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— Je vous l’ai dit : attendre jusqu’à la dernière minute l’arrivée de Jason. Sinon... me rendre au rendez-vous que me donne mon parrain. Voyez-vous une alternative ?

A la grande surprise de Marianne, Arcadius rougit violemment, se leva, fit un tour dans la chambre, les mains au dos, puis l’air gêné, revint vers son amie.

— Il y en aurait bien eu une autre et qui eût été la plus simple pour vous. Malgré ma vie agitée, je suis bon gentilhomme et vous auriez pu sans déchoir devenir Mme de Jolival, notre différence d’âge vous mettant à l’abri de toute... revendication de ma part. J’aurais pu être pour vous un mari aussi paternel que factice. Malheureusement ce n’est pas possible.

— Pourquoi donc ? demanda doucement Marianne qui s’était attendue un peu à cette réaction sans laquelle Arcadius n’eût pas été lui-même.

Arcadius devint ponceau et lui tourna carrément le dos pour répondre, dans un souffle :

— Je suis déjà marié. Oh ! c’est une vieille histoire, ajouta-t-il très vite en se retournant, et j’ai toujours fait tout ce que je pouvais pour l’oublier, mais il n’en demeure pas moins qu’il y a, quelque part au monde, une Mme de Jolival qui a sur moi, sinon tous les droits, du moins celui de m’empêcher de reconvoler.

— Mais enfin, Arcadius, pourquoi ne le disiez-vous pas ? Quand je vous ai connu, dans les carrières de Chaillot, vous étiez même en litige contre Fanchon-Fleur-de-Lys parce que, si ma mémoire est fidèle, cette créature voulait vous marier de force à sa nièce Philomène et vous tenait en prison pour cela. Pourquoi ne lui aviez-vous pas dit que vous étiez marié ?

— Elle ne m’a pas cru, avoua Jolival piteusement. De plus, elle m’a dit que, même dans ce cas-là, cela ne constituerait pas un obstacle. Il suffirait de s’arranger pour supprimer ma femme. Or, je déteste Marie-Simplicie... mais pas à ce point-là tout de même ! Quant à vous, si je ne vous ai pas dit la vérité, tout d’abord c’est parce que, ne vous connaissant pas encore, je craignais que vous ne fussiez encombrée de principes qui vous empêcheraient de me conserver auprès de vous... et vous êtes exactement la fille que j’aurais voulu avoir.

Emue, Marianne se leva à son tour et, allant jusqu’à son vieil ami, passa affectueusement son bras sous le sien.

— Nous sommes à égalité en fait de dissimulation, mon ami ! Mais vous n’aviez rien à craindre. Moi aussi je tenais à vous garder, car, depuis la mort de ma tante, personne n’a veillé sur moi comme vous l’avez fait. Permettez-moi seulement une question. Ou est votre femme ?

— En Angleterre, grogna Jolival. Avant, elle était à Mittau et avant encore à Vienne. Elle a émigré dès le premier coup de feu tiré contre la Bastille. Elle était au mieux avec Mme de Polignac, tandis que moi... enfin nous avions des idées politiques diamétralement opposées !

— Et... pas d’enfants ? demanda presque timidement Marianne.

Mais, contrairement à son attente, Jolival se mit à rire.

— On voit bien que vous n’avez jamais vu Marie-Simplicie la mal nommée. Je l’ai épousée pour faire plaisir à ma pauvre mère et régler une interminable histoire de famille... mais je me suis bien gardé d’y toucher ! D’ailleurs sa religion et sa hauteur de vues lui auraient sans doute rendu insupportable, laideur mise à part, ce grossier contact humain que l’on appelle l’amour. Actuellement, elle est des dames de la duchesse d’Angoulême et, très certainement, parfaitement heureuse, si j’en crois ce qu’on murmure du caractère de cette princesse. Ensemble, elles doivent prier éperdument un dieu de colère et de vengeance de pourfendre l’Usurpateur et de rendre la France aux joies de la monarchie absolue, ce qui leur permettrait de rentrer à Paris au crépitement des pelotons d’exécution et au tintement joyeux des chaînes conduisant aux galères des dignitaires de l’Empire et les ex-révolutionnaires pêle-mêle. C’est une femme d’une grande douceur que Marie-Simplicie !...

— Pauvre Arcadius, fit Marianne en posant un baiser rapide sur la joue de son ami. Vous n’aviez pas mérité cela ! N’en parlons plus désormais. Je suis désolée de vous avoir obligé à remuer tous ces souvenirs que vous vous donniez tant de peine pour oublier. Vous y parviendrez très vite. Quant à moi, c’est déjà fait. Dites-moi seulement combien de temps il me faut pour gagner Lucques.

— Il y a environ trois cents lieues, s’empressa de répondre Arcadius avec une hâte qui prouvait combien il était heureux de changer de conversation, en passant par le mont Cenis et Turin. Grâce au ciel, la saison doit nous permettre de franchir le col et, avec une bonne chaise de poste, on fait aisément vingt-cinq à trente lieues par jour.

— A condition de s’arrêter, coupa Marianne. Mais en dormant dans la voiture et en relayant sans arrêter ?

— Cela me paraît difficile, surtout pour une femme. Et il faudrait au moins deux cochers. Gracchus ne tiendrait pas si longtemps. Les postillons, c’est différent, on les change aux relais. Au mieux, Marianne, il vous faut compter quinze jours car, outre les montagnes qui ralentissent sérieusement l’allure, vous devez compter avec les accidents de parcours...

— Quinze jours ! Il faut donc partir le 1er mai ! Cela ne laisse pas beaucoup de temps à Jason pour arriver. Et... à cheval, irait-on plus vite ?

Cette fois Jolival se mit à rire.

— Certainement moins. Vous ne résisteriez pas longtemps au même train de vingt lieues par jour. Il faut être entraîné, avec un cuir tanné de grenadier à cheval, pour couvrir un long parcours. Connaissez-vous l’histoire du courrier de Friedland ?

Marianne fit signe que non. Elle adorait les histoires d’Arcadius qui en avait toujours plein ses poches.

— Parmi les courriers de l’Empereur, commença Jolival, il en est un particulièrement rapide, c’est le cavalier Esprit Chazal, surnommé Moustache. Au lendemain de la bataille de Friedland, Napoléon a voulu que la nouvelle parvînt à Paris le plus vite possible. Cette nouvelle, il décida d’abord de la confier à son beau-frère, le prince Borghèse, l’un des meilleurs cavaliers de l’Empire. Mais, vingt-quatre heures plus tard, il faisait partir, porteur de la même nouvelle son fameux Moustache. Au bout de cinquante lieues, Borghèse a troqué son cheval contre sa berline et a roulé jours et nuits. Moustache, lui, s’est contenté de ce qu’il avait : les chevaux des relais et son endurance. Il a couru jours et nuits et, en neuf jours, vous m’entendez ? il a couvert les quatre cent cinquante lieues séparant Friedland de Paris... et il est arrivé avant Borghèse. Un extraordinaire exploit ! Mais il a failli en mourir et Moustache est un géant taillé dans le granit le plus dur. Vous n’êtes pas Moustache, chère Marianne, même si vous avez plus de courage et plus d’endurance que la majorité des femmes. Je vais vous procurer une berline aussi solide que possible et nous ferons le chemin...

— Non, coupa Marianne, je préfère que vous demeuriez ici.

Arcadius eut un haut-le-corps et fronça les sourcils.

— Ici ? Pourquoi ? A cause de cette promesse faite à votre parrain ?... Vous craignez...

— Pas du tout. Mais je voudrais que vous restiez pour attendre Jason autant que faire se pourra. Il peut arriver après mon départ, puisqu’il ignore ce que j’attends de lui... et, s’il n’y a personne pour le recevoir, il ne pourra pas tenter de me rejoindre. Il est, lui, un homme vigoureux, un marin et j’en jurerais un excellent cavalier. Peut-être... ajouta-t-elle en rougissant à son tour... qu’en ma faveur il pourrait essayer de renouveler l’exploit de Moustache... ou quelque chose d’approchant...

— ... et relier Paris à Lucques en une semaine ? Je crois qu’en effet, pour vous, il en serait capable. Je resterai donc... vous ne pouvez cependant partir seule. Cette longue route...