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Le duché édifié en pairie dix ans plus tôt ne se limitait pas en effet à la petite ville de Chevreuse, son château, ses tenants et ses aboutissants. Il réunissait les terres, fiefs et seigneuries de Maurepas, Danvilliers, Maincourt plus ceux de Meudon, Saclay, Cottigny et enfin Dampierre…

Après avoir tourné et retourné par nombre de chemins en suivant un itinéraire soigneusement mis au point par le Duc, ce fut là que l’on arriva vers la fin de l’après-midi. Et Marie, soûle d’acclamations, épuisée par d’innombrables descentes et remontées en carrosse – et qui fermait les yeux de lassitude –, tressaillit en entendant son époux murmurer à son oreille :

— Voici Dampierre, Marie ! Ma résidence préférée ! Dites-moi si celle-ci a votre agrément !

Marie ouvrit les yeux et avec une exclamation de surprise, se pencha à la portière pour mieux voir. L’endroit, à la rencontre de trois vallons, était ravissant et le château – briques roses et chaînages de pierres blanches sous des toits d’ardoises bleues – ne l’était pas moins. La route, qui filait entre un bel étang et les douves d’eaux vives entourant les murs, avait de superbes ombrages. On la quitta pour accéder par un pont dormant et un autre que l’on pouvait encore relever, au pavillon d’entrée percé de trois fenêtres sous un comble aigu à la Henri IV. Cela débouchait sur une cour, pas très grande, encadrée de bâtiments en rez-de-chaussée à l’exception du logis principal élevé d’un étage percé de hautes fenêtres donnant sur un vaste jardin où des fleurs, sagement enfermées dans des bordures de buis, dessinaient une joyeuse broderie. Une galerie ouverte sur les eaux courantes des fossés l’entourait. Un autre parterre, plus important et celui-là enveloppé d’un canal que l’on franchissait sur un petit pont, le complétait. Des fontaines animaient cet ensemble où les eaux étaient reines et que Marie contempla avec délices[5]. Comme elle se retournait vers lui pour mieux l’exprimer, il sourit :

— Vous voilà chez vous, Madame la duchesse de Chevreuse ! Dampierre est à vous et vous pouvez l’orner à votre gré. Certes il n’y a pas de parc mais avec les terres que vous voyez d’ici, il sera facile d’en planter un…

— Rien ne presse ! Tel qu’il est il m’enchante. Je l’aime déjà ! s’écria-t-elle…

— Autant que Lésigny ?

Elle rougit comme si elle venait de commettre une faute. Dans son enthousiasme elle avait complètement oublié que, durant sa nuit médiévale, elle n’avait pas caché à Claude sa ferme intention de ne venir à Chevreuse que le moins possible et d’élire définitivement Lésigny comme résidence estivale où d’ailleurs elle souhaitait retourner sitôt achevée la visite du duché. Mais il fallait répondre. Elle s’en tira avec une demi-mesure :

— De façon différente ! Lésigny, après tout, reviendra à mon fils, et pour les chasses d’hiver il sera peut-être plus commode que celui-ci parce que plus proche du Louvre…

Le Duc saisit la balle au bond :

— A propos du Louvre, il faudrait songer à vous y faire revenir avec les honneurs dus à mon épouse ! Vous n’avez toujours pas reçu réponse du Roi ?

Marie retint un soupir : la question devait bien finir par arriver ! Sûr à présent de pouvoir assouvir à son gré sa passion pour elle, Claude commençait à se faire du souci pour sa position dans l’entourage royal. Comme si elle avait soudain trop chaud, elle prit à sa ceinture un petit éventail d’ivoire et de plumes pour en rafraîchir son visage rougissant. En même temps, elle glissait son bras sous celui de son époux :

— Oh, je suppose qu’elle doit nous attendre à Paris où le chevalier de Malleville est certainement rentré, et comme il ne sait pas où nous sommes…

— C’est vrai, nous nous sommes enfuis comme des amoureux de village à la recherche d’une meule de foin pour s’y cajoler en paix, mais rien n’est plus facile que l’envoyer chercher ! Je vais dépêcher un courrier…

Il avait pris une voix nasillarde que Marie détestait et, en outre, elle n’aimait pas beaucoup la meule de foin accolée à son cher Lésigny, mais ce qu’il proposait était légitime et il n’y avait aucune raison de s’y opposer, d’autant qu’elle aussi souhaitait recevoir des nouvelles.

— Merci d’aller au-devant de mes désirs, mon ami ! J’allais vous le demander… Faites-moi visiter les appartements à présent…

Elle s’en déclara aussi enchantée que des jardins. La grande salle réchauffée de tapisseries de Flandres et de sièges en velours de Gênes, avec sa cheminée monumentale et les six fenêtres qui l’éclairaient, avait de la noblesse. Quant à la chambre conjugale habillée d’un beau damas rouge clair, d’un lit à plumets blancs et de grands tapis d’Orient, elle lui convint en tous points et ce fut avec joie qu’elle s’y installa. Elen non plus ne cachait pas sa satisfaction. Bien que née dans une tour bretonne battue par les vents et les pluies d’hiver, au confort à peine supérieur à celui des maisons du village, elle avait goûté à la douceur d’un tapis sous ses pieds, à la rassurante intimité des rideaux de velours et des tentures murales, aux repas abondants et au divin plaisir d’être servie par une domesticité nombreuse. En revanche Paris boueux et malodorant en dépit de ses magnifiques églises et de ses palais vastes ou étroits ne vaudrait jamais aux yeux de son souvenir la beauté sauvage de sa lande fleurie de bruyères et d’ajoncs, déchiquetée par les assauts d’une mer souvent tumultueuse aux couleurs sans cesse renouvelées. Aussi nourrissait-elle une préférence pour les châteaux champêtres comme Lésigny ou Luynes. Après les austérités de Chevreuse, Dampierre la séduisit : château, dépendances et jardins étaient admirablement surveillés et entretenus par Boispillé, l’intendant :

— C’est un vrai paradis ici, madame, confia-t-elle à la Duchesse en l’aidant à se débarrasser des poussières du voyage. Y viendrons-nous souvent ?

— A la belle saison sans doute. Je sens que je vais beaucoup m’y plaire, mais n’oublie pas que c’est à la Cour et dans les résidences royales que je veux retourner. C’est là ma place et c’est là seulement que je respire même si la Seine charrie des immondices que ne connaît pas cette jolie rivière, ajouta-t-elle en désignant l’Yvette qu’elle apercevait de sa fenêtre.

— Mais… n’êtes-vous pas encore heureuse ? Le danger est écarté et vous avez épousé l’homme que vous aimez !

Un éclair traversa le regard bleu de la jeune femme. Elle réfléchit un instant, prit un peu de parfum au bout du doigt pour en toucher son cou et les lobes de ses oreilles, puis sourit à l’image que lui renvoyait son miroir :

— Je suis… satisfaite, Elen ! Heureuse est un trop grand mot pour ce que je vis…

— Mais enfin… vous aimez Monseigneur le Duc ?

— Je l’aime bien comme j’aimais bien mon défunt époux.

— Sans plus ?

— Sans plus ! La première fois j’ai été mariée sans que l’on me consulte, la seconde j’ai presque obligé Chevreuse à m’épouser. Même si j’ai vécu et vis encore des moments agréables où mon corps trouve son compte, trop d’intérêts sont entrés en jeu et ce n’est pas ainsi que je conçois l’Amour ! D’ailleurs, ajouta-t-elle avec un haussement d’épaules, je ne suis pas certaine qu’il existe autre part que dans les griffonnages fiévreux des poètes. J’ai cru un moment l’éprouver quand le Roi était mon ami déclaré, me venait voir sans cesse et me faisait plus reine que ne l’était sa pauvre infante. Mon cœur battait si fort quand il m’approchait !

— L’orgueil, madame, de voir un si éminent prince à vos pieds, y était-il pour quelque chose ? L’amour ne supporte aucun alliage.

— Tu as peut-être raison !… Pourtant j’ai souffert… et souffre encore de ce qu’il m’a fait ! Et dont il faudra bien que je me venge !