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La jeune fille ne répondit pas… A quoi bon discuter ? Dire surtout que c’était d’orgueil blessé que Marie souffrait ? Elle ne l’admettrait jamais.

Quelques jours plus tard, Malleville arrivait à Dampierre, ramené par le messager qui l’avait attendu quarante-huit heures à Paris. Il rapportait une lettre de M. de Bassompierre pour Chevreuse et, au fond de ses yeux, le souvenir de ce qu’il venait de voir et qu’il n’avait pas quitté sans regrets… L’odeur de la poudre lui tenait encore aux narines et il n’accorda au nouveau domaine de Marie qu’un regard distrait. Tandis que son époux lisait le message de son cousin, celle-ci voulut en savoir davantage :

— Mille tonnerres, Malleville, n’avez-vous rien à me dire ? Vous restez là planté comme un piquet à regarder devant vous comme si je n’existais pas ! Avez-vous vu le Roi ?

— De loin, Madame la Duchesse, seulement de loin ! Il était uniquement occupé de la ville de Royan qu’il assiégeait ! Jamais je n’ai vu souverain se donner avec une telle ardeur à sa tâche militaire. Il n’avait pas le temps de me recevoir. Nous avons décidément un grand roi, madame !

Marie sentit la moutarde lui monter au nez :

— C’est possible, mais essayez de vous souvenir que ce n’est pas pour me rapporter cette splendide nouvelle que je vous ai demandé de parcourir quelque trois cents lieues aller et retour. Qu’avez-vous fait de ma lettre ?

— M. de Bassompierre a eu l’obligeance de s’en charger et même m’a fort recommandé de ne pas chercher à approcher Sa Majesté qui, entre parenthèses, était déjà au fait de votre mariage par un billet que Mme la princesse de Conti avait fait tenir à M. de Bassompierre qui, forcément…

— N’a rien eu de plus pressé que d’aller conter la nouvelle à notre sire ! Mais quel âne bâté !… Ne pouvait-il tenir sa langue jusqu’à ce que… je l’annonce moi-même ? Et comment a-t-elle été reçue ?…

— Fort mal ! bougonna Chevreuse qui avait fini sa lecture. Bassompierre m’écrit que le Roi était en colère et que lui-même, M. de Schomberg et le jeune La Valette ont eu du mal à le calmer en lui rappelant quelques-unes des actions que j’ai eu le bonheur d’accomplir sous ses ordres. Bassompierre dit aussi que le Roi venait de soulever l’enthousiasme de l’armée en opérant une reconnaissance sur la banquette d’une tranchée et d’y rester à découvert sans se soucier des balles qui pleuvaient autour de lui. Pas une seule fois il n’a baissé la tête. Cet éclat a fait diversion de la mauvaise humeur royale mais je vais devoir vous quitter, ma chère.

— Que dites-vous ? balbutia la jeune femme en pâlissant devant l’horizon menaçant que son imagination lui montrait. Il veut que… vous m’abandonniez ?

— Qu’allez-vous chercher ? L’Eglise nous a bénis, que je sache… Non, Bassompierre pense que Sa Majesté pardonnera de meilleur cœur si je vais moi-même plaider votre cause.

— Ma cause ? s’insurgea Marie. N’est-elle plus vôtre ?

— Si, sans doute, mais Bassompierre assure que le Roi sera content de me voir. Aussi vais-je partir sur-le-champ. En attendant mon arrivée nos amis s’efforceront de préparer ma venue…

— Et moi que vais-je faire ?… J’aimerais vous accompagner ! lança-t-elle avec un feu soudain.

— Que ferais-je de vous au milieu d’une armée ? Et je ne crois pas que votre présence serait agréable…

La remarque était brutale et Marie considéra son époux avec un vague mépris :

— Pas même à vous apparemment ! Vous ressemblez à un vieux cheval de bataille qui entend la trompette ! Maintenant que vous me tenez en votre maison, vous brûlez de rejoindre votre maître et de respirer l’odeur de la poudre.

— Je ne dis pas non. Je suis un homme de guerre. Je croyais que vous le saviez. En outre, je pensais que vous aviez hâte de reprendre votre place auprès de la Reine ?

Elle avait tort et s’en rendait compte. C’était stupide de lui chercher querelle simplement parce qu’il venait d’exprimer l’intention d’échapper pour un temps à son emprise mais elle était ainsi faite : qui se mêlait de l’aimer et voyait sa flamme exaucée lui devait de demeurer sous son joug parfumé aussi longtemps qu’elle le voudrait. Claude méritait une punition, elle ne lui fit pas attendre :

— Certes j’y tiens plus que vous ne sauriez le penser ! fit-elle avec un sourire radieux. N’allez pas vous faire tuer au moins !… Tout serait à recommencer et je ne vois pas qui je pourrais bien épouser à présent !

— Madame ! protesta-t-il blessé. Je croyais que vous m’aimiez…

— Mais je vous aime, Monseigneur ! Que cela cependant ne vous retarde pas. Au fond j’aurai tant à faire ici que je n’aurai pas le temps de m’ennuyer. Il se peut d’ailleurs que j’aille à Luynes chercher mes enfants ! Ils me manquent plus que je ne saurais dire…

Muet et impuissant, Gabriel avait assisté à l’escarmouche sans oser broncher mais en souhaitant éperdument être ailleurs. Il avait songé à demander au Duc la permission de l’accompagner mais il n’était pas difficile de deviner comment la Duchesse réagirait. Il sut très vite comment l’heureux époux aurait reçu sa demande quand il l’entendit déclarer qu’il était charmé de son retour et qu’il confiait Marie à ses soins. Le rêve qu’il avait caressé au long de la route n’était pas près de se réaliser…

En effet, à l’affût de nouvelles armes, le Roi venait d’adopter le mousquet et de créer du même coup la première compagnie de mousquetaires à cheval : une centaine de gentilshommes choisis et placés sous le commandement d’Armand-Jean de Peyre, comte de Tréville. Voué à la garde rapprochée de la personne royale, ce nouveau régiment promettait d’être le plus recherché. Et Gabriel de Malleville souhaitait ardemment, à présent, pouvoir porter un jour la casaque bleue à la croix fleurdelisée… Hélas, pour l’instant il lui fallait rester là où le sort l’avait mis…

Un mois jour pour jour après son mariage, Claude de Chevreuse rejoignait, à Saint-Emilion, le Roi qui arrivait juste après la reddition de Royan. Un peu inquiet tout de même sur l’accueil qu’il allait recevoir… Or tout se passa le mieux du monde. Heureux d’une victoire augurant bien de la suite de sa campagne, Louis XIII reçut son « cousin » comme s’il l’avait quitté la veille et même l’embrassa. En dépit d’un physique austère dont sa gravité naturelle augmentait l’effet, le jeune roi de vingt et un ans pouvait se montrer charmant et ses rares sourires possédaient un charme inattendu.

— Nos armes font merveille, mon cousin, lui dit-il, mais grâce à Dieu il reste encore beaucoup à faire et vous arrivez à point nommé pour en prendre votre belle part.

Pas un mot sur le malencontreux mariage, pas un mot sur Marie !

— Dois-je lui en parler ? Présenter des excuses ? demanda Chevreuse à Bassompierre qu’il retrouvait avec un réel soulagement. Les deux hommes en effet étaient à peu près du même âge et se connaissaient depuis leur enfance lorraine.

François, baron de Betstein – francisé en Bassompierre –, de Haroué, de Remonville, de Baudricourt et d’Ormes n’avait que dix-neuf ans lors de son arrivée à Paris avec le prince de Joinville, futur duc de Chevreuse. MM. de Bellegarde et de Schomberg l’avaient présenté au roi Henri IV qui, tout de suite, s’était pris d’amitié pour ce garçon vif, hardi et entreprenant avec ses cheveux bouclés et sa blonde barbiche parfumée à l’ambre. Très brave, intelligent, cultivé – il lisait le latin et parlait quatre langues : français, allemand, italien et espagnol –, il était en outre élégant, spirituel encore que de langage assez vert, et les femmes l’adoraient. Il en aima beaucoup mais eut malheur de tomber dans les griffes de Marie d’Entragues, sœur de la marquise de Verneuil, favorite d’Henri IV à laquelle l’opposait, depuis plus de quinze ans, un procès en rupture de promesse de mariage renforcée par la naissance d’un enfant. Ce qui avait valu à l’imprudent les pires ennuis, allant jusqu’à une excommunication heureusement rapportée depuis un an… mais aussi une durable histoire d’amour avec la princesse de Conti. De telles aventures ne pouvaient qu’inciter Bassompierre à une absolue compréhension des problèmes de son ami Chevreuse. Etant lui-même très en faveur auprès de Louis XIII, il prêcha la patience.