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— Pas si vite, la belle ! Quand on en veut aux gens, on s’explique... et quand on vous accuse, on se défend !

— Je n’ai rien à expliquer.

— Je crois que si, intervint la voix chantante de Fortunée qui venait de percer la foule, deux hommes sur ses talons. Ces messieurs seront justement enchantés de vous entendre.

Les redingotes noires, hermétiquement boutonnées, les chapeaux râpés, les gros souliers et les gourdins des nouveaux venus, leur assez mauvaise mine aussi, annonçaient la police. Devant eux, la foule s’écarta et se tint à distance. D’un mouvement bien réglé, ils encadrèrent Gwen qui se mit à se débattre comme une furie.

— Je n’ai rien fait ! Lâchez-moi ! De quel droit m’arrêtez-vous ?

— Allez, ouste, la fille ! Tu t’expliqueras devant le juge impérial ! fit l’un des deux hommes.

— On n’a pas le droit de m’accuser sans preuve ! C’est un déni de justice.

— A défaut de preuve, on a tes complices : tu sais, les gens de la voiture noire ? Cette dame, ajouta-t-il en désignant Mme Hamelin, nous a prévenus à temps. Deux de nos collègues sont en train de s’en occuper. Et maintenant, assez de bruit, viens avec nous.

D’une poigne vigoureuse, ils entraînèrent la Bretonne qui écumait et se tordait comme une vipère captive. Avant de s’éloigner, elle se retourna, cracha en direction de Marianne et cria :

— On se retrouvera et je saurai bien te faire payer tout ça, garce !

Les policiers disparus, la foule entoura Surcouf et lui fit une ovation. Tout le monde voulait l’approcher et serrer la main du célèbre marin. Il se défendit avec une timidité qui n’était pas feinte, sourit, serra des mains et, finalement, entraîna Marianne vers le café de la Rotonde, dont la terrasse s’avançait au milieu du jardin.

— Venez ! Allons prendre une glace pour refaire connaissance. Après ces émotions, vous en avez besoin et votre amie aussi.

Ils s’installèrent dans la rotonde de verre et Surcouf commanda les consommations. Ses yeux bleus, souriants, allaient de Marianne à Fortunée qui, pour lui, déployait toutes ses grâces d’oiseau des îles, mais revenaient toujours à sa jeune amie.

— Savez-vous que je me demandais ce que vous étiez devenue. Je vous ai écrit plusieurs fois, chez Fouché, sans jamais recevoir de réponse.

— Je ne suis pas restée chez le duc d’Otrante, fit Marianne en attaquant son sorbet à la vanille, mais il aurait pu prendre la peine de me faire tenir vos lettres.

— C’est un peu ce que je pense. Aussi avais-je l’intention d’aller le voir tantôt avant de reprendre le chemin de ma Bretagne.

— Quoi ? Vous repartez si vite ?

— Il le faut bien. Je ne suis venu que pour affaires et puisque je vous ai revue, tout est bien. Je peux rentrer tranquille. Savez-vous que vous êtes superbe ?

Son regard admiratif parcourait la toilette élégante de la jeune femme, s’attardait aux bijoux d’or qui ornaient ses poignets et Marianne éprouva tout à coup un peu de gêne. Comment lui expliquer ce qu’elle était devenue ? Son aventure avec l’Empereur était si extraordinaire, si fantastique qu’il serait peut-être difficile à un homme, aussi simple et direct que le corsaire, d’y croire aisément. Ce fut Fortunée qui, devinant son embarras, la tira d’affaire.

— C’est que, mon cher Baron, vous avez devant vous la reine de Paris.

— Comment cela ? Notez que je ne doute nullement que vous n’ayez tout ce qu’il faut pour conquérir un royaume mais...

— Mais cela vous paraît étrange en si peu de temps ? Eh bien, sachez qu’il n’y a plus de Marianne. Je suis heureuse de vous présenter la signorina Maria-Stella.

— Comment ? C’est vous ?... Mais il n’est bruit, dans Paris, que de votre beauté et de votre talent. Et vous êtes, alors, celle que l’Empereur...

Il s’arrêta. Sa large figure léonine rougit brusquement sous son hâle, tandis qu’une identique rougeur montait aux pommettes de Marianne. Il était gêné de ce qu’il avait failli dire et elle se sentait atteinte par ce que son brusque silence sous-entendait. D’un seul coup, les choses entre eux avaient pris leurs vraies dimensions. Elle avait compris que Surcouf, bien que provincial et depuis peu de temps à Paris, n’ignorait rien des potins courant rues et salons, qu’il savait, désormais, avoir en face de lui la maîtresse de Napoléon et elle crut remarquer que cela ne lui faisait guère plaisir. Son regard bleu, qui, dans ce visage tanné, rappelait étrangement à Marianne celui de Jason Beaufort, s’était assombri. Il y eut un petit silence, tellement pesant malgré sa brièveté que même la bavarde Fortunée n’osa pas le rompre. Elle fit toute une affaire de déguster sa glace au chocolat et parut se désintéresser du débat. Et ce fut Marianne qui, bravement, rompit les chiens la première.

— Vous me jugez mal, n’est-ce pas ?

— Non... Je crains seulement que vous ne soyez guère heureuse, si vous l’aimez... ce qui ne fait sûrement aucun doute :

— Pourquoi ?

— Parce qu’il est des choses qu’une femme comme vous ne fait pas sans amour. J’ajoute... qu’il a de la chance ! J’espère qu’il s’en rend compte.

— J’en ai plus encore. Mais pourquoi pensez-vous que je ne suis pas heureuse ?

— Justement parce que vous êtes vous et que vous l’aimez. Il vient de se marier, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez qu’en souffrir !

Marianne baissa la tête. Le marin, avec la simple clairvoyance des gens accoutumés à compter autant avec la nature qu’avec les hommes, lisait en elle comme en un petit livre écrit en gros caractères.

— C’est vrai, admit-elle avec un petit sourire crispé, je souffre mais je ne voudrais pas que lés choses fussent différentes. J’ai appris, à mes dépens, qu’ici-bas tout se paie et je suis prête à solder la facture du bonheur que j’ai eu, même si elle est exceptionnellement lourde.

Il se levait, se courbait un peu pour prendre sa main qu’il baisait légèrement. Devant son visage de marbre, elle s’affola soudain.

— Vous partez ? Est-ce que cela veut dire que... vous n’êtes plus mon ami ?

Son rare sourire, timide et brusque, apparut un court instant, mais toute la chaleur du monde se réfugia dans ses yeux bleus, délavés par trop de tempêtes et trop de nuits de veille sur un pont balayé par le vent.

— Votre ami ? Je le serai jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’au bout du monde. Mais il faut que je parte, simplement. Voici venir mon frère et deux de nos capitaines auxquels j’avais donné rendez-vous en ce jardin.

Doucement, Marianne retint les doigts rugueux qui serraient les siens.

— Je vous reverrai, n’est-ce pas ?

— Si cela ne dépend que de moi. Mais où puis-je vous retrouver ?

— Hôtel d’Asselnat, rue de Lille... Vous y serez toujours le bienvenu.

A nouveau, il posa ses lèvres sur la petite main douce qui le retenait prisonnier et sourit, mais cette fois son sourire avait la gaieté malicieuse d’un sourire d’enfant.

— Ne m’invitez pas trop, je serais capable de m’installer. Vous n’imaginez pas combien les gens de mer s’attachent aisément.

Tandis qu’il s’éloignait avec le groupe d’hommes qui, le voyant en compagnie, l’avaient attendu un peu plus loin, Fortunée Hamelin poussa un énorme soupir.

— C’est tout juste s’il m’a regardée ! fit-elle avec une moue désappointée. Décidément quand tu es là, ma chère, on ne peut vraiment garder aucune chance ! J’aurais pourtant bien voulu l’intéresser ! Voilà un homme comme je les aime.

Marianne se mit à rire.

— Tu en aimes tellement, Fortunée ! Laisse-moi mon corsaire ! Il y en a tant qui te le feront oublier. Dupont, par exemple !