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— S’il en est ainsi, je laisse la place ! Jamais je n’accepterai d’être aux ordres d’une… d’une gourgandine, même princesse ! Et c’est au Roi, abusé par les manigances de ce benêt de Chevreuse, que j’en appellerai !

Et sur la plus raide des révérences, la dame d’honneur quitta l’appartement le nez pincé et la tête haute. Marie la regarda sortir avec une satisfaction narquoise avant de pirouetter sur ses talons pour revenir à la Reine devant laquelle des femmes de chambre étalaient des robes sombres, discrètement brodées, dont la couleur la plus gaie était un violet lie-de-vin foncé dont n’aurait pas voulu un évêque. Doña Estefania, en même temps, se préparait à la coiffer. Mme de Chevreuse intervint :

— Que faites-vous ? Où est la dame d’atour ? C’est elle qui veille à la chevelure de Sa Majesté !

— Mme du Vernet est malade… comme d’habitude ! dit Mme de Bellière…

— En ce cas, je m’en charge !

Otant ses gants qu’elle jeta sur un meuble, Marie alla prendre place derrière Anne d’Autriche, enlevant le peigne des mains de la duègne qui renifla comme un chat en colère. En même temps son regard effleura les toilettes proposées :

— Qu’est-ce que cela ? fit-elle avec dédain. Devons-nous porter quelqu’un en terre ?

— La Reine a perdu son fruit et le Roi est au combat… c’est du moins l’opinion de Doña Estefania, murmura Mme de Chavigny.

— Quelle sottise ! Le Roi vole de victoire en victoire et le fruit n’avait même pas de forme ! Enlevez-moi ces robes ! Nous sommes en juillet, morbleu ! Je veux des tissus légers, des couleurs claires !

Anne protesta doucement :

— Pas trop, ma bonne ! Je compte ce tantôt diriger ma promenade vers la maison des dames carmélites de Chaillot…

— Ce n’est pas une raison pour vous habiller comme elles ! Cependant pour ne pas choquer leur austérité, je préconiserais la robe de satin gris souris avec la jupe et les crevés de satin blanc. Et des perles. Beaucoup de perles ! Leur éclat augmente celui de la Reine… Allons ! Que l’on s’active !

L’atmosphère avait changé du tout au tout. Anne, enchantée du retour de son amie, retrouvait le sourire et autour d’elle les suivantes bavardaient à présent sans contrainte tandis que s’activaient les doigts agiles de Marie. En peu de temps, elle eut coiffé sa maîtresse de la façon qui avait ses préférences, relevant la masse des cheveux blonds en épais chignon piqué d’épingles et de perles au-dessus de la nuque, laissant libres, autour du visage, des boucles légères.

— Vous avez beaucoup à me raconter, Marie ? observa celle-ci en se regardant au miroir.

— Beaucoup, madame ! Mais… je préférerais que nous soyons seules.

— Nous allons avoir largement notre temps ! Je ne veux plus que vous me quittiez et je vais donner ordre que l’on prépare votre ancien appartement…

— Sous les combles ? émit Marie qui se souvenait sans plaisir du réduit misérable où, après la mort de Luynes, Louis XIII l’avait assignée et où elle avait mis sa dernière fille au monde.

— Non. Celui d’autrefois juste au-dessus de cette chambre… et l’on va rouvrir le petit escalier !

— Il est donc fermé ?

La jeune Reine eut pour sa Surintendante retrouvée l’un de ces sourires rayonnants – rares chez elle ! – qui lui ouvraient les cœurs les plus fermés :

— C’était le chemin de l’amitié, Marie. Je ne pouvais supporter qu’une autre dame l’emprunte.

Touchée, celle-ci, abandonna le flacon d’huile parfumée dont elle s’apprêtait à laisser tomber quelques gouttes sur son œuvre capillaire, plia le genou pour prendre la main de la Reine et la baiser avec une émotion qu’elle ne s’attendait pas à éprouver. Jusqu’à présent, l’Espagnole était pour elle une jolie dinde fraîche et ronde encore engoncée dans de raides contraintes d’infante, plus ou moins terrifiée par son mari et essentiellement égoïste. Cette preuve d’attachement changeait ses plans d’avenir : elle espérait jusque-là se servir d’Anne pour tirer vengeance du Roi qui l’avait déçue. A présent, elle se promit d’essayer sinon de la rendre heureuse, au moins de lui procurer un peu de bonheur.

— Merci, madame, murmura-t-elle. J’espère qu’il me sera donné de prouver à Votre Majesté que si j’ai de nombreux défauts, l’ingratitude et la sécheresse du cœur ne sont pas du nombre…

Le soir même, en compagnie d’Elen, elle reprenait possession avec un extraordinaire sentiment de triomphe de l’élégant logis qui, avant elle, avait abrité les fantasmes et les rêves démesurés de Leonora Galigaï !…

Les semaines qui suivirent furent des plus agréables. Le joyeux cercle des amies se reconstituait autour de la Reine : Antoinette du Vernet, miraculeusement guérie de ses vapeurs opportunes, accourut reprendre son poste ainsi que la jeune Angélique de Verneuil, l’autre responsable de l’accident de la Grande Salle, dont on préparait pour la fin de l’année le mariage avec le fils du duc d’Epernon. Et surtout Louise de Conti, la nouvelle belle-sœur, la plus âgée de la petite coterie – elle avait vingt ans de plus que les autres ! – mais non la moins séduisante. Marie apprit d’elle, d’ailleurs, que la Reine ne l’avait jamais abandonnée, quoi qu’elle ait pu en penser, et qu’elle n’avait cessé d’intercéder auprès du Roi pour qu’on lui rende sa Surintendante.

Ce qu’on savait de la guerre était satisfaisant. Le vieux maréchal de Lesdiguières – quatre-vingts ans ! – avait reçu l’épée de connétable que la mort avait enlevée à Luynes et la portait avec infiniment plus d’éclat. Bassompierre, colonel des suisses, était à présent maréchal de France et Chevreuse Grand Fauconnier. Le duc de Rohan, chef des protestants rebelles, venait de faire sa soumission et le traité de paix mettant fin à la guerre contre les huguenots allait être signé à Montpellier. Quant à la Reine-mère, lasse de courir après son fils sans parvenir à le rejoindre, elle était partie prendre les eaux de Pougues.

Enfin vint le message qu’Anne d’Autriche espérait secrètement : Louis XIII appelait auprès de lui sa femme et sa cour et leur donnait rendez-vous à Lyon où aurait lieu le mariage de Mlle de Verneuil. Au passage de Pougues, le cortège des dames récupérerait Marie de Médicis…

On prépara le départ dans la fièvre. C’était déjà novembre et l’hiver approchait, mais le temps se maintenait beau. Habituée au climat madrilène et aux vents glacés de la Sierra Nevada, la Reine ne craignait pas un long chemin dans une saison difficile. D’autant plus qu’une partie du trajet s’effectuerait par voie d’eau. Marie, elle, se promettait mille plaisirs pour les jours à venir. D’abord elle reverrait son époux dont les ardeurs commençaient à lui manquer. En outre, et ce n’était pas le moindre sujet d’impatience, elle allait se retrouver, enfin, en face du Roi, de celui qui l’aimait naguère et en était venu à la traiter si mal…

La nouvelle qui vint la veille même du départ était, à cet égard, peu réconfortante. Ainsi qu’elle l’avait annoncé, la « vieille » Montmorency avait porté sa plainte devant le souverain et son Conseil. L’un comme l’autre venaient de trancher : Mme de Montmorency perdait sa charge de dame d’honneur et Mme de Chevreuse sa Surintendance qui était à présent supprimée. Un jugement style Salomon qui ne satisfit personne. Surtout pas la Reine qui au fond ne détestait pas la mère du beau Montmorency et que n’enchantait pas de vivre en contact permanent avec la nouvelle dame d’honneur, l’austère et revêche Mme de Lannoy. Elle se hâta cependant de porter quelques consolations à Marie :