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Marie balaya la flèche d’un revers de main et se rendit dans son cabinet pour s’asseoir devant son écritoire… Maté, le Duc la suivit et resta debout auprès d’elle, bras croisés en tripotant sa moustache, tandis qu’elle rédigeait une longue épître sans même lui avoir demandé s’il était d’accord. Tout à coup il dit :

— Je n’ai pas d’hôtel à Paris comme vous le savez et j’aimerais que nous habitions celui-ci, mais il est à votre fils ?

Marie comprit que, désormais, l’affaire était entendue et sourit sans cesser d’écrire :

— Il suffirait que vous en fassiez l’acquisition… fictive bien entendu pour… disons trois cent mille livres ? J’ai le sentiment, en effet, qu’il ferait un parfait hôtel de Chevreuse.

— D’autant que je l’agrandirais et l’embellirais plus encore. Il me vient une foule de projets…

De mieux en mieux ! Marie pensa qu’il était au fond très heureux qu’elle lui ait forcé la main mais quand, sa lettre achevée, elle se leva et qu’il voulut la prendre dans ses bras en disant :

— Puisque nous avons fait la paix, Marie, ne me donnerez-vous pas une récompense ?

Calmement mais fermement, elle le repoussa :

— J’ai juré, Claude, ne m’obligez pas à vous le rappeler ! Au soir de nos noces seulement mais là… de toute mon âme… et de tout mon corps !

— Alors marions-nous vite ! s’écria-t-il, oubliant qu’avant de recevoir l’approbation royale il passerait de l’eau sous les ponts.

— J’y consens… En ce cas, je verrai Monsieur mon père dès demain afin que le mariage se déroule chez lui selon la tradition. Cela fera taire les mauvaises langues…

— A merveille !

Avec une fougue de gamin, il la prit aux épaules pour l’embrasser sur les deux joues avant de s’élancer vers l’escalier en fredonnant une marche guerrière, laissant Marie un peu étourdie découvrir qu’en forçant les défenses de son amant, elle venait d’en faire un bienheureux. Au fond il suffisait de lui faire toucher du doigt ce qu’en son for intérieur il désirait le plus sans en avoir vraiment conscience. Un signe de faiblesse sans doute mais, libérée du poids qui l’étouffait, sûre de sa victoire, Marie, reconnaissante en dépit du fait qu’en l’épousant, il écoutait surtout ses pulsions charnelles, se promit de lui être une épouse aussi agréable que possible…

En attendant il fallait expédier la lettre et, après avoir songé un instant à l’envoyer par un chevaucheur de sa maison, elle se résolut à en charger Gabriel. Il avait sa confiance et, en outre, ses yeux vifs et son esprit alerte seraient sans doute d’un grand secours : il avait su amener Chevreuse dans le piège et serait donc capable de plaider sa cause auprès d’un Roi grincheux.

— Quand vous aurez rejoint l’armée, lui conseilla-t-elle, voyez d’abord M. de Bassompierre ! Etant l’amant de Mme de Conti en même temps que son cousin, il est notre ami. Il sera fort utile pour adoucir l’humeur de Sa Majesté.

— Puisqu’il devient aussi votre cousin, Madame la Duchesse, je l’aurais cherché de toute façon et j’espère que vous n’aurez pas à attendre trop longtemps l’assentiment royal…

Marie se mit à rire :

— Inutile de vous presser ! Eussiez-vous des ailes que nous serons mariés avant votre retour… Que notre sire approuve ou pas !…

Et comme Gabriel haussait un sourcil interrogateur, elle ajouta :

— Vous ne sauriez croire la hâte qui s’est emparée de Monseigneur depuis que nous nous sommes accordés !

S’autorisant un large sourire, Malleville s’inclina :

— Je n’en suis pas surpris le moins du monde. Qui ne le comprendrait…

Prenant le message, il rejoignait la porte quand elle le retint :

— Malleville !

— Madame la Duchesse ?

— Vous progressez. En cinq jours c’est le deuxième compliment que vous me faites. Deviendriez-vous galant ?

— Admiratif ! Simplement admiratif, Madame la Duchesse ! Nier l’évidence n’a jamais aidé personne !

Et il sortit, heureux au fond de rejoindre le monde des hommes qu’il avait tant regretté de quitter quand Luynes l’avait attaché à son épouse, même s’il avait trouvé plutôt amusant d’observer celle-ci de plus près. A son retour, elle serait mariée et son rôle de chien de garde prendrait fin, mais il ne lui en conserverait pas moins son admiration. Elle savait bien se battre et c’était une qualité qu’il appréciait.

Le lendemain matin, flanqué cette fois de son valet, il prenait la route du Sud. De son côté Marie, qui avait dormi comme un ange, se préparait pour une nouvelle escarmouche : il s’agissait de convaincre son père de donner sa bénédiction à un mariage qu’il serait loin d’approuver. Et ce ne serait pas si facile parce que n’ayant généralement qu’une seule idée à la fois, Montbazon avait coutume de s’y cramponner avec obstination. Sachant cependant qu’il était généralement de bonne humeur le matin, elle se rendit rue de Bethisy à l’heure de son dîner[3]. En outre, il faisait beau et elle voyait un encouragement dans le joli ciel bleu étendu sur les toits de Paris, parce qu’elle n’aimait pas l’hôtel de Montbazon. L’ombre de l’amiral de Coligny assassiné là dans la nuit tragique de la Saint-Barthélemy parlait à son imagination et elle en appréciait peu le séjour, même si c’était une belle et riche demeure et s’il fallait qu’elle s’y marie.

Grâce à Dieu, elle ne l’avait guère habité. Pas plus que le revêche donjon ducal de Montbazon, au sud de Tours. Née chez sa grand-mère Françoise de Laval, au château de Coupvray à l’est de Paris, elle avait perdu sa mère Madeleine de Lenoncourt lorsqu’elle avait deux ans et son frère Louis quatre. Aussi leur enfance s’était-elle écoulée en grande partie dans le ravissant château de Couzières, au bord de l’Indre, auquel s’attachaient les plus agréables de ses souvenirs jusqu’à ce qu’à seize ans sa royale marraine Médicis l’appelle auprès d’elle pour en faire une fille d’honneur, l’installant du même coup au Louvre, ce qui lui permit de ne faire à l’hôtel de Montbazon que de très rares visites. Mais puisqu’elle allait s’y marier mieux valait essayer de le considérer d’œil plus clément.

Lorsqu’elle y parvint, le duc Hercule était à se laver les mains avant de passer à table. L’arrivée de sa fille n’eut pas l’air de le remplir de joie. A cinquante-quatre ans, c’était un homme grand, fort – voire brutal ! –, qui habillait d’une indéniable majesté une solide couche de stupidité. Cependant il n’était pas complètement idiot et surtout il n’était ni sourd ni aveugle. Les bruits de la disgrâce de Marie avaient dû atteindre ses grandes oreilles.

— Quel vent vous amène, Madame la Connétable ? Vous venez me demander à dîner avant de prendre le chemin de l’exil ? Je vous croyais déjà loin ! Serviteur, mademoiselle du Latz ! ajouta-t-il à l’adresse d’Elen qui plongeait dans sa révérence.

— Rien de tout cela, mon père ! lança joyeusement la jeune femme en ôtant ses gants. Cependant je ne refuserai pas une aile de volaille et un doigt de votre vin de Touraine car nous avons à parler, vous et moi.

Il la regarda d’un œil méfiant : il lui savait la langue agile, ce qui n’était pas son fort, et surtout il ne comprenait pas pourquoi une femme, frappée d’opprobre, qui n’aurait dû marcher que couverte des voiles du deuil saupoudrés de cendres, se présentait à lui le nez au vent, la prunelle étincelante en arborant la mine satisfaite d’une triomphatrice.

— Parler de quoi ? grogna-t-il après avoir avalé un plein verre de vin pour se donner du cœur au ventre.