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— Est-ce que... cet homme est incapable d’avoir un enfant ? Est-il trop vieux ?

— Ni trop vieux ni incapable, mais procréer est pour lui chose impensable, plus encore terrifiante. Il aurait pu, bien sûr, adopter quelque autre enfant, mais il repoussait avec horreur l’idée de greffer un sang vulgaire au vieil arbre de sa famille. Tu lui apportes, mêlé au meilleur sang de France, celui non seulement d’un empereur mais de l’homme qu’au monde il admire le plus. Demain, Marianne, tu épouseras le prince Corrado Sant’Anna...

Oubliant où elle se trouvait, Marianne poussa un léger cri.

— Lui ? L’homme que personne n’a jamais vu ?

Le visage du cardinal prit une dureté de pierre. Son regard bleu étincela,

— Comment le connais-tu ? Qui t’a parlé de lui ?

En quelques mots, la jeune femme relata la scène dont elle avait été témoin à l’auberge. Après quoi, son récit terminé, elle ajouta :

— On dit qu’il est atteint d’une maladie affreuse, que c’est pour cette raison qu’il se cache avec tant de soin, on dit même qu’il est fou.

— Personne n’a jamais réussi à enchaîner la langue des hommes et moins encore leur imagination. Non, il n’est pas fou. Quant à la raison de sa claustration volontaire, il ne m’appartient pas de te la révéler. Elle est son secret. Il te le dévoilera peut-être un jour s’il le juge bon... mais cela m’étonnerait fort ! Sache seulement qu’il obéit à des mobiles non seulement respectables, mais très nobles.

— Pourtant... si nous devons être unis, il faudra tout de même bien que je le voie ! fit Marianne avec une note d’espoir inconscient.

Le cardinal hocha la tête et remarqua :

— J’aurais dû ajouter qu’on ne peut pas, non plus, maîtriser la curiosité des femmes ! Ecoute bien ceci, Marianne, car je ne me répéterai pas. Entre toi et Corrado Sant’Anna, c’est un nouveau pacte, semblable en quelque sorte à celui que nous avions conclu ensemble. Il te donne son nom, il reconnaîtra ton enfant qui, un jour, sera l’héritier de ses biens et titres, mais il est probable que tu ne verras jamais son visage, même au moment du mariage.

— Mais enfin, s’écria Marianne irritée par ce mystère dans lequel semblait se complaire le cardinal, vous le connaissez, vous ? Vous l’avez vu ? Qu’a-t-il pour se cacher ainsi ? Est-ce un monstre ?

— Quel grand mot ! En effet, je l’ai vu souvent. Je l’ai toujours connu, depuis sa naissance qui fut un drame atroce. Mais j’ai juré sur l’honneur et sur l’Evangile de ne jamais rien révéler concernant sa personne. Dieu m’est témoin cependant que j’aurais donné beaucoup pour qu’il vous soit possible de former ensemble, et au grand jour, un véritable couple, car j’ai rarement rencontré homme d’une telle valeur. Mais, les choses étant ce qu’elles sont, je crois agir au mieux de vos intérêts à tous deux en concluant ce mariage... l’union en quelque sorte de deux détresses. Quant à toi, en échange de ce qu’il t’apportera, car tu vas être désormais une très grande dame, il te faudra vivre avec honneur et droiture, et respecter cette famille à laquelle tu vas appartenir et dont les racines plongent dans l’Antiquité elle-même, et à laquelle était apparentée celle qui dort dans ce tombeau. Y es-tu préparée ? Car, entendons-nous bien, si tu ne cherches ici qu’une couverture commode pour pouvoir mener une vie sans entraves au bras de n’importe quel homme, mieux vaut te retirer et chercher ailleurs. N’oublie pas que je ne t’offre pas le bonheur, mais la dignité, l’honneur d’un homme qui ne sera jamais auprès de toi pour les défendre et une vie exempte de tout souci matériel. En un mot, j’attends de toi que tu te conduises désormais selon ta race et selon les usages des tiens. Cependant, tu peux encore reculer si les conditions te semblent trop dures. Tu as dix minutes pour me dire si tu veux rester la chanteuse Maria-Stella ou devenir la princesse Sant’Anna...

Il semblait vouloir s’écarter d’elle pour la laisser à sa méditation, mais Marianne, saisie d’une brusque panique, agrippa son bras pour le retenir.

— Un mot encore, mon Parrain, je vous en supplie. Comprenez ce qu’est pour moi la décision qu’il me faut prendre ! Je sais, depuis toujours, qu’il n’est pas d’usage qu’une fille de grande maison discute l’union préparée par ses parents, mais admettez que, cette fois, les circonstances sont exceptionnelles.

— Je l’admets. Pourtant je ne pensais pas que tu veuilles encore discuter.

— Ce n’est pas cela ! Je ne veux pas discuter. J’ai foi en vous et je vous aime comme j’aurais aimé mon père. Ce que je désire c’est un peu plus d’explications. Vous venez de me dire qu’il me faudra désormais vivre selon les lois des Sant’Anna, respecter le nom que je porterai.

— Et alors ? fit durement le cardinal. Je n’aurais jamais cru entendre, de ta bouche, semblable question...

— Je m’exprime mal, gémit Marianne. En d’autres termes : quelle sera ma vie du moment où j’aurai épousé le prince ? Serai-je tenue de vivre dans sa maison, sous son toit...

— Je t’ai déjà dit non. Tu pourras vivre exactement où bon te semblera : chez toi, à l’hôtel d’Asselnat ou n’importe où il te plaira. Tu pourras, également, résider dans l’une des demeures des Sant’Anna quand tu en auras envie, que ce soit dans la villa que tu verras demain, ou dans les palais qu’ils possèdent, à Venise ou à Florence. Tu seras libre entièrement et l’intendant des Sant’Anna veillera à ce que ta vie soit non seulement exempte de tout souci matériel, mais fastueuse, comme il convient à une femme de ton rang. J’entends seulement que tu prennes pleinement conscience de ce rang. Pas de scandales, pas d’aventures de passage, pas de...

— Oh, Parrain ! s’écria Marianne blessée, je ne vous ai jamais donné le droit de supposer que je pouvais descendre assez bas pour...

— Pardonne-moi, ce n’est pas non plus ce que j’ai voulu dire et moi aussi je m’exprime mal. Je pensais encore à cet état de chanteuse que tu avais choisi et dont, peut-être, tu n’avais pas médité les dangers. Je sais parfaitement que tu aimes et qui tu aimes ! Et si je déplore ce choix de ton cœur, je n’ignore pas qu’il a trop de puissance pour ne pas te ramener à lui quand il le souhaitera. Tu n’es pas de force à lutter contre lui et contre toi-même. Mais, mon enfant, ce que je te demande c’est de te souvenir toujours du nom que tu porteras et de te conduire en conséquence. N’agis jamais d’une façon telle que ton enfant... votre enfant désormais, puisse te le reprocher un jour. Je crois, d’ailleurs, que je peux te faire confiance. Tu es toujours la fille de mon cœur... Simplement, tu n’as pas eu de chance. Maintenant, je te laisse réfléchir.

Cela dit, le cardinal s’éloigna de quelques pas et alla s’agenouiller devant la statue de Saint-Jean laissant Marianne auprès du tombeau. Instinctivement, elle se tourna vers lui comme si la réponse que demandait le cardinal devait sortir de cette bouche de pierre. Vivre dans la dignité... mourir dans la dignité, c’était à cela sans doute que s’était résumée la vie de la jeune femme qui dormait là ! Mais que la dignité avait donc de grâce ainsi traduite ! Et, d’ailleurs, Marianne s’avouait sincèrement qu’elle n’avait pas tellement de goût pour les aventures, telles qu’elle les avait connues tout au moins et ne pouvait s’empêcher de songer que, si les choses avaient été différentes et surtout si Francis avait été différent, elle vivrait, à cette même heure dans le calme... et la dignité au milieu des majestueuses splendeurs de Selton Hall.

Doucement, elle s’approcha du tombeau, posa une main sur un pli de marbre dont le froid la surprit. Etait-ce une illusion ou bien le mince visage aux yeux clos d’Ilaria, si sage au-dessus du haut col qui l’encadrait, avait-il reflété un fugitif sourire ? Comme si la jeune femme avait cherché par-delà la mort à encourager sa sœur vivante ?