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Marie frissonna.

— Comment est-elle, cette Suédoise ?

Marguerite alluma une cigarette.

— Beaucoup trop séduisante. Blonde, un corps de rêve. Je n'aurais pas dû l'embaucher. Cependant, voyez-vous, je croyais Jean au-dessus de ce genre de chose. C'est un homme très occupé. Il est pris par la banque, le Dow Jones, le CAC 40, par ses week-ends de chasse, ses parties de polo. Je suis abasourdie. Comme quoi les hommes sont des bêtes, au fond, vous ne trouvez pas ?

— Absolument. Il vaut mieux recruter une vieille Philippine moche et grosse. Je n'aurais pas été tranquille, sachant mon mari seul à la maison avec une Sharon Stone bis. Il ne faut pas les tenter, ces messieurs ! Surtout ceux qui ont la trentaine.

— Il paraît qu'à cinquante ans, soupira Marguerite, c'est encore pire, à cause du démon de midi. Il commence un peu tôt, le mien, avec son démon de huit heures du matin, vous ne trouvez pas ?

Elle éteignit sa cigarette, puis demanda l'addition.

— Comment allez-vous vous y prendre, avec son ami Pierre ? questionna Marie.

— J'irai droit au but. Je lui demanderai de coucher avec moi.

— Et s'il refuse ?

— Il ne refusera pas.

— Avez-vous séduit beaucoup d'hommes depuis votre mariage ?

Piquée, Marguerite haussa les épaules.

— Séduire un homme, cela ne s'oublie pas, ma chère. Même si l'on est mariée depuis dix ans.

— Avez-vous parlé avec Jean ?

Marguerite alluma une autre cigarette.

— Il ne sait pas que je sais. Je suis sortie de la pièce sans bruit. Ils ne m'ont pas vue.

— Ils dormaient ?

— Non. Ils baisaient, ma chère. Il la prenait par-derrière, comme une chienne.

— C'est épouvantable.

— Épouvantable. En pleine matinée, dans ma chambre. Dans mon lit.

— C'est ignoble. Comment avez-vous pu dormir dans votre lit, ce soir-là ?

— Je n'ai pas pu.

— Où avez-vous dormi, alors ?

— Je vais dormir chez Pierre, ce soir. C'était ce matin. Regardez, j'ai mon baise-en-ville.

Elle montra un gros sac Kelly.

— Vous m'impressionnez, Marguerite.

— Vous feriez la même chose, à ma place.

— Je crois que je les aurais tués tous les deux.

— Je dois être plus calme que vous.

— Et plus machiavélique. Et si Pierre vous dit non ?

— Un homme ne peut refuser une femme qui se donne à lui comme je vais le faire. Pierre ne résistera pas, même si je suis l'épouse de son meilleur ami. Au contraire, cela devrait l'exciter davantage.

— Et après ?

Une moue.

— Après, on verra.

— Donc, vous n'aviez jamais trompé Jean ?

— J'aurais dû. Je me sens si bête, si gourde ! Si j'avais su…

Marie rit doucement.

— Moi, je l'ai fait.

— Vous avez trompé votre mari ?

— Oui. Je venais d'avoir ma fille. Je me trouvais moche. C'était au Touquet, pendant l'été. Mon mari travaillait à Paris.

— Et alors ?

— Et alors, il y avait un jeune homme, pas mal, un peu plouc, qui me tournait autour. J'accompagnais mes beaux-parents sur le golf, et il me suivait. Finalement, j'ai dit oui, parce que je m'ennuyais. On a fait l'amour dans un rough, très vite.

— C'était bien ?

— Non, pas génial. Après, je lui ai dit que mon mari allait revenir, qu'il fallait qu'il me laisse tranquille. Je n'ai même pas su son nom.

— Et depuis ?

— Depuis, je suis fidèle. J'ai peur du sida.

— Ciel ! s'exclama Marguerite, en laissant tomber sa cigarette.

— Quoi ?

— Les capotes !

— Quoi, les capotes ?

— Je n'ai pas de capotes !

— Et alors ?

— Je ne peux pas coucher avec Pierre sans capotes, voyons !

— Pierre a-t-il une tête de contaminé ?

— Non, il a une tête de banquier. Mais vous savez, ma chère, à notre époque, on ne peut pas prendre de risques.

— Croyez-vous qu'il en a mis, des capotes, votre mari, avec la Suédoise ?

— La Suède est un des pays où l'on en utilise le plus. Les Nordiques sont hypercapotés.

— Allez donc en acheter à la pharmacie. Comme cela vous aurez un paquet prêt dans votre baise-en-ville.

Marguerite se mordait les lèvres.

— Je suis embêtée.

— Par quoi ?

— Cela me gêne d'en acheter.

— Je les achèterai pour vous, si vous voulez.

— Figurez-vous que je n'ai aucune idée de comment cela se met. Je me suis mariée avant la psychose du sida. Je n'ai jamais mis un préservatif à un homme de ma vie.

— Votre Pierre saura, lui. D'habitude, ils l'enfilent eux-mêmes. Cela se déroule comme une chaussette. Il ne faut pas se tromper de côté. C'est un coup de main.

— Tout cela fiche en l'air mon plan. Comment voulez-vous que je le séduise si je dois lui enfiler cette chose ?

— Il le fera lui-même.

— Oui, mais qui parle de capote, lui ou moi ? Comment cela se passe, maintenant ? C'est la première fois que je me retrouve dans ce genre de situation. Et que faut-il dire, exactement ? « Avez-vous pensé à mettre un bidule… un machin…» Quelle horreur ! Cela me coupe mes effets.

— Moi, je ne dirais rien, et je la lui mettrais moi-même.

— Et si je me trompe de côté ? Et s'il perd ses moyens parce que je farfouille trop ? C'est un cauchemar, cette histoire de capotes.

— Il y a des tailles et des genres différents.

— Non !

— Si. Il y a colossal, super-colossal et extra-super-colossal.

— Cela signifie quoi ?

— Que les hommes supportent mal l'idée d'entrer dans une pharmacie pour demander un paquet taille « moyenne ». Puis il y a lubrifié, pas lubrifié, goût vanille, poire, banane, fraise, fluorescent, vert ou rose, à motif, ou sans, avec stimulateur ou sans, avec réservoir ou sans… Je continue ?

— Où avez-vous appris cela, Marie ?

— À un moment, je ne supportais plus la pilule. Mon mari était bien obligé de faire attention. Voulez-vous que nous allions en acheter ? Je vous aiderai à choisir.

Marguerite poussa un soupir.

— Oh non, merci, ma chérie. Je crois que je vais tout simplement aller casser la figure à mon époux. C'est moins compliqué.

Elle changea le gros diamant de doigt, le mettant à l'annulaire de sa main droite. La bague s'entrechoqua avec l'épaisse chevalière. Elle ferma sa main et l'observa.

— Regardez mon joli poing américain. Cette bague de fiançailles va enfin servir à quelque chose, dit-elle.

— Quoi donc ?

— Si je vise bien, à faire sauter son bridge.

IV. LA LETTRE

« Il faut être assez fort pour se griser avec

un verre d'eau et résister à une bouteille de rhum. »

Gustave Flaubert (1821-1880),

Carnets.

Allô, c'est SOS Couples en détresse ? Bonjour, madame. Je vous appelle parce que… Voilà… C'est très simple. Il m'est arrivé une chose incroyable, oui, une chose incroyablement horrible, il faut que j'en parle, il faut que j'en parle à quelqu'un, je ne peux absolument pas le dire à ma mère, et j'ai pensé, pourquoi pas vous, puisque j'ai vu votre pub dans le métro. Vous voulez que j'expose le problème ? J'expose… Comment commencer, comment trouver les mots, je ne sais pas… Oui, j'essaye de me calmer. Une respiration profonde, dites-vous ? Je vais essayer. Voilà. Je suis mariée. J'ai trente ans. Je m'appelle Emma. Mon nom ne vous intéresse pas ? Ah bon. Je continue. J'ai un enfant, qui va avoir deux ans. Voilà ma vie. Vous ne me voyez pas, alors je me décris, une jeune femme brune aux yeux noirs, aux pommettes roses – cela ne vous intéresse pas non plus ? Ah bon. Que fait-on quand on apprend que son mari vous trompe ? Pardonnez-moi de vous poser cette ; question aussi brutalement, mais c'est pour cette raison que j'appelle. Que dois-je faire maintenant ? Elle paraît idiote, cette question, et j'espère que vous n'êtes pas en train de sourire, c'est idiot, c'est banal, oui, les maris trompent toujours leur femme, on nous le dit, on nous prévient, quand on est toute petite, on voit son père tromper sa mère, son oncle tromper sa tante, son grand-père sa grand-mère, oui, on sait tout ça, on le sait, mais quand c'est votre mari, votre mari à vous, celui-là même à qui vous avez dit oui, toute rosissante dans une église fleurie avec une belle robe blanche, celui-là même qui vous a fait un enfant et qui projette de vous en fabriquer d'autres, celui-là même qui dit vous aimer et qui est si gentil, si tendre, figurez-vous qu'il descend même la poubelle, qu'il sait changer le petit, ne riez pas, s'il vous plaît, je vous ai entendue glousser, ce n'est pas drôle, non, eh bien, moi, je ne m'y attendais pas. Je ne voulais pas m'y attendre, je voulais croire que mon mariage à moi, il ne serait pas comme les autres. Les autres pouvaient se tromper et se retromper tant qu'ils le voulaient, mais pas moi. Pas mon mari à moi. Et pourtant, c'est ce qu'il a fait, mon mari à moi. Il m'a trompée. Je suis une femme trompée. Comment je l'ai su ? Ah, ça, ça vous intéresse, par contre ? Je vais vous le dire. Je vais vous le dire si vous arrêtez de sourire, je suis sûre et certaine que vous souriez, cela s'entend à votre voix, et je ne trouve pas cela drôle du tout. Voilà. Voilà. J'ai trouvé une lettre dans ses poches. Je faisais ses poches ? Pas du tout ! Ce n'est pas du tout mon style. Absolument pas. Disons que cette veste traînait… Ou plutôt, j'avais envie de mettre un peu d'ordre. Il est assez désordonné, mon mari. Je voulais emporter sa veste chez le teinturier, et comme il oublie souvent des choses dans ses poches… J'ai vu une enveloppe, avec son nom. J'ai ouvert, j'ai regardé. Voilà. C'était une lettre d'amour venant d'une femme. Vous vous en doutiez ? Ah bon, c'est si fréquent que ça, les lettres d'amour qui traînent ? Ah bon. Pourquoi l'a-t-il laissée dans un endroit aussi évident ? Mais je n'en sais rien, moi. Moi, je n'aurais jamais laissé traîner une chose pareille si j'avais un amant. Comment ? Vous dites qu'il voulait peut-être que je la voie ? Il veut que je sache qu'il me trompe ? Je ne vous suis plus. Pourquoi voudrait-il que je le sache ? Pardon ? Que dites-vous ? Parce qu'il… parce qu'il ne m'aime plus ?…