Выбрать главу

— Mais… de moi, mon père. Et de mon avenir.

— Avenir ? Vous n’en avez plus sinon peut-être devenir abbesse du couvent où vous devriez vous retirer. Et encore !

Elle se mit à rire et ce rire fit virer au noir l’œil gris du duc :

— Si c’est tout ce que vous me souhaitez, vous ne vous montrez guère ambitieux ! Heureusement je vois les choses autrement et c’est la raison de ma présence. En fait, je viens vous demander votre bénédiction.

— Pour quoi faire ?

— Mais… pour me marier, mon père ! Dans une semaine, avec votre permission, je serai duchesse de Chevreuse.

Hercule attaquait à cet instant un pâté de venaison qu’un valet venait de placer devant lui. Il avala de travers, s’étrangla, devint cramoisi, toussa et finalement cracha le corps du délit avant de boire un nouveau coup. Compatissante, Marie lui tapa dans le dos :

— Vrai, je ne pensais pas vous faire cet effet ! commenta-t-elle. Qu’y a-t-il de si extraordinaire à ce qu’un homme épris de moi depuis longtemps…

— Votre amant ! Honteusement étalé à la face du monde !

— Si vous voulez ! fit-elle, conciliante. Et puisque me voici veuve, nous avons pensé, d’un commun accord, que rien ne s’opposait plus à notre bonheur et qu’il en allait de notre gloire, à l’un comme à l’autre, de… régulariser une situation dont l’ardeur de notre passion nous a peut-être fait négliger le côté… un peu trop flamboyant !

— Une liaison infâme, d’autant plus répugnante que le mari fermait les yeux et que cette maquerelle de Conti servait obligeamment…

— Du calme, monsieur mon père ! C’est une princesse du sang que vous insultez ainsi, doublée d’une altesse lorraine ! N’importe je viens de vous dire que, si scandale il y a eu, nous souhaitons justement l’effacer par une union dont vous devriez être fier au lieu de vous emporter de la sorte. Soulagé aussi à moins que votre conscience ne vous ait jamais reproché la vilaine délation dont vous vous êtes rendu coupable en allant tout raconter au Roi ?

Le coup de poing que Montbazon assena sur la table fit vaciller le chandelier d’argent massif qui en éclairait le centre :

— Et je recommencerais s’il le fallait ! Je m’en vais lui écrire cet après-midi pour lui apprendre ce qui se trame derrière son dos car je suppose que l’idée de sa colère ne vous a même pas effleurés ?

— Détrompez-vous ! Je lui ai envoyé Malleville avec une belle épître demandant à la fois son pardon et son autorisation à notre mariage.

— Il jettera Malleville hors de sa vue et votre billet au feu…

— Sûrement pas si c’est M. de Bassompierre qui plaide notre cause. Il est lorrain lui aussi et fort ami de la maison de Guise. En outre le Roi l’aime bien. Aussi l’approbation royale ne fait-elle aucun doute pour moi et, dans une semaine, M. de Chevreuse et votre fille se marieront ici même… avec votre permission, bien sûr, ajouta-t-elle angélique.

— Ici ? Jamais de la vie !

La jeune femme eut un soupir excédé mais sa voix garda sa suavité pour expliquer patiemment :

— Vous ne pouvez pas refuser d’abriter une union qui a l’agrément de la Reine, que le Roi acceptera… et qui fera de votre fille l’une des plus grandes dames d’Europe, cousine du roi d’Angleterre… et de quelques autres ! Ne perdez pas de vue que si Monseigneur de Chevreuse sert le roi de France, c’est par dévouement personnel et que, dépendant plutôt de l’Empereur, il n’a pas besoin de son aval. Le lui demander n’est qu’une preuve d’attachement et de courtoisie. Quant à la cérémonie, vous savez pertinemment qu’elle ne peut avoir lieu que dans la maison de la fiancée !

— Avec Luynes vous vous êtes mariés au Louvre, non ?

— Sans doute mais cette fois c’est impossible puisque le Roi n’y est pas. L’hôtel de Luynes que mon fiancé va racheter à la succession et où nous demeurerons ne serait pas plus convenable. Reste ici… et j’ai peur d’avoir à vous dire, avec le respect que je vous dois, monsieur mon père, que vous ne pouvez pas refuser.

Hercule de Montbazon se dressa sur ses grands pieds comme si un ressort venait de le propulser. Il était à nouveau cramoisi et ses yeux lançaient des éclairs car il se savait battu :

— Soit ! clama-t-il furieux. Vous vous marierez peut-être en ma demeure mais sans moi ! Je refuse d’assister à cette mascarade !

— Tant pis ! soupira la jeune femme. Ce me sera pénible mais j’espère que mon bonheur me permettra de l’oublier…

— Il faudra qu’il vous permette d’oublier les autres, tous les autres car – écoutez-moi bien ! – je veillerai à ce que personne de la famille ne signe votre contrat ! Et…

— Mon frère est en Bretagne et ne pourra pas revenir à temps ! A mon regret, mais à l’impossible nul n’est tenu… En dehors de lui et de sa femme, les autres…

— … et je suis certain qu’il n’y aura pas non plus le moindre parent de votre Chevreuse ! Vous vous marierez seuls !… Seuls !

— Croyez-vous ? Cela me surprendrait beaucoup !A présent…

— A présent laissez-moi finir mon dîner en paix ! Je ne vous retiens pas, Madame la Duchesse !

— Voilà au moins un titre qui ne vous changera pas ! Bon appétit, monsieur mon père !

Elle lui offrit une révérence désinvolte puis flanquée d’Elen qui, naturellement, n’avait pas pipé mot durant l’escarmouche, elle alla rejoindre son carrosse en riant. L’important était d’avoir obtenu ce qu’elle voulait. A la vérité elle n’était pas persuadée de regretter énormément la présence paternelle : n’étant pas homme à garder sa lumière sous le boisseau, le noble duc était assurément capable d’assaisonner ses discours de quelques-unes de ces balourdises dont il semblait détenir le secret.

Malgré les apparences, cette histoire d’absence de ses proches la tourmentait et, dans l’espoir d’un miracle, elle dépêcha un messager à son frère Louis, prince de Guéménée, et à son épouse Anne pour laquelle elle avait de l’affection en les priant de venir au plus vite mais sans réel espoir qu’ils pussent arriver à temps.

Ils n’étaient pas là, effectivement, le 19 avril quand, dans la salle d’honneur de l’hôtel de Montbazon, les notaires procédèrent à la lecture du contrat. En revanche le marié était entouré de presque toute sa famille. Il y avait son frère aîné, le duc de Guise, son oncle le duc de Nemours, ses cousins Gonzague et Harcourt et du côté des femmes : sa mère, Catherine de Clèves veuve du Balafré, sa sœur la princesse de Conti qui était venue présider à la toilette de la mariée, ravissante dans une robe dorée avec des « crevés » de satin blanc, sa gorge parée de diamants modestement découverte par la haute collerette Médicis en dentelle d’or diaprée d’éclats scintillants. La tante Condé – l’orgueilleuse Charlotte de Montmorency –, s’était déplacée elle aussi ainsi que quatre cousines, les duchesses de Mercœur, de Vendôme, d’Elbeuf et de Longueville. En résumé les plus grands noms de France, de Lorraine et même de Bretagne à l’exception des seuls Rohan dont l’absence fut vivement critiquée par la princesse de Condé qui les détestait.

— Je me suis laissé dire que Montbazon rimait avec « âne sans raison », mais cela n’a jamais été plus vrai que ce soir ! La moindre des politesses voulait qu’il soit présent au moins pour « me » recevoir !

C’était une dame qui avait une haute idée de sa personne depuis qu’avant de se faire assassiner par Ravaillac, Henri IV avait pour la conquérir et l’arracher à son époux commis toutes les folies possibles et imaginables, allant jusqu’à faire trembler la reine Marie de Médicis, sa femme, pour la suite de son mariage.