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Un instant, il quitta ses lèvres et se mit à couvrir son visage et son cou de petits baisers rapides, légers comme des ailes de papillon, mais qui lui arrachèrent un long frisson dont Jean eut parfaitement conscience. Il osa davantage et, tout en reprenant sa bouche, se mit doucement à ouvrir son corsage. Un peu haletante, la tête en feu, Marianne le laissa faire. Elle se sentait au seuil d'une découverte qui, par avance, la bouleversait. Son instinct de petit animal féminin lui soufflait que son corps recelait d'incroyables surprises.

Le temps d'un éclair, elle évoqua Francis Cranmere. C'était sous ses mains qu'elle eût dû sentir ces étranges sensations. Elle comprenait, malgré le bouleversement de ses sens, qu'elle était tout près de donner à cet inconnu ce qui ne pouvait appartenir qu'à un époux, mais, curieusement, elle n'en éprouva ni honte ni scrupules. Elle était désormais en marge de sa vie passée et même de toute vie normale. Pourquoi donc ne pas donner à Jean ce que l'Américain Beaufort avait réclamé si audacieusement, ce que toute femme n'est jamais bien certaine de garder lorsqu'un homme est décidé à s'en emparer par force ou par ruse ? Dans la triste histoire de Clarisse Harlowe, qu'elle avait dévorée en cachette, l'indigne Lovelace fait absorber à la malheureuse une drogue somnifère pour pouvoir abuser d'elle. Mais Jean n'aurait pas besoin de drogue pour parvenir au même résultat bien que Marianne ne sût pas très bien ce que voulait dire abuser de quelqu'un. Elle devinait obscurément que les liens de chair attachent l'homme à la femme et elle n'avait pas envie de se défendre. Il la caressait si doucement et lui faisait éprouver de si délicieuses sensations ! Et puis, il s'était mis à délirer, balbutiant des mots sans suite qu'elle ne comprenait pas bien et qu'il entrecoupait de baisers de plus en plus brûlants. C'était la plus grisante expérience qu'une fille pouvait faire et ce qui allait suivre ne pourrait être que merveilleux.

Mais, brusquement, le charme vola en éclats. Il n'y eut plus qu'une brutale, une douloureuse réalité. Marianne poussa un cri que Jean n'entendit même pas. Emporté par une faim trop ancienne et par un désir qu'il ne pouvait plus contrôler, il s'était abattu sur* elle. Plus de tendre amoureux, plus de douces caresses, mais, à la place, une fulgurante douleur et un homme qui semblait possédé du démon. Affolée, épouvantée, elle voulut s'échapper, mais il la tenait bien. Elle voulut crier et il lui ferma la bouche d'un nouveau baiser... mais l'enchantement était bien évanoui. Celui-là, Marianne le subit, les nerfs tendus, les muscles crispés. Puis, tout à coup, le calme revint et elle se retrouva libre comme par magie.

Elle était si étourdie qu'elle n'osait bouger. Les yeux attachés aux poutres poussiéreuses du toit, elle luttait à la fois contre l'envie de pleurer et contre sa déception. Ainsi, c'était cela l'amour ? Rien de plus, rien de moins ? En vérité, elle ne parvenait pas à comprendre le grand cas que l'on en faisait dans les romans, ni pourquoi tant de femmes et de filles se perdaient pour lui. Bien sûr, c'était agréable... tout d'abord, mais, tout compte fait, on n'en retirait aucune joie réelle. Tout ce qu'elle éprouvait, c'était un vague dégoût et un grand sentiment de frustration. Non, jamais de toute sa vie, elle n'avait été aussi déçue.

Un doigt léger lui caressa une joue et, en même temps, elle entendit Jean rire doucement :

— Pourquoi ne dis-tu rien ? Tu m'as rendu très heureux, tu sais. Je ne l'oublierai pas. Et puis, j'ai été heureux d'être le premier.

— Comment le savez-vous ? fit Marianne boudeuse.

Il rit fort.

— Quelle petite fille tu fais ! Ce sont des choses qu'un homme sait tout de suite. Maintenant, il faut que tu rentres vite. La chandelle va s'éteindre et il vaut mieux qu'on ne s'aperçoive pas de ton absence. Et puis... j'ai affreusement sommeil !

Redressée sur un coude, elle vit qu'il bâillait à se décrocher la mâchoire et sa déception s'en accrut. Selon elle, seule une attitude pleine de tendresse eût pu atténuer l'impression désagréable qu'elle avait ressentie. Le garçon était gentil, sans plus, et, même, elle avait l'intuition qu'il désirait maintenant qu'elle le laissât tranquille. D'une voix sans timbre, elle demanda :

— Alors, demain, que ferez-vous ?

Il eut un sourire moqueur et cligna de l'œil malicieusement.

— Tu ne perds pas facilement la tête, on dirait ! Sois tranquille : je ferai tout ce que tu voudras. Je te dois bien ça.

Avec un soupir voluptueux, il se roula en boule, arrangea sa chaîne pour qu'elle le gênât le moins possible, croisa les bras et ferma les yeux.

— Dors bien, ajouta-t-il d'une voix ensommeillée.

Assise auprès de lui sur ses jambes repliées, Marianne Te regarda dormir un moment sans comprendre. Les hommes étaient vraiment de curieux personnages, songea-t-elle avec une vague rancune. Tout à l'heure celui-là était tout feu, tout flamme, à peu près fou d'amour, et maintenant, à peine quelques minutes après, il dormait paisiblement, ayant oublié jusqu'à son existence. Pareille attitude justifiait-elle les mines secrètes, confites en jubilation intérieure qu'arboraient les jeunes épousées dans les livres, au lendemain de leurs noces ? Exception faite, bien sûr, de la triste Clarisse Harlowe qui, ayant dormi profondément, ne savait même pas ce qui lui était arrivé. Selon Marianne, il n'y avait vraiment pas de quoi faire tant les fières ! Quant à elle-même, elle était bien décidée à ne pas recommencer l'expérience de sitôt, même pour faire plaisir à Jean ! Ah non, alors !

La chandelle, en s'éteignant tout à fait, mit un terme aux réflexions de Marianne. Il ne lui restait plus qu'à regagner le manoir et son lit dans le placard. Plongée dans l'obscurité, elle attendit un instant que ses yeux se fussent accoutumés puis, se relevant, chercha la clef qu'elle avait posée près du bougeoir et quitta la grange dont elle referma soigneusement la porte avant de remettre la clef à sa place.

Au-dehors, la nuit était plus noire encore que tout à l'heure. Il soufflait un vent violent qui s'engouffra dans sa couverture et faillit bien la jeter à terre. Un instant, la pensée de fuir maintenant, tout de suite et seule, l'effleura, mais elle la rejeta courageusement. Ce n'était pas la faute de Jean, après tout, si elle n'appréciait guère les jeux de l'amour. Et puis, honnêtement, il lui fallait bien admettre qu'elle avait un peu cherché ce qui lui était arrivé. Enfin, elle était liée à Jean par leur complicité en face des naufrageurs. Un pacte est un pacte !

Tournant le dos à la lande tentatrice, Marianne regagna sa chambre par le chemin emprunté à l'aller et se coucha.

Elle avait à peine tiré les draps au-dessus de sa tête qu'elle entendit le bruit, presque imperceptible, de la clef tournant dans la serrure. Le tailleur bossu tenait sa parole.

6

L'HOMME DE GOULVEN

Quand, au matin, on découvrit la fuite de Jean Le Dru, Marianne crut bien que le ciel lui tombait sur la tête. Profitant d'une éclaircie, elle était sortie sur le bout de lande pelée qui s'étendait entre le manoir et la mer. L'épaisse soupe au lard, essentiellement paysanne, servie en guise de petit déjeuner, avait du mal à passer et Marianne avait éprouvé le besoin de prendre l'air. Le thé parfumé et les croustillantes rôties de Selton Hall étaient loin. Mais elle en oublia jusqu'à la plus légère senteur quand le cri de colère de Morvan troua la paisible atmosphère matinale.

Elle ne comprit pas tout de suite ce qui s'était passé. Assise au pied d'une de ces étranges pierres levées qui, de loin en loin, ponctuaient le paysage, elle regardait, fascinée, la mer apaisée dont les lentes ondulations venaient lécher les rochers sur lesquels le varech dessinait de minuscules prairies vertes et chevelues. Entre de gros nuages blancs, où se confondait le vol des mouettes, le ciel montrait quelques morceaux d'un azur timide et, au creux de la petite baie, quelques maisons fumaient paisiblement auprès des barques allongées sur les galets.