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— Ouvre, je t'en prie, j'ai besoin de tes lumières.

— À cette heure-ci, mes lumières sont éteintes. Fiche le camp !

— Si tu m'ouvres, je te prête mon ensemble Ralph Lauren.

Silence. Hunter tendit l'oreille.

Le visage fripé de Savannah, le cheveu en bataille, apparut.

— Sans blague ? Tu ne voulais pas me le prêter.

— Maintenant je veux bien, mais à condition que tu m'aides. Cela a un rapport avec ton ordinateur.

— Entre, fît Savannah.

— Il nous faut son mot de passe, c'est tout.

— C'est tout ?

— Oui. Ton prof est branché sur Transnet. C'est une partie de ce mot que tu as aperçue sur l'écran.

— Si la photo était plus grande, on le lirait ?

— Non, un mot de passe ne s'affiche jamais.

— Et c'est quoi, Transnet ?

— Un réseau informatique. Il y en a beaucoup, mais Transnet est connu pour ses messageries coquines.

— Tu as déjà essayé ?

Savannah sourit.

— Bien sûr ! D'où crois-tu que je sors mes rendez-vous galants ?

— Et comment ça marche ?

— Très simple. Il suffit d'avoir un ordinateur relié au téléphone par un Modem, ou un Minitel. Regarde.

Savannah tapa sur le clavier de son ordinateur.

— Voilà, nous sommes sur le réseau Transnet.

— Mme de M. se doute-t-elle que son téléphone est piraté par ton ordinateur ?

— Non. Mais elle comprendra quand elle recevra sa facture… Bon, alors, ce mot de passe ?

— On peut faire plusieurs tentatives ?

— Autant que tu voudras. Ce n'est pas comme une machine qui avale ta carte de crédit au bout de trois essais.

— J'ai quelques idées. Je vais les noter.

— On a toute la journée, ma chérie. Mais trouver un mot de passe, ce n'est pas évident. Ce n'est pas comme un code, qu'on peut élucider par la logique pure. Un mot de passe, c'est une histoire de cœur, et pas de tête. C'est une autre paire de manches. Moi, je ne suis pas douée pour les mots de passe. Je suis trop cérébrale. C'est pour cela que je ne veux pas te décevoir si on n'y arrive pas. Tu me prêtes quand même le Ralph Lauren, dis ?

— Essaye ces mots.

Elle tendit une feuille à Savannah.

Celle-ci déchiffra à voix haute :

— Swann, Guermantes, Sodome, Gomorrhe, Combray, madeleine…

Elle s'interrompit.

— On n'y arrivera pas ! Trop intello. Ce n'est pas le style Transnet.

— C'est-à-dire ? Je ne comprends pas.

— Mon mot de passe, par exemple, c'est « Scarlett cherche Rhett ». Les hommes, en général, choisissent des noms comme « Surf-Master », « Boy-Toy », ou « Gigolo du XVIe ».

— Essaye quand même.

— Si tu veux, mais on perd notre temps.

À tour de rôle, elle tenta chaque mot.

— Ce n'est pas ça non plus.

— Essaye « catleya ».

— Cat le…quoi ?

— C-A-T-L-E-Y-A.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Une fleur.

— Une fleur ?

— Lis Un amour de Swann, et tu sauras.

— Un amour de qui ?

— C'est du Proust. Mon prof est un proustien. Faire catleya, c'est faire l'amour. Vas-y, tape. Si ce n'est pas cela, j'ai encore d'autres idées.

Savannah s'exécuta. Au bout de quelques minutes, une lueur incrédule illumina son visage.

— Ça alors !

— Alors quoi ?

— Ça y est ! Tu l'as eu, c'est ça…

— J'en étais sûre.

— Tu m'impressionnes, Hunter Logan. Je ne t'en croyais pas capable… Voyons ce qu'il a dans le chrono de sa messagerie, ce monsieur.

Elle tapa sur les touches du clavier.

— Quelle cloche, il n'a rien effacé ! Oh, regarde-moi ça… Le coquin !

Hunter se pencha sur l'écran, médusée.

— Il a un cinq à sept ce soir à l'hôtel Nikko avec une dénommée Emmanuelle. Quinzième étage, chambre 208. Elle doit l'attendre en porte-jarretelles… Mais c'est diablement chaud, dis-moi… Et cette Gwendoline qu'il a reçue hier, rue de Vaugirard… Tu as vu le nombre de rendez-vous dans sa garçonnière ? Il est libertin, ton prof. Marié, tu dis ? Cela ne m'étonne pas. Les pires, dans cette ville, ce sont ceux qui sont mariés. Tu peux me croire, je sais de quoi je parle.

Hunter lisait, impressionnée par ces mots crus, ces adresses, ces noms, cette liste qui n'en finissait plus.

Savannah gloussait.

— Tu peux m'imprimer tout ça ? lui demanda Hunter.

— Un jeu d'enfant.

Tandis que l'imprimante ronronnait, Hunter cherchait une adresse dans l'annuaire. Elle la trouva et la nota. Savannah lui tendit une dizaine de feuilles.

— Qu'est-ce que tu vas fabriquer avec ça ? C'est de la dynamite.

— Si je te prête aussi ma jupe Donna Karan, est-ce que tu me promets de te taire, et d'oublier cette matinée ?

Savannah la regarda.

— Pas de bêtises, Hunter, hein ?

— Ne t'inquiète pas. Je sais ce que je fais. C'est pour la bonne cause.

— Va pour la jupe.

— Une dernière question. Est-ce qu'il découvrira que quelqu'un a eu accès à sa messagerie ?

— Oui, il le saura.

— Comment ?

— En se connectant au réseau, l'heure exacte de sa dernière communication s'affichera. S'il y prête attention, il comprendra immédiatement.

— Mais sans savoir que c'est nous ?

— Bien sûr que non !

Hunter sourit. Elle glissa les feuilles dans une enveloppe.

— Tant mieux.

Devant une boîte aux lettres de l'avenue Denfert-Rochereau, elle n'hésita pas une seconde avant de mettre l'épaisse lettre dans la fente.

Sur l'enveloppe, elle avait écrit :

Mme Jérôme D.

3, rue Cassini

Paris XIVe

XI. Le « TOKI-BABY »

« Je ne veux aimer personne,

car je n'ai en ma fidélité aucune confiance. »

Louise de Vilmorin (1902-1969),

Carnets.

Debout devant les étalages du rayon puériculture, Louise transpirait. Son ventre distendu se faisait lourd ; à l'intérieur, des petits poings vigoureux valsaient. Elle tentait de déchiffrer le mode d'emploi d'un appareil révolutionnaire dont on lui avait vanté les mérites. D'une main tendre, elle tapota son utérus rebondi ; de l'autre, elle tenait cette merveille du progrès technique, un « Toki-Baby », « homologué par le ministère des Postes et Télécommunications, utilisation France sous licence France Télécom ».

Une vendeuse, ayant pitié des chevilles enflées de Louise, s'approcha d'elle.

— Puis-je vous aider, madame ?

Louise lui adressa un regard de primipare reconnaissante.

— Oui, merci. On m'a beaucoup parlé de cet appareil, et j'aimerais comprendre son fonctionnement.

La vendeuse se lança dans une tirade qui aurait plu à son chef de service.

— Avec le « Toki-Baby », plus de soucis ! Votre bébé – et je vois que c'est pour bientôt, ajouta-t-elle en minaudant – ne sera plus sans surveillance. Sa moindre respiration, son plus petit soupir vous seront retransmis en toute fidélité.

— Comment ça marche ?

— Le « Toki-Baby » se compose de deux éléments ; un émetteur que vous placez près du berceau de votre enfant, et un récepteur.

— C'est un peu comme un talkie-walkie ?

— Un peu, à la différence que le récepteur ne fonctionne que dans un sens, pour éviter de transmettre en retour vers l'enfant l'environnement sonore qui entoure le récepteur.