Non, je ne dis plus rien parce que je ne sais plus ? quoi dire. Ce que vous me racontez me bouleverse. Si j'ai la lettre sur moi ? Oui, bien sûr. Vous la lire ? D'accord. Attendez un instant. Voilà. « Mon amour, mon amour, mon amant, mon amant, le souvenir de ces moments passés avec toi me brûle encore et je ne vis que pour nos prochains rendez-vous ardents. Tu es le roi de mes nuits, tu es mon prince, mon dieu, mon souverain, je ne suis qu'une humble servante, esclave de ton amour. Oui, tu es le plus beau de tous les amants. Tu me combles de bonheur, et je me sens vibrer dès que je prononce ton prénom. » Il s'appelle Gustave. Vous trouvez cela vibrant, vous ? « Je t'attendrai, comme toujours, à l'endroit convenu. Je t'aime à la folie, je ne puis me passer de toi, tu me rends folle. Je te couvre de baisers passionnés, des pieds jusqu'à la tête. Ta Lili qui t'adore et qui t'aime. » Ta Lili ! c'est ridicule, n'est-ce pas ? Ta Lili ! Lili, moi je ne connais personne qui s'appelle Lili, pourtant, j'ai cherché, je me suis dit que cela pouvait être Élisa, ou Liliane, Eulalie ou Magali, ou même Valérie, j'ai regardé dans son carnet d'adresses, je n'ai rien trouvé. Pensez-vous ! Il s'est bien gardé d'y mettre les coordonnées de sa maîtresse… Alors, qui ça peut bien être, cette Lili ? Une fille qu'il a rencontrée à son travail ? Quelqu'un que je connais et qui se cache derrière ce nom ? Et cet endroit convenu dont elle parle, j'imagine que c'est chez elle, dans son appartement, ça ne peut pas se passer chez moi, j'y suis tout le temps. Un hôtel, vous croyez ? Un hôtel de passe ? Je n'arrive pas à imaginer Gustave dans un hôtel de passe. Il n'a pas une tête d'hôtel de passe. C'est quoi, une tête d'hôtel de passe ? Eh bien, je ne sais pas, moi, une tête louche. Comment ? Vous continuez à penser la même chose, qu'il voulait que je le sache ? Vous êtes têtue, vous alors ! Je vais être obligée de vous dire la vérité. J'ai honte, mais tant pis. Au point où j'en suis… Vous vous en doutiez ? Vous aviez raison. Oui, je faisais ses poches. Et même plus que cela, j'ai trouvé cette lettre dans son agenda, son agenda est dans son attaché-case, son attaché-case fermé à clef, la clef est sur son porte-clefs, qu'il porte toujours sur lui. J'ai dû ruser. C'était compliqué, mais j'y suis arrivée. Je suis un peu fouineuse, comme toutes les femmes. Je trouvais qu'il avait l'air bizarre dernièrement. Pourquoi ? Je ne sais pas exactement… Changé d'after-shave ? Mais oui ! Acheté un nouveau costume ? Mais comment le savez-vous ? Arrive en retard le soir ? Sifflote tout à coup sous la douche ? Mais vous le connaissez, ou quoi ? Vous m'épatez, madame. Il vous est arrivé la même chose ? Oui ? Ah bon ? Ah oui ? Et qu'est-ce que vous avez fait, vous, quand vous avez su qu'il vous trompait ?
Vous êtes partie ? Moi, je veux bien partir, madame, mais pour aller où ? Je ne vais quand même pas rentrer chez mes parents avec ma fille sous le bras ! Vous, vous l'avez fait ? Ah ! Si on ne part pas, ils recommencent ? Ah ! Il faut vraiment partir, d'après vous ? Ah ! Il faut leur dire qu'on sait ? Il ne faut plus rester avec un mari infidèle, c'est ça ? Mais puisque vous dites que tous les maris sont infidèles, pourquoi y a-t-il des couples qui restent encore ensemble ? Cela signifie qu'il y a bien des femmes qui acceptent, et qui restent. Elles ferment les yeux, ou alors elles ne fouillent pas dans les affaires de leur mari, elles n'ouvrent pas les lettres adressées à leur mari, elles ne se posent pas de questions s'il change d'eau de toilette, achète des costumes, rentre tard, sifflote sous la douche. Vous me dites qu'il y a un choix quand on apprend qu'on est trompée ? Soit on se tire, soit on s'écrase, si j'ose dire. Vous me conseillez de me tirer ? Avant même de lui avoir parlé ? J'embarque ma fille et hop ? Je ne lui dis même pas : « C'est qui, Lili ? » parce que moi je veux savoir qui c'est Lili, moi, madame, je refuse que cette Lili me pique mon mari, moi, j'y tiens, à ce mari ! Peut-être que vous votre mari à vous, vous étiez contente de vous en débarrasser, il sentait mauvais, ou il ronflait, ou il vous battait, je ne sais pas, moi, mais, moi, cela fait quatre ans qu'on est mariés, Gustave et moi.
Il peut être gentil, mon Gustave, très dévoué. Vous dites qu'il y aura d'autres Lili ? Excusez-moi de vous le dire, madame, mais je trouve que vous êtes d'un pessimisme navrant ! Vous êtes contre le mariage ? Je l'aurais deviné. Vous devez mépriser les hommes, ça s'entend. D'après vous, un pauvre type qui a une aventure de rien du tout avec une secrétaire, ou une caissière, ou une je ne sais pas moi, une paumée, mérite qu'on le plaque pour de bon ? Une épouse qui trouve une lettre d'amour ridicule, bourrée de fautes d'orthographe dans les affaires de son mari doit prendre ses cliques et ses claques ? Eh bien, bravo, madame. Je vous souhaite bien du bonheur dans votre vie étriquée. Je parie que vous avez une tête de vieille fille et que vous vivez avec un chat miteux, plantée devant « La Roue de la Fortune ». Vous riez ? Riez donc. Je préfère mille fois être une épouse compréhensive qu'une femme libérée. Bonsoir, madame. »