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Il y avait tant de férocité dans la figure convulsée du bossu que Marianne réprima un frisson de dégoût.

— Je ne vois pas bien comment je pourrais faire. Je ne connais même pas son visage.

— Moi non plus. Mais il s'absente souvent et je sais qu'il se rend à Paris. Cela m'étonnerait qu'il y garde son fameux masque ! Cherchez à savoir qui il est... et si vous parvenez à l'envoyer sur l'échaufaud qui, si longtemps, l'a oublié, sachez que vous aurez vengé une foule de malheureux ! Allez vite, maintenant, vous me faites trop parler et la parole est dangereuse.

Rapide et souple, Marianne se glissa au-dehors.

Pour qu'elle pût retrouver son chemin, Perinnaïc lui avait remis une chandelle dans un grossier bougeoir, mais elle se souvenait parfaitement du chemin de la cuisine et retrouva sans peine la grande pièce, encore chaude. Le feu y brûlait encore et, jugeant qu'elle y voyait assez clair, Marianne éteignit sa bougie et la plaça sur le manteau de la cheminée. Puis elle gagna la petite pièce, grimpa sur la table et se mit en devoir d'ouvrir la fenêtre en priant le ciel qu'elle ne grinçât pas trop. A son grand soulagement, elle s'ouvrit sans difficultés. Marianne se pencha au-dehors.

La nuit était sombre et le vent soufflait fort, mais les yeux de la jeune fille s'accoutumèrent vite. Elle distingua, en face d'elle, une construction trapue, la grange sans aucun doute ! Vivement, elle jeta au-dehors la couverture qui l'aurait gênée et glissa son corps mince dans l'ouverture. Il y avait tout juste la place, encore se froissa-t-elle douloureusement les hanches en passant, mais elle était poussée par une volonté plus forte que la douleur. Aussitôt, elle se retrouva debout au-dehors. Le froid avait durci la terre et séché l'herbe, ce qui lui évita de se mouiller les pieds, mais il ne faisait vraiment pas chaud et Marianne se hâta de récupérer sa couverture. Puis elle prit sa course vers la grange. Ses pieds, légèrement chaussés, ne faisaient pas le moindre bruit. Il n'y avait personne en vue. La jeune fille, d'ailleurs, ne craignait guère de rencontrer quelqu'un. Elle savait déjà, pour avoir entendu grommeler la vieille Soizic, mécontente d'être obligée de porter le souper au prisonnier, que les Bretons n'aimaient guère sortir à la nuit close de peur de rencontrer les âmes errantes des trépassés.

Elle atteignit la grange, tâtonna pour trouver la clef, mais dut se hausser sur la pointe des pieds pour atteindre l'étroite faille entre deux pierres. Enfin ses doigts se refermèrent sur le métal froid. En revanche, elle eut quelque peine à trouver la serrure. Sa main tremblait d'énervement, son cœur battait à rompre sa poitrine, mais, quand la clef eut enfin gagné son logement, elle tourna sans peine et sans bruit parce qu'une main soigneuse avait dû mettre récemment l'huile nécessaire. Poussée par le vent qui s'engouffra en même temps qu'elle dans la grange, Marianne se retrouva sans trop savoir comment à l'intérieur. Elle se hâta de refermer le battant en pesant dessus de toutes ses forces. Puis, vaincue par l'émotion, ferma les yeux. L'impression d'irréel et d'absurdité revenait... c'était comme si elle jouait un rôle !

— Tiens ! fit une voix tranquille venue des profondeurs de la grange, c'est vous ? Il était temps, j'allais souffler ma chandelle.

Confortablement niché dans un tas de paille, Jean Le Dru, les bras croisés sur sa poitrine, regardait Marianne. Elle vit que la chandelle, presque consumée, brûlait encore, posée à même sur le plateau auprès des restes du repas. Mais elle comprit pourquoi Perinnaïc lui avait dit que, si elle voulait fuir, il lui faudrait fuir seule. Jean ne paraissait avoir souffert d'aucun mauvais traitement. Au contraire, on avait dû lui permettre de se laver, car ses cheveux blonds brillaient comme de l'or et son menton était débarrassé de sa barbe. On lui avait aussi donné des vêtements secs, mais un large bracelet de fer encerclait sa cheville et la reliait, par une chaîne épaisse, à un énorme anneau scellé dans la maçonnerie du mur. Le bracelet devait s'ouvrir avec une clef, mais, cette clef-là, Marianne ne la possédait pas.

La déception se peignit si clairement sur son visage que Le Dru se mit à rire.

— Eh oui ! vos amis m'ont amarré aussi solidement qu'une bonne frégate. Mais, s'ils vous ont donné la clef que je vois dans votre main, ils ont peut-être également poussé la bonté jusqu'à vous confier celle qui ouvre ce joyau ?

Elle fit signe que non, murmura sombrement :

— Ils ne sont pas mes amis. J'ai su où ils cachaient cette clef. J'espérais fuir avec vous, cette nuit même.

— Fuir ? Pourquoi donc voulez-vous fuir ? N'êtes-vous pas bien ici ? Je vous ai vue partir au bras de ce démon masqué, traitée en invitée de marque et, ma parole, on vous a nippée comme une princesse. Une princesse bretonne mais, selon moi, ce sont les plus belles ! Et il faut bien avouer que cela vous va : vous êtes charmante ainsi.

— Oh ! cessez de vous moquer ! Nous ne sommes pas dans un salon. Je vous dis qu'il faut que nous trouvions le moyen de fuir, sinon nous sommes perdus, tous les deux !

— Moi, de toute façon, je le suis. Quant à vous, encore que je ne voie pas bien en quoi vous pourriez être menacée, ma chère... marquise ? C'est bien cela ?... je ne vous empêche nullement d'aller courir la campagne par cette belle nuit. Quant à moi, si vous le permettez, je vais dormir, car, après tout, on n'est pas si mal dans cette paille ! Il me reste à vous souhaiter bon voyage, mais n'oubliez pas der refermer la porte en partant. Il fait un vent du diable, cette nuit !

— Mais vous ne comprenez pas ! gémit Marianne au bord des larmes en se jetant à genoux auprès de lui. Je ne suis pas ce que ces gens s'imaginent.

— Vous n'êtes pas une aristocrate ? A qui ferez-vous croire ça ? Il suffit de vous regarder.

— Je suis une aristocrate, c'est vrai ! mais je ne suis nullement un agent du Roi. Je ne connais même rien à tout cela. On ne me parle, depuis mon arrivée, que de conspiration, d'agents des princes ou d'espions de l'Empereur... mais je n'y comprends rien... rien, je vous le jure !

Eperdue, envahie par un besoin profond de le convaincre, elle avait joint les mains, dans un geste enfantin de supplication. Il fallait qu'il la crût, qu'il redevînt son ami comme la dernière nuit, dans la tempête. Elle avait tellement besoin de sa force d'homme ! Et puis, maintenant, avec ce visage dépouillé, il lui semblait incroyablement jeune, beaucoup plus proche d'elle qu'auparavant. Il y avait en lui quelque chose de clair, de propre, qui attirait et rassurait. A bout d'arguments, elle dit, d'une petite voix timide qui, sans qu'elle s'en doutât, alla toucher quelque chose au fond du cœur fermé du garçon :

— Vous comprenez... je n'ai que dix-sept ans !

Les yeux clairs, si froids l'instant précédent, s'adoucirent. Tendant le bras, Jean enferma d'une seule main les deux mains jointes de la jeune fille et, l'attirant vers lui, l'obligea à s'asseoir dans la paille.

— Alors, dit-il doucement, explique-moi pourquoi tu as voulu fuir l'Angleterre ? Car, si tu ne « passais » pas en France, tu fuyais, n'est-ce pas ?

Elle ne répondit pas tout de suite, hésitant à lui révéler la vérité. Son expérience avec le duc d'Avaray lui avait démontré combien son histoire était fantastique et difficile à croire. D'un autre côté, elle avait trop besoin de Jean pour avoir envie de le tromper. Si elle inventait une histoire, quelque chose lui dirait qu'elle n'était pas sincère. Et puis, elle en avait assez de mentir. Se décidant brusquement, elle jeta :

— J'ai tué mon mari en duel le soir de mes noces !

— Quoi ?

Marianne comprit qu'elle avait réussi à briser la carapace d'indifférence moqueuse dans laquelle Jean s'enfermait. Avec un naïf orgueil, elle vit son regard s'effarer, prendre une couleur nouvelle. Elle devinait obscurément qu'il lui accordait d'autres dimensions qu'auparavant. Il ouvrit à peine la bouche pour demander doucement :