Je me suis levée pour ne plus devoir contempler ce visage.
Tandis qu'il parlait, je regardais par la fenêtre. Il pleuvait. Les arbres étaient secoués par des bourrasques. La nuit tombait. La voix d'Hubert, hachée par l'émotion, continuait à débiter sa sordide confession.
« Je te quitte parce que j'aime un homme. Voilà, les mots sont sortis. Tu vas les trouver laids. Cet homme, tu ne le connais pas. Tu es forte, Thérèse. Tu es une femme. Je crois que les femmes sont plus fortes que nous. Je veux le croire pour ne pas me sentir trop coupable. Pour ne pas avoir l'impression d'avoir gâché ta vie. Le lendemain, tu m'as dit : “Je te pardonne. Tu as eu des faiblesses. C'est humain. Mais je t'aime et je veux élever Louis avec toi. Tu es mon mari, et je t'aime.” J'ai compris qu'il fallait que je te dise la vérité. Si tu n'étais pas tombée sur cette facture de Carte Bleue, je te l'aurais avoué quand même. Je frémis en imaginant la réaction de tes parents, de mes parents, de nos amis. Je pense à tout ce que tu vas devoir endurer. Je pense à notre fils. Il est si petit. Je me dis que je devrais partir sans rien, sans lettre, sans explications et que tu finirais bien par savoir. Mais je te dois la vérité. »
J'ai quitté la fenêtre pour m'asseoir de nouveau, mais dos à l'écran. Il m'était impossible de regarder son visage.
« Je crois que j'ai toujours préféré les hommes sans jamais l'accepter. Quand j'avais quatorze ans, je me masturbais avec un ami de classe. Les filles ne m'intéressaient pas. Il achetait des magazines où on voyait des femmes nues, qui le faisaient bander. Moi pas. Ce qui me faisait bander, c'était lui. J'ai couché pour la première fois avec un homme vers l'âge de dix-huit ans. J'ai compris que j'aimais ça. Je préfère les corps d'hommes, les odeurs masculines, cette virilité qui est aussi la mienne. J'ai essayé d'en parler à mes parents. Je me sentais sale, coupable, pervers. Mais ils n'ont pas voulu m'entendre. Ou, plutôt, ils ont eu peur. Ils se sont renfermés. Ils m'ont laissé à mes démons. Puis je t'ai connue, après plusieurs années d'errances et de doutes. Tu étais belle et douce. Tu l'es toujours. Je me suis dit : c'est une femme comme elle qui va me sauver, qui va me sortir de là. Avec elle, je vais être un homme normal. Un homme marié. Marié et père de famille. Alors, pendant trois ans, j'ai essayé de jouer ce rôle. Thérèse, j'ai fait tout ce que j'ai pu. Étrangement, je ne me suis jamais forcé à faire l'amour avec toi. Avec toi, c'était naturel et beau. C'était innocent, tendre. Mais ce n'était pas sexuel. Ce n'était pas vraiment faire l'amour, pour moi. Tout simplement parce que tu es une femme et moi un homme qui préfère les hommes. Il y a des nuits où je me réveillais en sueur, tu dormais si paisiblement à côté de moi, si heureuse, et je voulais tant te dire mes tourments. Puis tu es devenue mère et, devant ce ventre rond, j'aurais été un monstre de te déballer les immondices qui me torturaient. Je vibrais dès qu'un homme me plaisait. J'allais rôder dans des sex-shops, j'achetais des cassettes où l'on voit des hommes s'aimer. Je les regardais quand tu étais absente. Cela m'excitait beaucoup. J'avais peur que tu les trouves. Alors je les détruisais. Je me disais que j'étais malade, anormal. Des envies horribles me prenaient. Il fallait les étouffer. Je n'en pouvais plus. Je traînais dans ces endroits où vont les homosexuels. Il y avait des W-C avec des trous dans les cloisons. Les trous étaient assez bas. Je ne comprenais pas à quoi ils servaient. Puis j'ai vu un homme mettre son sexe à travers un trou. De l'autre côté de la cloison, une bouche inconnue l'a sucé. J'étais horrifié et troublé. Je suis parti à toute vitesse, la tête pleine d'images furtives. J'ai été aussi dans une boîte de nuit pour gays. On s'embrassait à pleine bouche, on se caressait ouvertement. Les hommes dansaient en s'enlaçant. C'est là que j'ai rencontré Phili. »
Je me suis retournée. Hubert parlait avec une voix nouvelle, moins hésitante. Son regard s'était adouci.
« Je trouve qu'il ressemble à Daniel Day-Lewis dans My Beautiful Laundrette. Il est grand et mince, et il aime la vie. Il m'a appris à ne pas avoir honte de ma différence, à ne pas avoir honte de mes envies. C'est vrai qu'avant lui, j'avais honte. Je me sentais marginal, exclu, solitaire. Maintenant, je suis en paix avec moi-même. J'ai compris ce que je voulais. Biarritz, c'était avec Phili. Nous sommes allés à Arcachon, aussi, un autre week-end, à ton insu. »
Pour la première fois depuis le début de son récit, Hubert marqua une pause. Il changea de position, alluma une cigarette. Il en tira quelques bouffées, puis l'écrasa.
Le bébé babillait toujours dans son parc. Il allait bientôt commencer à réclamer son dîner, et je ne l'avais pas baigné. Combien de temps encore durerait cette cassette ?
Comme s'il répondait à ma question, Hubert enchaîna :
« Ne t'inquiète pas, j'ai bientôt fini. Je sais que tu dois t'occuper du bébé. C'est une mauvaise heure pour toi. Pardonne-moi. Je voulais te dire aussi ceci. Je crois que quand un homme aime les hommes, on change souvent de partenaire. On a une grande faim sexuelle. Après lui, il y en aura d'autres. Rassure-toi, je me protège. Je ne suis pas fou. Je n'ai pas le sida. J'ai passé le test plusieurs fois. Tiens, regarde. »
Il approcha de la caméra une feuille blanche sortie de sa poche. Je pus déchiffrer son nom, la date et ces mots : « HIV négatif. »
« Je t'imagine de l'autre côté de l'écran. Je t'imagine brisée. Écœurée. Révoltée. Oui, je vois bien que jamais tu n'as eu un doute, jamais tu n'as pu penser que j'étais homosexuel. Le choc pour toi doit être brutal. Une autre femme, d'accord. On accepte. Mais un mari homosexuel, non. Cela marque une vie. Tu sais tout de moi, désormais, Thérèse. As-tu seulement pu m'écouter jusqu'au bout ? Peux-tu comprendre ? Peux-tu accepter ? Je ne sais pas. Vas-tu t'en sortir ? Que vas-tu faire ? Je suppose que nous allons divorcer, que notre mariage est fini. Vas-tu vouloir me revoir ? Vais-je pouvoir revoir Louis ? Vas-tu me laisser le voir, et te voir aussi, de temps en temps ? Je l'espère de tout mon cœur. Je veux que tu me dises ce que tu veux. Tes désirs seront des ordres, Thérèse. Je te téléphonerai à huit heures ce soir, quand Louis sera couché. Si tu ne réponds pas, je comprendrai que tu ne veux plus me voir. Et j'essayerai d'accepter ta décision. »
La voix d'Hubert se cassa. Il cacha son visage entre ses mains et pleura longtemps, en silence. Hubert resta quelques instants sur le canapé. Puis il se leva et s'approcha de la caméra. Avant que l'écran s'éteigne, j'entendis une dernière fois sa voix :
« Thérèse, s'il te plaît, détruis cette cassette. Merci. »
La femme qui me contemplait dans le miroir était une inconnue. Elle avait de vagues ressemblances avec moi, surtout les cheveux. Pour le reste, c'était une étrangère. Son visage était marqué, des lignes profondes allaient de son nez jusqu'à sa bouche ; ses yeux semblaient éteints, opaques ; son teint cireux, presque verdâtre. Je ne la connaissais pas, mais en même temps, elle m'était familière.
Lorsque cette femme tressaillit au cri d'un bébé, je compris qui elle était. La femme baigna le bébé avec douceur, puis lui donna son dîner. Elle était tendre avec l'enfant. Elle le coucha. Puis elle attendit près du téléphone.
À huit heures précises, il sonna. Elle décrocha.
Une voix d'homme dit :
— C'est moi.
Elle répondit :
— Je sais que c'est toi.
Même sa voix ne ressemblait pas à la mienne.
— Thérèse, je…