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— On devrait essayer de trouver quelqu'un qui habite le quartier.

— Oui, dit-il.

Au mois de mai, son fils a six mois. Il fait ses nuits. Sa femme est moins fatiguée. Ils recommencent à faire l'amour. Mais il se sent toujours attiré par le monde secret du bois, par ces femmes qui attendent, disponibles. Il n'a pas l'impression de tromper son épouse, car ces femmes qui lui prodiguent des caresses buccales dans l'intimité de sa voiture ne possèdent ni nom, ni adresse, ni numéro de téléphone ; de plus, il se limite à ces fellations sous cellophane, car il n'est pas question de faire l'amour. Ce serait aller trop loin. Ce serait tromper sa femme. Il se dit qu'il ne la trompe pas, puisqu'il ne pénètre pas sexuellement une autre femme.

Il lui arrive d'y aller durant la journée. Il va dans un autre bois, plus loin, car il a peur de rencontrer quelqu'un de son entourage. Au lieu de déjeuner avec ses collègues, il part dans sa voiture. Maintenant, il aborde ces femmes sans hésiter. Il en choisit une vite, elle monte, il lui donne son billet et c'est l'affaire de quelques minutes. Il rentre au bureau, rempli d'un dégoût croissant de lui-même. Il aime sa femme d'un amour profond, d'un amour sincère, mais il aime aussi ces envies sordides qui surgissent du bas-fond de son corps, ces lèvres anonymes, ces femmes qui ne disent jamais non ; il aime rôder autour de ces lieux chauds, voir cet étalage de chair, ces maquillages criards, cette lingerie obscène. Tous les jours, il lutte contre ces désirs enfouis. Tous les matins, en se levant, il se dit qu'il faut qu'il arrête avant qu'il ne soit trop tard. Mais il finit chaque fois par reprendre le chemin du bois, fasciné par ce trafic pervers. Il sait qu'il ne pourrait jamais en parler à sa femme. Elle ne comprendrait pas. Elle n'accepterait jamais. Il imagine trop bien son visage, son existence qui se décomposerait si elle l'apprenait.

Se doute-t-elle, lorsqu'elle installe en roucoulant sa progéniture à l'arrière de la voiture, qu'à sa propre place, sur ce même fauteuil de jeune mère de famille, une vingtaine de prostituées se sont succédé, et qu'elles ont pris le sexe de son mari dans leur bouche pour le faire jouir ?

Oui, elle se doute de quelque chose. Elle pense que la baby-sitter est peut-être la maîtresse de son mari. Au mois de juin, d'un ton léger, elle demande à la jeune fille combien de temps il faut pour rentrer chez elle le soir. Dix minutes. Elle lui demande s'il y a des embouteillages, vers minuit. Rarement, dit la jeune fille.

Elle réfléchit. Donc, il devrait être rentré en une demi-heure maximum, alors qu'il met plus d'une heure. Elle n'est pas d'une nature méfiante, mais elle est fine. C'est une femme calme, assez mûre pour ses vingt-huit ans. Elle est mariée depuis cinq ans à cet homme qu'elle aime profondément. Elle n'a jamais douté de lui.

— Es-tu heureux ? lui demande-t-elle le soir même.

— Le plus heureux des hommes.

— Est-ce que tu m'aimes ?

— Plus que tout.

— M'as-tu déjà trompée ?

— Jamais.

— As-tu déjà eu l'envie de me tromper ?

— Jamais.

Elle le regarde longtemps. Il ne cille pas. Il n'a pas l'air coupable. Mais elle met quand même son plan en action, pour en avoir le cœur net. Elle demande à sa sœur de lui prêter sa voiture pour deux jours. Elle case l'aînée chez une amie pour la nuit. Elle organise une soirée au cinéma et au restaurant pour son mari et elle-même. La baby-sitter vient garder le bébé. Ils rentrent vers minuit. Elle paie la jeune fille. Son mari est resté dans la voiture pour la ramener. Elle entend la portière qui claque et la voiture qui démarre. Elle bondit dans la chambre de son fils et le prend dans ses bras, le plus doucement possible. Elle le pose dans un couffin, sort de l'appartement et se met au volant de la voiture de sa sœur, ayant installé le bébé à l'arrière. Elle ne voit plus la voiture de son mari, mais elle connaît sa direction, car elle sait où habite la jeune fille. Au bout de quelques minutes, elle a rattrapé la voiture, et la suit de loin. En regardant sa montre, elle voit que le trajet n'a pas pris plus de dix minutes. Le véhicule bleu métallisé s'est arrêté, la jeune fille descend, fait un signe de la main, tape son code d'entrée, et s'engouffre sous une porte cochère. Ce n'est donc pas elle, la maîtresse de son mari. « Et maintenant, qu'est-ce que tu fais ? » siffle-t-elle entre ses dents.

Pour rentrer chez eux, il devrait prendre la première à gauche. Mais il va tout droit, et il va vite. Elle le suit à travers les rues sombres et vides. Le bébé dort. Elle a peur, elle se sent mal ; son cœur bat fort. Mais elle veut, elle doit savoir. Le bois s'avance vers eux, tentaculaire et noir. Elle suit toujours son mari. Il y a beaucoup de voitures dans le bois ; elle a peur de le perdre. Où va-t-il ? Elle ne comprend pas. A-t-il une maîtresse qui habite de l'autre côté du bois ?

Puis elle voit les prostituées. Aguichantes, parquées à quelques mètres les unes des autres, elles exposent seins, fesses et cuisses aux voitures qui passent lentement. Elle sent sa gorge se contracter. Le bébé à l'arrière gémit dans son sommeil. La voiture de son mari s'arrête. Elle freine, et la voiture derrière elle klaxonne. Rapidement, elle le dépasse, surveillant son rétroviseur, puis s'immobilise un peu plus loin, les yeux rivés au miroir rectangulaire. Elle voit une prostituée monter dans la voiture de son mari. Le bébé grogne. Il a perdu son pouce. Elle ne l'entend pas. La voiture bleue tourne sur place ; vite, elle l'imite, faisant crisser les pneus. Il s'engage dans un chemin désert. Elle éteint les phares et roule lentement derrière lui. Le silence s'abat sur le bois. On n'entend plus les rires gras, le passage des voitures. Il a coupé le moteur. Elle fait de même. On ne voit pas grand-chose. Le bébé s'est rendormi. Elle sort de la voiture et referme doucement la porte. Sous ses sandales, il y a un épais tapis de mousse et de brindilles. Il fait bon, la nuit est fraîche. On se croirait à la campagne. Elle avance vers la voiture bleue.

Alors la lune, comme pour la narguer, sort de derrière un nuage. Elle découvre le visage de son mari, crispé par le plaisir. Elle s'approche encore, une grande déchirure dans la poitrine. Elle voit entre les jambes de son mari une tête brune affairée, qui monte et qui descend.

Puis le bébé pleure soudain, fort dans la nuit. L'homme sursaute, ouvre les yeux et découvre sa femme debout devant la voiture. Il se fige, glacé d'horreur. La prostituée relève la tête et regarde elle aussi, interdite, cette jeune femme baignée par le clair de lune, belle et triste.

Sa femme le contemple avec tristesse, avec douleur, avec dégoût. Avant de s'en aller, elle enlève son alliance et la pose délicatement sur le capot de la voiture, sans un mot.

II. LE CARNET ROUGE

« L'homme qui aime normalement

sous le soleil adore frénétiquement sous la lune. »

Guy de Maupassant (1850-1893),

Sur l'eau.

2 mai

Guy est irréprochable. Il est d'un ennui mortel. Que faire, à part le tromper, ce qui est déjà le cas depuis belle lurette ?

Je rêve d'un mari galant, d'un époux tombeur, bourreau des cœurs, coureur, trousseur de jupons, magnifique séducteur, sublime salopard !

Hélas !

Je partage le lit aseptisé d'un homme fidèle. Je porte le nom d'un paisible père de famille qui me prend tranquillement, à la papa, en susurrant des mots plus tendres qu'excitants, en distribuant des baisers plus sages que chavirants, m'obligeant, afin d'atteindre le nirvana, à m'abîmer dans quelque polissonne vision de luxure et de stupre, où il est question de violences inavouables, positions complexes et vocabulaire graveleux.

21 mai