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— Je vous conseille de me lâcher, gronda Francis, sinon vous pourriez vous en repentir.

Nicolas Mallerousse, alias Black Fish, marcha jusqu’à lui et se baissa un peu pour le regarder sous le nez.

— Tu crois ? J’ai dans l’idée, moi, que tu regretteras d’être venu au monde quand j’en aurai fini avec toi ! Allez, ouste ! Au cachot !

— On a trouvé ça sur lui, dit l’un des hommes en tendant le portefeuille. C’est plein d’argent...

A voir le regard affamé dont Francis enveloppa la sacoche, Marianne comprit que cet argent lui importait plus encore que sa liberté et que, si on le lui arrachait, il pourrait devenir mortellement dangereux au cas, improbable peut-être, mais toujours possible, où il s’échapperait. Arcadius ne l’avait-il pas vu sortir de chez Fouché ? Ne s’était-il pas, pour obtenir l’argent, livré aux pires vilenies, au plus abject chantage ? La sagesse aurait voulu, peut-être, et si l’on tenait compte des étranges révélations faites par Arcadius sur les relations secrètes entre lord Cranmere et Fouché, qu’elle fît en sorte qu’on lui laissât cet argent mal acquis. Mais, après tout, le coup de chance qui avait fait tomber Black Fish sur eux, juste au moment où elle remettait sa rançon, n’était-il pas un signe du destin ? Entre les mains du redoutable Breton, Francis n’avait guère de chance d’échapper à un sort très certainement peu enviable. Enfermé dans ce Vincennes dont on lui avait montré, un jour, les tours moyenâgeuses, il ne serait plus dangereux pour elle. Et puis, la tentation d’exercer la vengeance qui s’offrait à elle était trop forte. Avec un sourire, elle tendit la main vers le portefeuille.

— Cet argent est à moi, dit-elle doucement. Cet homme nous l’avait extorqué sous la menace d’un pistolet... que l’on devrait trouver sur lui. Puis-je le reprendre ?

— J’ai vu, en effet, le prisonnier prendre le portefeuille des mains de Monsieur, approuva Black Fish en désignant Arcadius. Il n’y a aucune raison qu’on ne vous le rende pas puisqu’il s’agit seulement d’argent. J’ai cru, tout d’abord, qu’il s’agissait de quelque chose d’infiniment plus dangereux et, à ne rien te cacher, petite, tu as eu de la chance que nous nous connaissions depuis longtemps. Cela aurait pu te coûter cher. Fouillez-le, vous autres !

Tandis que les policiers fouillaient un Francis écumant de fureur et découvraient, en effet, l’arme qu’il portait, Marianne demanda :

— Pourquoi est-ce que cela aurait pu me coûter cher ?

— Parce qu’avant de te reconnaître je t’avais prise pour un agent de l’étranger.

— Elle ? lança Francis hors de lui. A qui ferez-vous croire que vous ne savez pas ce qu’elle est ? Une garce ! Une espionne de Buonaparte dont elle est d’ailleurs la maîtresse !

— Et si nous parlions de vous ? riposta Marianne méprisante. De quel nom puis-je vous appeler en dehors du fait que vous êtes un espion ? Maître chanteur ? Et peut-être aussi...

— Tu me paieras tout cela un jour ou l’autre, petite traînée ! J’aurais dû me douter que tu me tendrais un piège. C’est toi, hein, qui m’as vendu ?

— Moi ? Comment aurais-je pu le faire ? Qui de nous deux a décidé de ce rendez-vous ?

— Moi, c’est entendu ! Mais malgré ce que je t’avais dit, tu as posté ces argousins.

— Ce n’est pas vrai ! s’écria Marianne. J’ignorais que l’on vous suivait. Comment l’aurais-je su ?

— Assez de mensonges, gronda Francis avec un geste violent de ses mains liées, comme s’il voulait frapper la jeune femme. Tu as gagné cette fois, Marianne, mais ne te réjouis pas trop vite ! Je sortirai de cette prison... et alors gare à toi !

— En voilà assez ! tonna Black Fish, dont l’œil s’était arrondi de surprise à l’énoncé de la situation de Marianne auprès de l’Empereur. J’ai déjà dit de l’emmener. Embarquez-moi cet homme et bâillonnez-le puisqu’il ne veut pas se taire. Quant à toi, petite, ne tremble pas. J’en sais suffisamment sur lui pour le faire monter sur l’échafaud et ce que tiennent les cachots de Vincennes, ils ne le lâchent plus.

— Avant six mois, je serai vengé ! hurla Francis tandis que l’un des policiers lui appliquait brutalement sur la bouche un crasseux mouchoir à carreaux qui parvint enfin à étouffer ses menaces.

Il était maîtrisé, ligoté. Pourtant, Marianne le regarda partir, traîné par ses gardiens, avec une sorte d’horreur. Elle savait combien était puissant le génie du mal qui habitait cet homme, elle savait à quel point il la haïssait, d’une haine appliquée, tenace, qui ne pouvait que croître maintenant qu’il la croyait coupable de l’avoir dénoncé. Mais, depuis la nuit de leurs noces, elle avait toujours su qu’entre eux c’était une lutte à mort qui ne trouverait son aboutissement que dans la disparition de l’un d’entre eux.

Devinant le cours que suivaient les pensées de son amie, Jolival glissa son bras sous le sien et le serra fermement comme pour la rassurer et lui faire entendre qu’elle n’était pas seule en cause, mais ce fut à Black Fish qui, les poings sur les hanches, regardait partir ses hommes et son prisonnier, qu’il s’adressa.

— Qu’a-t-il donc fait, en dehors du fait qu’il est anglais, demanda-t-il. Et pourquoi le suiviez-vous depuis l’Angleterre ?

— C’est un espion du Hareng Rouge et un dangereux !

— Le Hareng Rouge ? s’étonna Marianne.

— Lord Yarmouth, si tu préfères, actuellement le directeur du Home Office dans le cabinet de lord Wellesley et bien connu dans la haute société parisienne qui lui a donné ce surnom. J’ajoute que sa femme, la belle Maria Fagiani, habite toujours Paris où elle occupe son temps de la plus agréable façon avec quelques amis dont notre gibier fait partie. Mais c’est pour une tout autre raison que j’ai juré la perte de ce Cranmere.

— Laquelle ?

— Les prisonniers des pontons de Portsmouth auxquels il s’est particulièrement intéressé. Ce gentilhomme aime la chasse et, pour meubler ses loisirs, il s’est constitué une meute de chiens dont la spécialité est la traque des prisonniers évadés... J’ai vu quelques-uns de ces malheureux rattrapés par les fauves de Cranmere... ou tout au moins ce qu’ils en laissaient ! Bien peu de chose !

Une effrayante colère grondait dans la voix assourdie de Black Fish, tremblait dans ses poings crispés, entre ses dents serrées. Marianne, épouvantée, ferma les yeux sur les visions de cauchemar qu’il venait d’évoquer. Quel être abominable était donc l’homme auquel on l’avait liée ? Quel abîme d’horreur, de cruauté sadique, dissimulait ce trop beau visage, cette allure de prince ? Un instant la pensée lui revint du pacte conclu avec le cardinal de San Lorenzo et, pour la première fois, elle eut une pensée reconnaissante envers son parrain. Tout plutôt que garder le moindre lien avec un tel monstre !

— Pourquoi ne pas l’avoir tué ? Tué de vos mains ? demanda-t-elle tout bas.

— Parce que je suis avant tout un serviteur de l’Empereur ! Parce que je veux qu’il soit jugé et parce que je ne veux pas priver la guillotine de sa tête. Mais, si les juges ne l’envoient pas à 1’échafaud, je jure de l’abattre moi-même de mes mains... ou d’y laisser ma peau ! Maintenant, laissons cela ! Les visiteurs reviennent. Il faut rendre la scène aux figures de cire !

En effet, deux ou trois curieux pénétraient avec prudence dans le Salon libéré par les policiers. Leurs yeux inquiets cherchaient une suite au drame qui venait de se dérouler, bien plus que les personnages de cire qu’ils étaient censés admirer.

— Il n’est si bonne compagnie qui ne se quitte, soupira Jolival. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous pourrions sortir d’ici. J’avoue qu’à la longue tous ces gens figés...