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— Monseigneur le duc de Chevreuse !

L’émotion de Marie fut si forte qu’elle se mit à pleurer et lorsque le visiteur s’approcha du lit, il vit sur les oreillers que la chevelure couvrait en partie une femme aux yeux clos d’où coulaient des larmes. Seule la tête était visible, les draps brodés et la courtepointe de soie blanche étaient remontés jusqu’au menton.

— Madame…, commença-t-il, sans aller plus loin. Elle n’avait pas l’air de l’entendre et n’ouvrit pas ses yeux dont les larmes continuaient de couler. Or il s’attendait à des reproches formulés de ce ton ironique et mordant dont il gardait le souvenir. Cette douleur muette le désarçonna. Il ignorait bien sûr que, tout en pleurant, Marie l’observait à travers ses longs cils. L’image était certes un peu brouillée mais satisfaisante tout de même. Elle put le voir tourner la tête à gauche et à droite pour s’assurer qu’ils étaient seuls. Alors il se pencha :

— Marie ! murmura-t-il. C’est moi, Claude. Regardez-moi au moins ! Pourquoi pleurez-vous ?

— Vous le demandez ?…

— Certes ! Malleville m’a dit que vous êtes malade : que pensent vos médecins ?

— Des âneries puisque ce sont des ânes ! Et que pourraient-ils comprendre à la douleur d’une femme rejetée de tous, abandonnée au sort cruel dont ses ennemis rêvaient pour elle, tourmentée par ses beaux-frères qui veulent la chasser de sa maison, l’éloigner de ses enfants…

— Mon Dieu ! Est-ce possible ?

Il s’assit sur le bord du lit et faute de trouver une main cachée sous les draps, sortit son mouchoir pour essuyer doucement le visage mouillé.

— Ouvrez les yeux, Marie, et regardez-moi ! Je ne peux pas supporter de vous voir dans cet état…

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Alors que c’est vous qui m’avez donné le coup de grâce… Je vous en supplie, laissez-moi à mon destin ! Allez-vous-en, Monseigneur ! Je n’ai plus rien à vous dire… Si Dieu m’accorde rémission, je me retirerai dans un couvent…

— Vous, moniale ? Allons donc ! Vous n’y résisteriez pas.

Cette fois elle ouvrit les yeux – deux lacs bleus chargés de nuages ! –, dardant sur lui un regard sévère :

— Qu’en savez-vous ? Fontevrault, ce refuge des reines blessées dont l’abbesse est princesse, me conviendrait assez et, au moins, le silence se ferait sur moi après les éclats d’une passion que je déplore à présent !

— Vous regrettez de m’avoir aimé ?

— Oh oui ! Si j’avais écouté d’autres prières que les vôtres, je ne souffrirais pas sottement à cause d’un homme qui ne le mérite pas… qui ne me méritait pas et qui, après m’avoir poussée au scandale, me refuse réparation et hurle avec les loups…

Le malheureux semblait si déconfit que Marie eut soudain envie de rire. C’était, bien entendu, la dernière chose à faire.

— Ne croyez pas cela, Marie ! J’étais, je serai toujours votre ami.

— Mon ami ? Vraiment ? Jusqu’à maintenant vous étiez mon amant et j’imaginais que vous en étiez fier…

— Je choisis mal mes mots, pardonnez-moi ! Je voulais dire que je ne cesserai jamais de vous aimer…

— En ce cas prouvez-le !

— En vous épousant ? Je donnerais ma vie pour ce bonheur… mais ce serait offenser le Roi et vous savez la fidélité que je lui garde.

— Non, je ne sais pas ! Si elle ressemble à celle que vous me juriez naguère, notre sire ne s’en trouvera pas beaucoup plus riche ! Quel genre d’homme êtes-vous donc, Chevreuse ? Ou plutôt en êtes-vous seulement un ?

— Madame ! Vous m’offensez !

Sans lui répondre, elle s’assit dans son lit en se tournant à demi pour bourrer ses oreillers de coups de poing. Ce faisant elle découvrît le haut de son corps, offrant ainsi à Chevreuse le ravissant spectacle de ses épaules et de ses seins à peine couverts d’une fine batiste blanche et de dentelles de Malines que la violence de son mouvement – habilement calculé ! – animait d’une vie troublante. En même temps, son parfum intensifié par la chaleur du lit enveloppa le Duc en réveillant des souvenirs encore trop frais pour ne pas le mettre mal à l’aise. Achevant son mouvement, Marie s’adossa à ses coussins et sans remonter les draps croisa les bras sur sa poitrine en soupirant :

— Où voyez-vous offense ? Il ne suffit pas d’être guerrier valeureux ni même de pouvoir soumettre un corps de femme à son désir sans y être trop maladroit pour être vraiment un homme ! Il faut surtout avoir le courage de vivre à la hauteur de son nom et de son rang en dédaignant les petitesses d’autrui… et en sachant ce que l’on veut.

Elle leva les bras pour soulever quelques mèches de sa somptueuse chevelure et les rejeter en arrière, puis s’étira avec une grâce de chatte. Claude vira à l’écarlate et, incapable de se maîtriser plus longtemps, voulut se jeter sur elle. Mais cela aussi était prévu. Marie évita souplement la charge d’un corps dont elle connaissait le poids, glissa à terre et s’éloigna dans la chambre tandis qu’il s’affalait sur le lit :

— Tout beau, Monseigneur ! Je ne suis pas de celles que l’on force ! Voyez-vous je vous ressemble en ce sens que j’aimerais… infiniment retrouver nos folies de naguère, mais jamais plus vous ne me posséderez à moins de faire de moi votre épouse !

Il la regarda avec une douleur qui n’était pas feinte. Maintenant qu’elle était debout son indiscrète chemise ne cachait plus grand-chose de son corps.

— C’est impossible, Marie ! Le Roi…

— En voilà assez avec le Roi ! Cessez donc de vous abriter derrière lui ! Lui aussi me désirait il n’y a pas si longtemps au point de rendre l’Espagnole jalouse. Peut-être m’aimait-il… et m’aime-t-il encore, ce qui expliquerait cette détestation qu’il affiche. Pourquoi ne pas lui laisser la joie secrète de m’approcher sans irriter sa conscience ? Et s’il venait à me prier d’amour…

— Vous lui céderiez ? gronda Chevreuse.

— Il est le Roi et ne me déplaisait pas ! Je me comporterais alors en obéissante sujette… tout comme vous faites vous-même !

Furieux, il s’élança pour la saisir en criant qu’il allait la prendre qu’elle le veuille ou non, mais à nouveau elle s’échappa et quand il lui fit face elle braquait sur lui un long pistolet :

— Ne m’obligez pas à appeler mes gens pour vous jeter dehors ! dit-elle froidement. N’oubliez pas qui vous êtes, ni qui je suis ! J’ai nom Marie de Rohan et j’ai juré sur les mânes de mes ancêtres que vous ne me toucheriez plus sans avoir fait de moi une duchesse de Chevreuse ! Quant à notre sire Louis, dont vous avez si peur, ajouta-t-elle sur un ton plus doux, je crois qu’il suffirait simplement de lui demander sa permission de nous marier. Quelque chose me dit qu’il accepterait !

Et sur ce, elle lui offrit un ensorcelant sourire.

— Vous croyez ?… souffla-t-il surpris par cette éclaircie inattendue dans leur ciel d’orage.

Posant son pistolet Marie saisit sa robe de chambre posée sur un fauteuil à portée de sa main et s’en revêtit :

— Vous devriez consulter votre sœur : l’idée vient d’elle. La princesse de Conti pense qu’unis nous pourrions conquérir le monde !

— Elle est venue vous voir ?

— Pourquoi non ? Elle sait ce que l’on doit à une amitié vraie. Elle estime qu’il suffirait que j’écrive au Roi pour me mettre à ses pieds, demandant à la fois son pardon… et sa bénédiction ! Je suis prête à le faire sur l’heure et Malleville partira aussitôt rejoindre l’armée. Savez-vous où elle est en ce moment ?

— Vers Saumur sans doute, dit Chevreuse après avoir réfléchi un instant, en route vers La Rochelle et l’île de Ré que l’on veut reprendre aux huguenots de M. de Soubise… votre parent !