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— Vous ne pouvez pas comprendre ! Votre amour, à vous, a été si simple que la mort partagée vous a paru sans doute la suite logique et l’accomplissement même de cet amour dans sa forme la plus parfaite. Mais moi...

Le pas léger d’Arcadius sur le tapis interrompit le plaidoyer de Marianne. Un instant, il contempla la jeune femme, tache de velours noir sur le décor lumineux du salon, plus ravissante peut-être dans sa mélancolie que dans l’éclat de la joie. La proximité du feu mettait une teinte chaude à ses hautes pommettes et allumait des reflets d’or dans ses yeux verts.

— Il ne faut jamais regarder en arrière, dit-il doucement, ni prendre conseil du passé. Votre empire, à vous, c’est l’avenir.

Vivement, il alla jusqu’au secrétaire, reprit la lettre qu’il avait apportée en arrivant et la tendit à Marianne.

— Vous devriez au moins lire celle-là ! Un courrier crotté jusqu’aux yeux la remettait à votre portier lorsque j’arrivais, en mentionnant que c’était urgent... un courrier qui avait dû fournir une longue course par mauvais temps.

Le cœur de Marianne manqua un battement. Se pouvait-il que ce fût, enfin, des nouvelles de Compiègne ? Elle saisit la lettre, regarda la suscription qui ne lui apprit rien car elle ne connaissait pas l’écriture, puis le cachet noir sans aucun relief. D’un doigt nerveux, elle le fit sauter, ouvrit le pli qui ne portait pas non plus de signature, mais simplement ces quelques mots :

« Un fervent admirateur de la signorina Maria-Stella serait au comble de la joie si elle acceptait de le rencontrer ce mardi 27 au château de Braine-sur-Vesle, à la nuit close. Le domaine se nomme La Folie, mais c’est sans doute le nom qui convient à la prière de celui qui attendra... Prudence et discrétion. »

Le texte était étrange, le rendez-vous plus encore. Sans un mot Marianne tendit la lettre à Arcadius. Elle le vit parcourir rapidement le message puis relever un sourcil.

— Curieux ! fit-il. Mais à tout prendre compréhensible.

— Que voulez-vous dire ?

— Que l’archiduchesse foule désormais le sol de France, que l’Empereur est tenu, en effet, à une grande discrétion... et que le village de Braine-sur-Vesle se trouve sur la route de Reims à Soissons. A Soissons où la nouvelle impératrice doit faire halte ce même 27 au soir.

— Ainsi, selon vous, cette lettre est de « lui » ?

— Qui d’autre pourrait vous donner pareil rendez-vous dans semblable région ? Je pense que... (Arcadius hésita devant le nom que l’on cachait si soigneusement puis enchaîna :) qu’il souhaite vous donner une ultime preuve d’amour en passant quelques instants auprès de vous au moment même où arrive la femme qu’il épouse par raison d’Etat. Cela devrait répondre à vos angoisses.

Mais Marianne n’avait plus besoin d’être convaincue. Le sang aux joues, les yeux étincelants, reprise tout entière par sa passion, elle ne pensait plus qu’à la minute, proche maintenant, qui la ramènerait dans les bras de Napoléon. Arcadius avait raison : il lui donnait là, malgré les précautions dont il s’entourait, une grande, une merveilleuse preuve d’amour.

— Je partirai dès demain, déclara-t-elle. Dites à Gracchus de me préparer un cheval.

— Vous ne prenez pas la voiture ? Il fait un temps affreux et il y a une trentaine de lieues.

— On me recommande la discrétion, fit-elle avec un sourire. Un cavalier attire moins l’attention qu’une élégante voiture avec cocher et tout le reste. Je monte parfaitement à cheval, vous savez ?

— Moi aussi, répliqua Jolival du tac au tac. Aussi dirai-je à Gracchus de seller deux chevaux. Je vous accompagne.

— Est-ce bien utile ? Vous ne croyez pas que...

— Je crois que vous êtes une jeune femme, que les routes ne sont pas souvent sûres, que Braine n’est qu’une bourgade et qu’on vous y donne rendez-vous à la nuit close dans un domaine que je ne connais pas. N’allez pas vous imaginer que je me méfie de... qui vous savez, mais je ne vous quitterai que lorsque je vous saurai en bonnes mains. Après quoi, j’irai dormir à l’auberge.

Le ton était sans réplique et Marianne n’insista pas. Après tout, la compagnie d’Arcadius était bonne à prendre surtout pour une expédition qui durerait bien trois jours aller et retour. Mais elle ne put s’empêcher de penser que tout cela était un peu compliqué et que les choses eussent été bien plus simples si l’Empereur l’eût emmenée à Compiègne et installée, comme elle le souhaitait, dans une maison de la ville. Il est vrai que, selon les mauvaises langues, la princesse Pauline Borghèse était à Compiègne avec son frère et qu’elle avait auprès d’elle sa dame d’honneur préférée, cette Christine de Mathis qui avait précédé Marianne dans les bonnes grâces de Napoléon.

— Qu’est-ce que je vais imaginer ? songea tout à coup Marianne. Je vois des rivales partout. En vérité, je suis trop jalouse. Il faut que je me surveille davantage.

La porte d’entrée, claquant bruyamment dans le vestibule, vint interrompre à propos son monologue. C’était Adélaïde qui rentrait du salut où elle se rendait presque chaque soir, moins par pitié d’ailleurs, selon Marianne, que pour voir du monde et s’intéresser aux gens du quartier. En effet, Mlle d’Asselnat, curieuse comme une chatte, en ramenait toujours un plein chargement d’anecdotes et d’observations qui prouvaient simplement que l’autel n’avait pas eu le monopole de son attention.

Marianne prit la main que lui tendait Arcadius pour l’aider à se relever et lui sourit.

— Voilà Adélaïde, dit-elle. Allons souper et prendre connaissance des potins du quartier.

2

UNE PETITE ÉGLISE DE CAMPAGNE

Dans l’après-midi du surlendemain, Marianne et Arcadius de Jolival mettaient pied à terre devant l’auberge du Soleil d’Or à Braine. Le temps était affreux car, depuis l’aube, une pluie diluvienne noyait la région et les deux cavaliers, malgré leurs épais manteaux de cheval, étaient si mouillés qu’un abri s’imposait d’urgence. Un abri et quelque chose de chaud.

Partis depuis la veille, tous deux avaient fait le trajet aussi vite que possible, sur le conseil d’Arcadius qui souhaitait pouvoir reconnaître les lieux avant l’étrange rendez-vous. Ils prirent deux chambres à l’auberge, qui était l’unique et modeste hôtellerie du village, puis s’installèrent dans la salle basse, vide de consommateurs à cette heure creuse, pour y absorber l’une un bouillon et l’autre un bol de vin chaud. On les laissa d’ailleurs bien tranquilles dans leur coin tant l’agitation était grande dans la bourgade au bord de la Vesle habituellement si paisible. C’est que, dans peu d’instants, dans une heure... deux peut-être, la nouvelle impératrice des Français traverserait Braine, se dirigeant vers Soissons où elle devait souper et coucher.

Et, malgré la pluie, tout le village était dehors, en habits de fête, sous les guirlandes et les lampions qui s’éteignaient petit à petit. Près de l’église, une estrade tendues aux couleurs françaises et autrichiennes avait été installée où les notabilités de l’endroit prendraient place dans un instant sous des parapluies pour haranguer à son passage la nouvelle venue, tandis que, par la porte ouverte de la belle vieille église, on entendait la chorale locale répéter le chant de bienvenue par lequel elle saluerait tout à l’heure le défilé des voitures. Tout cela donnait au pays un air joyeux et coloré qui contrastait étrangement avec la maussaderie du temps. Seule, Marianne se sentait plus mélancolique que jamais, bien qu’une curiosité ardente se mêlât à cette sombre humeur. Tout à l’heure, elle aussi sortirait sous la pluie pour essayer de voir de près celle qu’elle ne pouvait s’empêcher d’appeler sa rivale, cette fille des ennemis qui osait lui ravir la première place auprès de l’homme qu’elle aimait, uniquement parce qu’elle était née sur les marches d’un trône.