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Tout en donnant ces ordres décousus, le regard de Marie accrocha celui – amusé – de Malleville.

— Qu’est-ce qui vous fait rire ?

— Je ne ris pas, madame, je souris à voir votre joie. Si j’ai compris, nous ne sommes plus en disgrâce ?

— Absolument plus ! Monseigneur m’écrit que le Roi consent à ce que je reprenne ma place dans les entours de la Reine ! Je conserve mes charges, y compris la Surintendance ! N’est-ce pas merveilleux ? Tenez, lisez ! ajouta-t-elle dans une soudaine envie de partager son bonheur avec celui qui l’avait aidée à le retrouver.

— On dirait que Monseigneur a fait du bel ouvrage, en effet. Il précise d’ailleurs que ce sont ses mérites personnels qui ont obtenu ce résultat ; une sorte de récompense pour services rendus ?

— Mille tonnerres ! Malleville, que ce soit ce que Dieu a voulu…

— … ou le Diable ?

— Ne dites donc pas de sottises ! Ce qui compte est que demain je rentre à la Cour par la grande porte. Alors cessez d’ergoter et apprêtez-vous à m’accompagner !… Ah ! Je veux un carrosse armorié et Peran sur le siège ! Courez ! Vous devriez être déjà parti.

En moins d’une heure tout fut prêt. Marie avait donné ses instructions à Boispillé, embrassé ses enfants après avoir distribué une volée de recommandations et, sans plus se soucier de la chaleur, reprenait enfin la route de Paris, gonflée d’une joie qu’elle contrôlait mal et qui avait dû être celle des Hébreux découvrant la Terre promise. Dans sa lettre Claude lui recommandait expressément de rentrer discrètement, sur la pointe des pieds en quelque sorte pour ne pas susciter une nouvelle colère du Roi, mais Marie se sentait l’âme conquérante. Elle rentrait au Louvre pour régner à travers Anne d’Autriche, pas pour s’y faire oublier ! Et quand le Roi reviendrait… mais on n’en était pas là ! Selon Claude, l’armée se préparait à quitter Toulouse où Louis avait été malade, se dirigeant vers la Provence à travers des régions qui se soumettaient l’une après l’autre. De l’eau coulerait sous les ponts de la Seine avant que les galeries du Louvre retentissent sous les pas impérieux du souverain. Il s’agissait de le bien employer.

Elle n’y manqua pas. Dès le lendemain matin, en robe de taffetas changeant de la nuance exacte de ses yeux, ouverte sur une jupe de satin neigeux comme le grand col de dentelles rabattu et les hautes manchettes d’où s’évasaient les larges manches à crevés, le cou serti d’un collier de grosses perles soutenant une petite croix d’émeraude et un voile blanc sur la tête, Marie montait dans un carrosse fraîchement lavé où s’étalaient les armes de Chevreuse et se faisait conduire au Louvre afin de donner à son retour le plus d’éclat possible, alors qu’elle aurait pu arriver à pied par les jardins. Mais elle entendait user d’un privilège dont seules les princesses jouissaient : pénétrer en voiture dans la cour d’honneur et n’en descendre que devant le degré de la Reine. Même duchesse, même épouse du Connétable, elle était tenue jusqu’à ce jour de sortir de son véhicule sous la voûte d’entrée.

Le Louvre composait alors un ensemble hétéroclite reflétant l’architecture de plusieurs siècles. La façade d’entrée, sur la rue d’Autriche, était résolument médiévale et plutôt noirâtre. Les tours massives, les fossés emplis d’une eau plus ou moins boueuse, le pont-levis et une première enceinte crénelée et jalonnée de tourelles avaient vu le jour au temps des rois capétiens. La seconde était un peu plus jeune et, entre les deux épaisseurs de muraille il y avait les deux jeux de paume où le Roi et ses gentilshommes aimaient à se détendre.

Pourvu que l’on soit convenablement vêtu… et à pied, l’accès du palais était libre. Aussi, en dépit de l’heure matinale, y avait-il déjà foule sur le pont surveillé par les archers de la Prévôté en hoqueton bleu. Deux d’entre eux croisèrent leurs pertuisanes devant le magnifique attelage à six chevaux. Alors Peran lança toute sa voix :

— Place ! Place à Son Altesse Madame la duchesse de Chevreuse, princesse de Joinville, Surintendante de la Maison de Sa Majesté la Reine !

Un officier vint, chapeau bas, saluer la nouvelle venue et ordonna que l’on la laisse entrer, et Peran engagea ses chevaux sous la longue voûte noire de la Porte de Bourbon. Au-delà et bien que le Roi fût à la guerre, il y avait un monde de courtisans, de marchands, de financiers, de provinciaux et même d’étrangers venus par curiosité. Quelques femmes aussi. Tout cela canalisé par les gardes françaises en habit bleu à parements rouges. Enfin il y avait un carrosse, un seul devant l’escalier menant chez la Reine mais que Marie reconnut avec plaisir : celui de la princesse de Conti, sa meilleure amie et à présent sa belle-sœur.

Saluée par les suisses en casaque rouge à parements bleus et hauts-de-chausses blancs qui veillaient à l’intérieur du palais, Marie monta l’escalier avec un frisson de joie orgueilleuse. Elle était éblouissante et le savait. Point n’était besoin de se retourner pour sentir sur son dos, sur sa nuque, le feu de tous ces regards d’hommes. Une sensation tellement agréable après ces interminables mois de quasi réclusion !

Dans la salle des gardes où veillaient les gardes du corps, Marie trouva le chevalier de Jars, François de Rochechouart, qui était l’un des écuyers de la Reine. Il s’entretenait dans une embrasure de fenêtre avec le jeune Pierre de La Porte, nommé depuis peu « portemanteau » d’Anne d’Autriche. Le premier vint avec empressement au-devant de Marie :

— Enfin vous, Madame la Duchesse ! Vous ne sauriez croire la joie que j’éprouve de votre retour !

— A ce point ? Si je vous manquais tant que n’êtes-vous venu me le dire chez moi ?

— Je ne me serais pas permis et, en vérité, c’est surtout en pensant à la Reine que je suis heureux ! On meurt d’ennui chez elle… depuis que vous nous avez quittés ! La Cour n’est plus ce qu’elle était sans votre sourire.

— Que fait donc la Reine de ses journées ?

— Elle prie… et de plus en plus ! Pour la santé du Roi, pour les armes du Roi, pour sa famille espagnole, son père, son frère, ses sœurs puisque pour une fois ce n’est pas contre eux que notre sire est allé en découdre ! Elle consulte son confesseur, brûle des cierges un peu partout et je crois bien, Dieu me pardonne, qu’elle se parfume à l’encens ! Ce n’est plus le Louvre ici, c’est l’Escorial. On s’ennuie beaucoup plus que chez la Reine-mère ! D’autant qu’elle n’est pas là ! Vous l’ignorez sans doute mais elle s’est lancée sur les routes pour rejoindre le Roi… et participer à sa gloire !

— Grand bien lui fasse ! A présent consolez-vous ! Me voici justement pour rendre quelque joie de vivre à Sa Majesté. Elle est à sa toilette, je suppose ?

— Et quelle toilette ! Depuis que la Reine a perdu son fruit, c’est Dona Estefania qui y préside et elle impose les couleurs du deuil !

— Ridicule ! Un deuil de cour dure un mois pour un parent proche. Pas pour un fœtus ! Et nous en sommes à cinq mois ! A quoi pensent la dame d’honneur et la dame d’atour ?

— La vieille connétable de Montmorency qui a daigné reprendre son service après le… euh… le départ de Votre Grâce, comme disent les Anglais…

— Ce que l’on espérait être ma disgrâce ?

— Si vous y tenez ! Elle est donc revenue mais elle fait chorus avec la duègne. Quant à la dame d’atour, Mme du Vernet, elle est tellement dépassée par les événements qu’elle est malade le plus souvent possible. Sans doute ne se sent-elle pas le courage d’assumer à elle seule le poids de la famille d’Albert !