panique, le Toro et le Picador tirèrent trois balles pour couvrir leur fuite, abandonnant von Wernisch à son sort. Soutenant son ami blessé, le Toro se fraya un chemin entre les ronces. Parise était parti dans la direction opposée avec Ardiles, laissant le cardinal sous l’arbre — ils en étaient à sauver leur peau. Le géant se cogna aux branches, rebondit dans les cordes, serrant les dents pour ne pas hurler.

— Attendez-moi ! s’égosillait le général. Parise ! Pour l’amour de Dieu, attendez-moi !

— Magnez-vous, merde !

La forêt était hantée, on n’y voyait rien. Le Toro et le Picador écartaient les bras devant eux sans plus penser qu’à s’échapper du piège. Ils entendaient les appels au secours du cardinal dans leur dos, des cris effrayants qui leur glaçaient les os. Ils poursuivirent leur course à travers les fourrés, des aiguilles dans le sang.

— J’ai mal ! jurait le Picador à quelques encablures. J’ai mal, merde !

— Ta gueule, putain, on va se faire repérer !

Ils avançaient tant bien que mal, à tâtons, divaguant dans cet enchevêtrement de lianes et de ronces qui ne menait nulle part. Le Toro ouvrait la marche, les mains en sang à force de brasser les épines, il essayait d’enjamber les racines, les arbustes, rebondissait comme une bille folle. L’esprit occupé à fuir l’enfer où on l’avait mené, le gros homme buta tête la première contre un tronc.

— Putain ! jura-t-il à mi-voix.

Il chassa d’une main rageuse les bouts d’écorce incrustés sur son front, reprit son souffle sans cesser de scruter l’obscurité. Il ne savait pas combien de balles il restait dans son pistolet, ses poches étaient vides et la peur dégoulinait sur son visage. Il réalisa alors qu’il était seul.

— Picador ! cria-t-il. Tu es où ?

Pas de réponse. Il déglutit, hors d’haleine : il avait perdu son binôme. Il le suivait pourtant tout à l’heure — du moins le croyait-il. Une bouffée d’angoisse lui serra le cœur. Revenir sur ses pas pour quoi faire ? Se faire étriper par ces putains de fantômes à rayures ?!

— T’es où, bon Dieu ?! Pic ! Oh ! Pic !

L’obscurité étouffait ses appels. Toujours aucun écho. Qu’un vide tonitruant. On n’entendait que le bruissement du vent dans les cimes, le craquement des arbres au-dessus, ces bruits de forêt qui lui retournaient l’épiderme. L’envie de chier se fit plus pressante. Le Toro crut deviner quelque chose sur sa gauche, expédia deux balles dans la nature. La sueur coulait sur ses yeux d’aveugle, il écarquillait en vain les pupilles, les intestins retournés.

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11

« La chatte de ta grand-mère. »