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— Nous sommes arrivés, soupira Marianne. Tu n’auras qu’à demander le Duomo, Gracchus. C’est la cathédrale. L’auberge où nous allons doit être sur la place.

Les formalités auprès d’un corps de garde bon enfant et lymphatique furent rapides. Les papiers des voyageurs étaient d’ailleurs parfaitement en règle.

Avec un grondement de tonnerre, la berline s’engouffra sous la voûte du rempart tandis que, de tous les clochers, les notes frêles de l’Angélus s’envolaient vers la campagne. Des bandes d’enfants s’élancèrent en criant sur la trace de la voiture, cherchant à s’accrocher aux ressorts.

Le soir tombant allumait des lanternes ici et là au long de l’étroite rue bordée de hautes maisons médiévales dans laquelle s’engagea la voiture. Comme à la fin de chaque journée, quand il ne pleut pas, en Italie, toute la ville ou presque était dehors et la voiture dut aller au pas. Des hommes, surtout, passaient par groupes, se tenant par le bras et allant en direction des places. Quelques femmes aussi, vêtues de sombre pour la plupart mais enveloppées, de la tête aux genoux, dans de grands châles de dentelle blanche. On parlait haut, on s’interpelait, parfois fusait l’écho d’une chanson, mais Marianne remarqua de nombreux soldats et en conclut, avec ennui, que peut-être la Grande-Duchesse Elisa avait gagné sa résidence d’été lucquoise, cette fastueuse villa de Marlia dont lui avait parlé Arcadius. Si la nouvelle de la pseudo-cure entreprise par la cantatrice Maria-Stella venait jusqu’à elle, Marianne pouvait se trouver en butte à une gênante invitation, contraire non seulement aux recommandations de son parrain, mais encore à son propre désir. C’était à Lucques, en effet, que devait s’achever la carrière de l’éphémère Maria-Stella. Il ne pouvait plus être question, pour elle, de remonter sur une scène, l’identité nouvelle qui allait lui être imposée s’y opposant certainement. D’ailleurs, Marianne s’avouait que ce serait sans regret qu’elle abandonnerait le théâtre pour lequel, décidément, elle ne se sentait pas faite. Sa dernière expérience publique, aux Tuileries, lui avait été trop cruelle. Donc, il valait mieux éviter autant que faire se pourrait la sœur de Napoléon...

Toujours entourée de gosses braillards, la voiture poursuivit sa route, prit le trot en traversant une grande et belle place plantée d’arbres où se dressait une statue de l’Empereur, en coupa une autre plus petite qui faisait suite et déboucha finalement en face d’une admirable église romane dont la façade, aérienne avec sa triple rangée de légères colonnettes, tempérait l’arrogance d’un puissant campanile crénelé.

— Voilà votre cathédrale, commenta Gracchus. Et je voudrais bien savoir pourquoi ils appellent ça le dôme ? Il n’y a pas de dôme là-dessus.

— Je t’expliquerai plus tard. Cherche l’auberge.

— Pas difficile à trouver. La voilà, pardi ! On ne voit qu’elle !

Tourné l’angle d’un charmant palais de la Renaissance, dont les portes à bossages encadraient un jardin luxuriant, l’auberge del Duomo étalait ses fenêtres sévèrement grillées mais bien éclairées de l’intérieur et son large porche cintré au-dessus duquel s’étalait son enseigne et s’accrochait un chèvrefeuille.

— On dirait qu’il y a du monde ! murmura Marianne.

En effet, des chevaux de selle attendaient à la porte aux mains de quelques soldats.

— Doit y avoir un régiment de passage, grogna Gracchus. Qu’est-ce qu’on fait ?

— Que veux-tu que nous fassions ? fit Marianne impatientée. Entre ! Nous n’allons pas passer la nuit dans la voiture sous prétexte qu’il y a du monde à l’auberge. On doit avoir retenu pour nous.

En serviteur obéissant, Gracchus, sans se risquer à demander qui était ce « on » mystérieux, franchit le porche de l’auberge et vint arrêter majestueusement son attelage fumant dans la cour intérieure. Comme par enchantement, palefreniers et valets surgirent de tous les coins d’ombre et, par la porte de derrière, armé d’une grosse lanterne, apparut l’aubergiste qui se précipita vers cet élégant attelage aussi vite que le permettait son ventre et se répandit en courbettes multiples.

— Je suis Orlandi, Madame, au service de Votre Excellence ! C’est un honneur pour l’auberge del Duomo qu’une visite comme celle de Madame, mais j’ose dire que nulle part ailleurs elle ne trouvera meilleur gîte et meilleure table.

— A-t-on retenu des chambres pour moi et mes gens ? demanda Marianne en excellent toscan. Je suis la signorina Maria-Stella et...

— Si, si... molto bene ! Si la signorina veut se donner la peine de me suivre. Le signor Zecchini attend depuis ce matin.

Marianne ne sourcilla même pas à l’énoncer de ce nom inconnu. Un envoyé du cardinal peut-être ? Ce ne pouvait tout de même pas être l’homme qu’elle devait épouser.

— Mais, tous ces gens dans votre auberge ? fit-elle en désignant les nombreux uniformes qui apparaissaient par les vitres noircies de la cuisine.

Le signor Orlandi haussa ses grasses épaules et, pour bien montrer en quelle estime il tenait les militaires, cracha par terre sans cérémonie.

— Peuh ! des gendarmes de Son Altesse la Grande-Duchesse. Ils sont seulement de passage... du moins j’espère !

— Des manœuvres peut-être ?

La ronde figure d’Orlandi sur laquelle une longue moustache de bandit calabrais s’efforçait sans succès de donner un air redoutable parut s’allonger curieusement.

— L’Empereur a donné ordre de fermer les couvents dans toute la Toscane. Certains évêques du Trasimène se sont élevés contre le pouvoir établi. Quatre d’entre eux ont été arrêtés, mais on craint que d’autres ne se soient réfugiés chez nous. D’où ces mesures exceptionnelles.

Toujours cet antagonisme incessant entre Napoléon et le Pape !

Marianne fronça les sourcils. Quelle idée avait donc eue son parrain de la faire venir justement dans cette région où les choses semblaient aller si mal entre l’Empereur et l’Eglise ? Les difficultés qu’elle entrevoyait pour son retour à Paris n’en seraient pas diminuées, bien au contraire. Déjà, elle n’évoquait pas sans frissonner la réaction de l’Empereur quand il saurait que, sans même le consulter, elle avait épousé un inconnu. Le cardinal, bien sûr, avait promis que ce ne serait pas un ennemi, mais pouvait-on jamais préjuger des réflexes d’un homme à ce point jaloux de son pouvoir ?

Le brouhaha qui régnait dans la grande salle de l’auberge sauta au visage des arrivants. Un groupe d’officiers en entourait un autre qui venait visiblement d’arriver. Couvert de poussière et rouge de fureur, le nouveau venu vociférait, le shako en bataille, la moustache menaçante et l’œil flambant.

— ... un valet glacial est venu jusqu’à la grille et m’a expliqué, en hurlant pour couvrir les aboiements des dogues, que son maître ne recevant jamais personne, il était inutile de perquisitionner chez lui pour voir si l’un de ces sacrés évêques s’y cachait ! Là-dessus, sans rien vouloir écouter de plus, il m’a tourné le dos et il est reparti aussi tranquillement que si nous n’existions pas. Je n’avais pas assez d’hommes pour investir sa sacrée villa mais, sacrebleu, ça ne se passera pas comme ça ! Allez, vous autres, en selle. On va montrer à ce Sant’Anna ce qu’il en coûte de se moquer des ordres de Sa Majesté l’Empereur et de Son Altesse Impériale la Grande-Duchesse !