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— Non... Ne dis rien ! Ne dis plus rien. Il ne faut pas, il ne faut jamais exciter ma colère comme tu l’as fait. C’est dangereux. Je... j’aurais pu te tuer et je l’aurais regretté toute ma vie. Parce que... même si tu as de la peine à le croire... je t’aime toujours ! Il y a des choses que tu ne peux pas comprendre !

Lentement, avec autant de peine que si elle venait de soutenir un combat corps à corps, Marianne se leva. Mais elle dut s’agripper au canapé car tout tournait autour d’elle. Il n’était pas une fibre de son corps qui ne lui fît mal. Néanmoins, elle voulut aller vers Napoléon mais, du geste, il la retînt.

— Non ! N’approche pas ! Assieds-toi et essaie de te remettre. Nous venons de nous faire un mal affreux en quelques minutes, n’est-ce pas ? Il faut oublier tout cela. Ecoute, demain je quitte Paris pour Compiègne. De là, vers la fin du mois, je partirai pour les provinces du Nord. Je dois montrer ma f... l’Impératrice à mon peuple. Cela nous permettra d’oublier... et, surtout, je n’aurai pas à t’exiler, ce que j’aurais dû faire si j’étais demeuré ici... Maintenant, je te laisse. Reste là un moment. Constant viendra te chercher pour te mettre en voiture.

D’un pas curieusement alourdi, il se dirigea vers la porte. Dans un geste dont elle ne fut pas maîtresse, Marianne, les yeux pleins de larmes, tendit les mains vers lui, cherchant instinctivement à le retenir. Sa voix s’éleva, suppliante et basse.

— Me pardonnes-tu ? Je ne pensais pas...

— Tu sais bien que tu pensais chaque mot, mais je te les ai pardonnés parce que tu avais raison. Mais ne m’approche pas. Il ne faut pas que je te touche pour ne pas manquer à l’Impératrice ! Nous nous reverrons plus tard !

Très vite, cette fois, il sortit et Marianne, le cœur et la tête vides, alla se rasseoir auprès du feu. Elle avait froid tout à coup, jusqu’à l’âme... Quelque chose lui disait que rien ne pourrait plus être comme avant entre eux. Il y avait cette femme rose et sotte... il y avait les mots de tout à l’heure, des mots à la suite desquels il y aurait l’absence, le silence. Un silence dangereux. Un poignant regret lui vint des jours merveilleux de Trianon où les disputes se noyaient dans l’accord final de leurs caresses. Mais personne au monde ne pourrait lui rendre Trianon. L’amour, désormais, aurait un goût âpre de solitude et de renoncement. Reviendrait-il seulement le temps éblouissant du bonheur à l’état pur qui avait été le sien durant quelques semaines ? Ou bien fallait-il apprendre maintenant à tout donner sans rien attendre ?...

Le palais, autour de Marianne, s’était fait silencieux et vide comme un désert de cauchemar. Et, soudain, les pas de Constant qui approchait sur le parquet nu d’un salon lui parurent venir du fond des âges... Elle se sentit mal, tout à coup. Le rythme de son cœur s’accéléra tandis qu’une sueur froide l’enveloppait. Elle essaya de se lever, mais une affreuse nausée la rejeta, haletante, au fond du canapé. Ce fut là que Constant la trouva, les yeux agrandis, la figure cireuse, son mouchoir appuyé contre sa bouche. Elle leva sur lui un regard éperdu.

— Je ne sais pas ce que j’ai tout à coup... Je me sens malade... mais malade ! Et il y a un instant... tout allait si bien.

— Qu’éprouvez-vous ? Vous êtes bien pâle.

— J’ai froid, la tête me tourne et surtout, surtout... j’ai un affreux mal de cœur.

Sans un mot, le valet de chambre s’empressa. Il alla chercher de l’eau de Cologne, bassina les tempes de Marianne, lui fit boire un cordial. Les nausées se retirèrent aussi subitement qu’elles étaient venues. Peu à peu, les couleurs revinrent aux joues décolorées de Marianne qui, bientôt, se sentit tout à fait bien.

— Je ne sais pas ce qui m’a prise, fit-elle en offrant à Constant un sourire plein de reconnaissance. Il m’a semblé que j’allais mourir. Il faudrait peut-être que je voie un médecin...

— Il faut voir un médecin, Mademoiselle... mais je ne crois pas que ce soit grave.

— Que voulez-vous dire ?

Soigneusement, Constant rassembla les serviettes et les flacons dont il s’était muni, puis sourit gentiment, quoique avec un peu de tristesse.

— Qu’il est grand dommage que Mademoiselle ne soit pas née sur les marches d’un trône, cela nous aurait évité ce mariage autrichien qui, décidément, ne me dit rien qui vaille ! J’espère, néanmoins, que ce sera un garçon. Cela fera plaisir à l’Empereur.

6

LE PACTE

La révélation de son état abasourdit Marianne et, tout à la fois, lui rendit courage en lui communiquant une extraordinaire impression de triomphe. Elle n’était pas assez naïve pour imaginer que son attente d’un enfant, survenue quelques mois plut tôt, eût évité le mariage autrichien : Napoléon avait appris, après Wagram, que Marie Walewska portait un enfant de lui et cela n’avait rien empêché. Il aurait pu épouser la Polonaise, qu’il aimait alors et qui était de grande famille. Cependant il n’en avait rien fait parce que, comme Marianne elle-même, et si noble qu’elle fût, Marie n’était pas princesse, donc pas assez bien née pour asseoir une dynastie. Mais Marianne éprouvait une joie bizarre, un peu douloureuse, à penser que le sang impérial germait déjà au plus secret d’elle-même, alors que Napoléon s’évertuait à féconder le corps dodu de sa Viennoise pour en arracher l’héritier tant désiré. Quoi qu’il pût faire maintenant, il était lié, à elle, Marianne, par un lien de chair et de sang que rien ne pourrait effacer. De même rien ne pourrait ternir la joie qu’elle éprouvait, exaltante et chaude, à porter en elle « son » enfant, pas même les préjugés ou la réprobation auxquels étaient en butte les mères sans mari. Pour ces quelques onces de chair qui allaient lentement mûrir en elle, Marianne se sentait déjà prête à défier l’univers sournois du mépris, des ragots et des regards fuyants.

Toutes ces idées la soutenaient tandis que, dans sa voiture retrouvée, elle gagnait la rue Chanoinesse pour y livrer sans doute l’une des plus rudes batailles de son existence.

Elle connaissait trop le royalisme impénitent de son parrain, la pureté de ses mœurs et la rigidité de son code d’honneur personnel pour ne pas deviner que sa confession connaîtrait des moments pénibles... en admettant qu’il consentît à l’écouter jusqu’au bout.

La rue Chanoinesse, à cette heure tardive, était obscure, éclairée seulement par deux quinquets pendus à des cordes tendues en travers de la voie, d’une maison à l’autre. Les roues ferrées de la voiture sonnèrent durement sur les gros pavés qui devaient dater au moins du roi Henri IV et qui bossuaient la chaussée entre la double rangée de demeures sages, secrètes et silencieuses derrière leurs fenêtres grillées où s’abritaient les chanoines du chapitre de Notre-Dame. L’ombre double des tours de la cathédrale s’allongeait démesurément au-dessus des vieux toits, accentuant encore la profondeur de la nuit.

Un petit prêtre attardé, hélé poliment par Gracchus-Hannibal, indiqua la demeure de M. de Bruillard, facile à distinguer des autres grâce à une haute et maigre tour carrée émergeant de sa cour. C’était d’ailleurs l’une des rares où il y eût de la lumière. On se couchait tôt chez les chanoines, ce qui laissait toute latitude aux mauvais garçons qui infestaient les vieilles rues de la Cité pour exercer leurs discutables industries.

A la grande surprise de Marianne, la maison du chanoine n’exhalait nullement cette odeur de cire froide et de vieux papiers qui, selon elle, était l’apanage d’une résidence d’homme d’Eglise. Un valet en livrée sombre, qui n’avait rien d’un bedeau, la conduisit à travers deux salons à l’ancienne mode, mais d’une discrète élégance, jusqu’à une porte close devant laquelle patrouillait l’abbé Bichette, la tête dans les épaules et les mains nouées derrière le dos. En apercevant la visiteuse, le fidèle secrétaire poussa une exclamation satisfaite et se précipita vers elle, d’où Marianne conclut qu’elle était attendue.