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Antoinette du Vernet était, en effet, la sœur de Luynes, de Cadenet et de Brantes. Elle aimait bien Marie qui le lui rendait, mais sans doute avait-elle préféré se montrer le moins possible tant que le sort de sa belle-sœur restait en suspens.

— Seigneur ! Il était temps que je revienne ! Mais au fait, j’ai vu en bas le carrosse de la princesse de Conti…

— Oui mais elle n’était pas dedans. Seulement sa suivante par elle chargée d’un présent pour Sa Majesté…

Marie offrit un sourire enjôleur à son interlocuteur et lui tendit une main qu’il baisa juste un petit plus longtemps que ne l’exigeait la bienséance :

— Merci, chevalier ! Grâce à vous je sais où nous en sommes ! Faites-moi annoncer, s’il vous plaît !

Ce fut La Porte qui s’en chargea. Précédant la Duchesse, il lui fit traverser l’antichambre où l’on serrait l’argenterie et qui servait de salle à manger, puis le Grand Cabinet au sol carrelé recouvert d’un superbe tapis venu de Turquie. Il y avait là des fauteuils, des chaises, des tables en ébène et de hauts chandeliers d’argent garnis de bougies rouges ; des coffres, des vases précieux, quelques livres richement reliés et une guitare abandonnée sur un siège complétaient l’ameublement de cette belle pièce dont les fenêtres, comme celles de l’appartement, donnaient à la fois sur la Cour Carrée[6] et sur la Seine. Un huissier veillait là en permanence. Ensuite on pénétrait dans la chambre qui était la plus spacieuse et la plus magnifique de toutes, agrémentée en outre d’un balcon regardant le fleuve. Boiseries sculptées et dorées, lambris et plafonds peints de couleurs vives servaient de cadre à un lit monté sur estrade et enveloppé de courtines de brocart brodé d’or et d’argent, qu’une balustrade en argent massif isolait du reste de la salle éclairée par des candélabres accordés à celle-ci. Des tapisseries, non plus flamandes mais françaises[7], complétaient un ensemble décoratif somptueux, œuvre de Marie de Médicis qui, en débarquant à Paris, avait été horrifiée par l’état de délabrement du vieux Louvre où l’on prétendait la faire habiter. Et s’en était allée loger chez les Gondi, ses compatriotes.

Quand, sept ans plus tôt, en 1615, Louis XIII avait épousé l’Infante, la Reine-mère s’était contentée de déménager ses objets personnels les plus précieux – ses innombrables bijoux notamment -dans l’appartement qu’elle s’était installé au rez-de-chaussée (sur jardin) et à l’entresol du palais. Mais il restait de nombreux coffres en bois rare où se répartissait une partie de la garde-robe royale – le reste se trouvait chez la dame d’atour ou les femmes de chambre[8] –, plus ou moins proches de la table à coiffer devant laquelle la Reine était assise, vêtue d’une veste longue en satin blanc passée sur une chemise brodée d’argent et de violet. Autour d’elle s’empressaient sa première femme de chambre, Mme de Bellière, deux ou trois servantes, plus un valet occupé présentement à remporter l’aiguière et la bassine de cristal grâce auxquelles Sa Majesté venait de se livrer à des ablutions à l’aide d’une énorme éponge réservée à ce seul usage. Le tour de la coiffure était venu et Doña Estefania de Villaguiran, rebaptisée Stephanille, s’apprêtait à officier. Type parfait de la duègne espagnole, c’était une femme déjà âgée, maigre et brune, sèche comme un pruneau et raide comme une planche dans un vertugadin que les filles d’honneur soupçonnaient d’être en fer, mais elle avait élevé la Reine et celle-ci lui conservait une espèce de vénération dont s’agaçaient ses femmes françaises.

Le nom de Mme de Chevreuse claironné par La Porte fit l’effet d’un pavé dans une mare à grenouilles. Stephanille en lâcha son peigne avec une exclamation de colère et les autres se tournèrent vers l’entrée de la chambre que la jeune femme venait de franchir d’un pas rapide avant de plonger dans la plus profonde, la plus parfaite des révérences. Sous le coup de l’émotion, la Reine s’était levée et venait à elle les mains tendues, soudain rayonnante :

— Vous, Marie ? Mais quelle joie ! Le Roi mon époux a donc levé votre… pénitence ?

— Il y paraît, madame, puisque me voilà ! Infiniment heureuse de pouvoir à nouveau baiser la main de ma Reine !

— Oh, pour cette fois je vous embrasse ! Vous n’imaginez pas quelle joie vous me donnez !

Les deux femmes s’embrassèrent, formant au milieu de cette chambre somptueuse un tableau à tenter le pinceau d’un peintre… A une année près elles étaient du même âge et rayonnaient d’un éclat égal. Rien d’espagnol en effet dans cette infante aux yeux verts, aux blonds cheveux soyeux, au teint lumineux rougissant facilement parce qu’elle se refusait à porter un masque comme toutes les femmes coquettes et laissait trop souvent les intempéries ou les insectes y faire quelques dégâts. Le nez un peu fort ne déparait pas l’ensemble, et le regard était surtout attiré par une petite bouche ronde, pulpeuse, d’un joli rouge frais. Pas très grande, Anne d’Autriche était admirablement faite sous une peau d’une blancheur de porcelaine et ses mains étaient les plus belles, les plus fines qui se puissent voir.

Tandis qu’elle reprenait sa place devant l’imposant miroir de Venise, Marie recevait – et rendait ! – le salut des autres dames. Une seule, dont elle n’avait pas encore remarqué la présence parce qu’elle se tenait dans l’ombre du lit, s’avança et, le visage fermé, la considéra des pieds à la tête :

— Puis-je savoir si vous êtes toujours investie de la Surintendance ?

— Ma présence devrait vous dispenser de poser ce genre de question, madame de Montmorency ! A mon tour de m’étonner : je croyais que vous aviez renoncé à votre charge de dame d’honneur ?

— Vous n’étant plus là, je n’avais plus de raison pour quitter mon service auprès de Sa Majesté… et cette fois je ne me retirerai pas.

— Non ? Vous devriez ! Vous étiez furieuse que la Surintendance soit donnée à quelqu’un de plus jeune… et de plus noble que vous…

— Ignorez-vous que les Montmorency sont les premiers barons chrétiens du royaume ?

— Mais pas les Budos dont vous êtes issue ! On chuchote même que vous avez jadis conclu un pacte avec messire Satan afin d’obtenir que le « premier baron chrétien », le connétable duc de Montmorency, épouse la modeste Louise de Budos ?

— Modeste mais de bonne noblesse ! Les d’Albert sont sortis de pas grand-chose !

— Mais je suis, moi, une Rohan avec dans mes veines le sang des rois de Bretagne. Et à présent je suis princesse de Lorraine ! A qui la Surintendance pourrait-elle mieux aller ? Il faut vous faire une raison, madame. Maintenant, c’est moi qui dirige la maison de la Reine !

La figure glacée de la « vieille » dame – elle avait trente ans de plus que Marie ! – jaunit soudain comme si elle s’infiltrait de fiel :

— Encore faudrait-il être sûre que vous n’êtes pas en train de payer d’audace. La Reine n’a reçu aucun courrier vous concernant de son royal époux…

L’huissier ordinaire de la Chambre parut à cet instant portant un message sur un plateau :

— Une lettre pour Sa Majesté ! annonça-t-il. Courrier du Roi !

Cela fit taire les deux antagonistes. Anne d’Autriche qui suivait la dispute sans trop savoir comment y mettre fin, se hâta de prendre connaissance de ce que l’on lui envoyait et son visage soucieux s’éclaira :

— Je pense, mesdames, qu’il n’y a rien à ajouter. Le Roi, mon époux, m’apprend ici qu’en considération des mérites du duc de Chevreuse, il consent à ce que la Duchesse reprenne auprès de moi ses fonctions et prérogatives.

Son ton imposait le silence mais Mme de Montmorency était dans une telle colère qu’elle n’en tint pas compte :