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— Non, corrigea doucement Lavinia, un simple masque, un masque de cuir blanc. Il ne faut pas lui garder rancune. Il est plus à plaindre que jamais, car cette nuit il a souffert cruellement. Je vais faire les malles.

Interdite, Marianne la regarda aller et venir à travers la vaste pièce, pliant les robes, les lingeries, rangeant les chaussures dans leurs boîtes et plaçant le tout adroitement dans les coffres ouverts. Quand elle voulut y ajouter les écrins de joyaux, Marianne s’interposa.

— Non, pas cela, je ne veux pas les emporter !

— Il le faut bien ! Ils sont désormais à Votre Seigneurie. Veut-elle donc désespérer plus encore notre maître ? Il en serait profondément blessé et croirait que Votre Seigneurie le rend responsable et lui tient rigueur.

Elle n’ajouta pas de quoi. Avec découragement, Marianne fit un geste d’assentiment. Elle ne savait plus que penser. Même, elle avait un peu honte d’elle-même, de cette panique qu’elle avait laissé l’emporter, mais elle ne se sentait pas le courage de changer ses ordres et de demeurer plus longtemps. Elle devait partir.

Une fois hors de ce domaine inquiétant, elle se retrouverait elle-même, elle pourrait réfléchir calmement, lucidement, faire le point en quelque sorte, mais, pour l’heure présente, il lui fallait s’en aller. A ce seul prix elle pourrait éviter de devenir folle et ce serait seulement quand elle aurait mis entre la villa des Sant’Anna et elle-même un long ruban de route qu’elle pourrait examiner les événements de cette nuit sans danger pour sa raison. Il lui fallait s’éloigner du cavalier d’Ilderim.

Quand, enfin, elle fut prête, les bagages terminés et que lui parvint le bruit de la voiture s’arrêtant devant le grand escalier, elle se tourna vers dona Lavinia.

— J’avais promis à mon parrain de l’attendre, commença-t-elle tristement, et cependant je pars.

— Soyez en paix, Princesse, je lui dirai... ou plutôt le prince et moi lui dirons tout !

— Dites-lui aussi que je rentre à Paris, que je lui écrirai, ici, puisque j’ignore où il veut se rendre ensuite. Dites-lui enfin que je ne lui en veux pas, que je sais qu’il a cru bien faire.

— ... et que, d’ailleurs, il a bien fait ! Plus tard, vous le reconnaîtrez. Bon voyage, Votre Seigneurie, et n’oubliez jamais que cette maison est à vous, comme toutes celles de notre maître. Soyez assurée qu’il saura désormais vous y protéger et, quand vous reviendrez, faites-le avec confiance, sans crainte.

Marianne avait pitié de cette vieille femme qui faisait tout pour effacer de son esprit l’impression pénible dont il portait la trace. Elle savait qu’elle aurait peut-être quelques regrets plus tard de s’être conduite si peu héroïquement, mais elle savait aussi que, quand elle reviendrait, puisqu’il faudrait bien qu’elle revînt, elle ne le ferait plus jamais seule. Il faudrait que le cardinal ou Arcadius, ou les deux, fussent avec elle... Mais, gardant pour elle cette pensée, elle tendit affectueusement ses deux mains à dona Lavinia.

— Soyez tranquille, dona Lavinia. Faites mes adieux à votre maître... et merci, merci pour tout ! Je ne vous oublierai pas. Quand je reviendrai il y aura l’enfant et tout ira bien. Dites-le au prince.

Quand elle monta enfin en voiture, la brume du petit matin enveloppait le parc, lui conférant une étrange irréalité. Le vent de la nuit était tombé. Il faisait gris, humide. Le temps peut-être allait changer. Il y aurait de la pluie tout à l’heure, mais Marianne, installée avec Agathe au fond de sa voiture, se sentait maintenant à l’abri, protégée de tous les sortilèges vrais ou supposés que renfermait le beau domaine. Elle retournait chez elle, vers ceux qu’elle aimait. Plus rien ne pouvait l’atteindre.

Le fouet claqua... la voiture s’ébranla dans le cliquetis des gourmettes et le grincement léger des essieux. Le sable des allées crissa sous les roues. Les chevaux prirent le trot. Marianne posa sa joue contre le cuir froid du capiton et ferma les yeux. Son cœur affolé s’apaisait, mais elle se sentait, tout à coup, lasse à mourir.

Tandis que la lourde berline s’enfonçait dans le brouillard de l’aube pour entamer la longue, longue route vers Paris, elle songeait à l’absurdité du destin, à sa cruauté aussi qui la condamnait à cette errance perpétuelle à la recherche, sinon d’un impossible bonheur, du moins d’un sort qui ne vagabonderait pas continuellement hors des sentiers battus. Elle était venue ici fuyant un mari indigne et criminel, elle était venue mère sans être épouse pour que l’enfant qui faisait germer en elle le sang d’un empereur pût vivre la tête haute, elle était venue enfin avec l’espoir inavoué de conjurer à jamais la fatalité acharnée à la détruire. Elle repartait riche, pourvue d’un titre princier, d’un grand nom, d’un honneur désormais intact, mais avec un cœur plus vide encore d’illusions et de tendresse. Elle repartait... vers quoi ? Vers les miettes d’amour que pourrait lui offrir l’époux de Marie-Louise, vers l’obscure menace que faisait peser sur elle la haine vengeresse de Francis Cranmere, vers la mélancolie d’une vie de solitude puisqu’il lui faudrait à l’avenir garder la face, puisque Jason n’avait pas pu... ou pas voulu venir. Tout compte fait, ce qui l’attendait au bout du chemin, c’était une vieille demeure habitée seulement par un portrait et par un fidèle ami, c’était l’enfant à venir, c’était un horizon dont elle ne pouvait deviner les formes ni les couleurs, c’était, à nouveau, l’inconnu...

Notes

[1]. Actuelle Chaussée-d’Antin.

[2]. Palais Bourbon.

[3]. Saint-Laurent hors les murs. Chaque cardinal est titulaire d’une paroisse romaine.

[4]. Ce personnage est authentique et, malgré son nom, ne doit rien à mon imagination. (N. d. A.).

[5]. L’éclair.