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— Les papiers ? Mais quels papiers enfin ? s’emporta Marianne. Toute la journée je n’ai entendu parler que de papiers. Je n’y comprends rien.

Doucement, Arcadius posa sa main sur celle de son amie.

— Je crois comprendre, moi. Notre affaire, à nous, s’est trouvée mêlée à une autre affaire, bien plus importante sans doute et où devait tremper votre... enfin l’Anglais. D’où l’arrivée imprévue de ce gigantesque grenadier que vous connaissez si bien et peut-être l’irruption de ce farfelu de Fauche-Borel. C’est bien cela ?

— C’est bien cela, approuva Bobèche. Pardonnez-moi de ne pas entrer plus avant dans les détails, mais certains papiers qui ont été volés sur un ambassadeur anglais disparu récemment ont toutes chances de passer par l’Epi-Scié qui est une sorte de relais pour les agents étrangers. D’autant plus sûr que la police n’y met jamais les pieds, du moins officiellement ! Voilà pourquoi il y avait tant d’agitation ces temps derniers dans mon voisinage et pourquoi l’un des agents qui s’y rendent et qui s’était cru reconnu avait jugé astucieux d’aller se cacher parmi les figures de cire.

— Au fait, dit Arcadius, il a été pris ?

Bobèche fit signe que oui, puis s’absorba dans la dégustation de son Champagne, marquant ainsi sa volonté de ne pas en dire plus. Marianne le regardait maintenant avec une stupeur doublée d’une certaine admiration. Qu’il était donc étrange d’entendre d’aussi graves paroles sortir d’une bouche faite si visiblement pour le rire et la plaisanterie. Qui était donc ce pitre et pour qui travaillait-il au juste ? Il s’était proclamé au service de l’Empereur mais il ne semblait pas être à celui de Fouché. Faisait-il donc partie de ce cabinet noir, personnel à l’Empereur comme il l’avait été aux derniers rois de France et qui formait, à ce que l’on disait, une police parallèle à côté de l’officielle ? Son métier de baladin de plein vent devait lui permettre de voir beaucoup de choses sans que l’on s’en méfiât et, sans doute, possédait-il une grande aptitude à se transformer. Ce soir, avec son habit vert sombre et son impeccable cravate, ses épais cheveux dorés soigneusement coiffés, il n’aurait détonné dans aucun salon et nul n’aurait soupçonné un pitre sous la forme policée de ce garçon élégant.

Le regard perplexe de Marianne alla du jeune homme à sa cousine qui, renversée sur sa chaise, grignotait des cédrats confits sans quitter des yeux son nouveau compagnon. Elle buvait littéralement ses paroles et, dans ses yeux bleus, il y avait une flamme que Marianne n’y avait encore jamais vue, tandis qu’un rose juvénile colorait ses pommettes. Malgré ses quarante ans, son absurde perruque, son maquillage et son grand nez, Adélaïde transfigurée était presque belle, presque jeune.

« Mais... elle est amoureuse ! » songea Marianne stupéfaite, plus attristée qu’amusée, car elle craignait de voir la pauvre fille aventurer son cœur sur un chemin sans issue. Certes, Bobèche s’était montré secourable, chevaleresque même et il semblait éprouver une véritable admiration pour l’intelligence, le courage et le talent de comédienne d’Adélaïde, mais entre la plus folle admiration et le plus modeste amour, il y avait tant d’espace ! Aussi ne put-elle s’empêcher de protester quand Adélaïde, se levant et secouant sa robe avec un soupir de satisfaction, déclara :

— Voilà ! vous savez tout. Maintenant, je crois qu’il est temps de rentrer au théâtre. Cette visite n’avait d’autre but que de vous rassurer sur mon sort. Vous l’êtes, je repars !

— C’est ridicule ! soupira Marianne. Vous serez malgré tout en danger et moi je ne vivrai plus !

— Vous auriez tort, Mademoiselle, dit doucement Bobèche. Je vous promets de veiller sur Mlle Adélaïde comme sur ma propre sœur. Entre Galimafré et moi, elle ne risquera rien, je vous le promets... et nous sommes heureux de cette amitié spontanée qu’elle a bien voulu nous donner, bien que nous en soyons fort indignes.

— De toute façon, ajouta Mlle d’Asselnat qui avait écouté ce petit discours avec une joie visible, rien ni personne ne pourra m’empêcher de retourner là-bas. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression d’exister réellement.

Cette fois, Marianne, vaincue, garda le silence. Exister réellement ? Elle qui avait été jetée en prison pour avoir osé protester contre le divorce de Napoléon, qui avait vécu cachée dans les combles de l’hôtel d’Asselnat abandonné en compagnie d’un portrait, qui avait voulu une nuit mettre le feu à ce même hôtel parce qu’elle le croyait tombé en des mains indignes ? Qu’avait-elle appelé vivre jusque-là ? Et ce fut avec une profonde tristesse qu’elle se laissa embrasser à l’instant du départ.

Devinant la pensée de son amie, Arcadius glissa son bras sous le sien et chuchota :

— Laissez-la faire, Marianne. Elle est follement heureuse de jouer les agents secrets... et je me demande d’ailleurs si elle n’a pas la vocation. De plus, il vaut mieux pour vous, comme pour elle, qu’elle ne revienne pas ici maintenant. Ce garçon a raison : nul, pas même Fanchon, ne songera à la chercher au Théâtre des Pygmées.

— C’est vrai, soupira Marianne. Mais elle va tellement me manquer !

Elle avait tant compté sur Adélaïde pour ces jours difficiles qui allaient venir, pour aussi l’aider quand viendrait l’enfant, pour la guider de ses conseils quand arriverait le moment de rejoindre le cardinal... si jamais Jason ne venait pas. Pourquoi fallait-il donc qu’elle se laissât emporter ainsi par ce démon inattendu où la politique et le plaisir de jouer la comédie avaient sans doute moins d’importance que la séduction d’un pitre ? Une voix secrète lui souffla bien : « Si elle savait la vérité, elle resterait près de toi. » Mais, cette vérité, Marianne ne pouvait la dire ; elle avait promis le silence à son parrain. Et puis... même si Adélaïde apprenait que l’on avait besoin d’elle, aurait-elle le courage de renoncer d’un seul coup à ce mirage qu’elle s’était créé : partager un moment la vie d’un garçon jeune, beau et qui lui plaisait ? Non, il fallait laisser Adélaïde s’engager dans la route absurde qu’elle avait choisie, faire elle-même son expérience. Marianne n’y pouvait rien.

Le cœur soudain très lourd, elle écouta retomber dans la nuit le vantail de la grande porte sur ceux qui partaient. Elle avait froid tout à coup et, frissonnante, alla tendre ses mains à la flamme de la cheminée. Le silence enveloppa le salon, troublé seulement par le léger reniflement d’Arcadius qui prisait. Lentement, il s’approcha de son amie. Le parquet cria sous son pas.

— Pourquoi tant vous tourmenter, Marianne ? dit-il avec douceur. Adélaïde ne risque pas grand-chose, tout compte fait... que perdre quelques illusions ! Quittez cette mine sombre ! Souriez-moi ! La vie va de nouveau être pleine de charme, vous verrez. Regardez Adélaïde ! Elle trouve son bonheur dans un théâtre en planches. Qui sait ce que vous réserve demain ?

Retenant ses larmes, Marianne parvint tout de même à sourire. Cher Arcadius, si bon, si dévoué ! Elle avait honte de ce secret qu’il lui fallait garder pendant un mois et qui, selon elle, ne rimait à rien. Mais quoi, un pacte est un pacte. Elle devait jouer le jeu.

— Vous avez raison, dit-elle gentiment. Qu’Adélaïde s’amuse comme elle l’entend. Puisque je vous ai, je ne suis pas perdue.

— A la bonne heure ! Allez vous reposer maintenant et tâchez de faire de beaux rêves.

— J’essaierai, mon ami, j’essaierai.

Ensemble, ils se dirigèrent vers le grand escalier, obscur à cette heure tardive et Arcadius prit sur une console un chandelier pour éclairer leur marche. Ils étaient à peu près à mi-chemin du palier quand, brusquement, il demanda :