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— De toute façon votre place auprès de moi reste la même, Marie. Vous êtes et resterez mon amie. Le Roi d’ailleurs a tenu, pour effacer votre chagrin, à nommer votre époux Premier Gentilhomme de la Chambre…

— Qu’il en soit remercié mais qui consolera le charmant duc de Montmorency si fort attaché à Votre Majesté ?

Anne d’Autriche rougit jusqu’à la racine de ses blonds cheveux :

— Quelle sottise, ma chère ! Le jeune duc…

— … est follement épris de vous, madame, et s’en cache à peine.

— Une reine de France ne doit pas entendre de telles choses, madame, coupa Mme de Lannoy. Tous ses sujets l’aiment d’un cœur égal, cela seul compte…

— A qui le voulez-vous faire croire ? s’écria Marie en riant. De plus il n’y a aucune raison pour cacher une vérité à Sa Majesté… surtout quand il s’agit d’un gentilhomme aussi accompli que M. de Montmorency. Il a vingt-huit ans, il est beau et nombre de femmes en raffolent mais il n’en regarde jamais qu’une seule !

Voyant des nuages d’orage s’amonceler, Anne d’Autriche pria ces dames d’en rester là mais, dans les jours qui suivirent, Mme de Chevreuse put observer que la Reine soignait davantage sa toilette et que son regard vert s’éclairait quand la fière silhouette du jeune duc venait s’incliner devant elle… De là à imaginer une intrigue, il n’y avait qu’un pas, vite franchi par le pied léger de la jeune femme. Ce serait tellement amusant si l’épouse de Louis XIII prenait suffisamment de goût pour un gentilhomme au point d’en faire son amant ? Et quelle plus délectable vengeance pourrait-elle tirer de celui-ci qu’en protégeant de si romanesques amours ?

Le 5 décembre on fut à Lyon où le Roi n’était pas arrivé. La Reine et sa suite prirent logis à l’Archevêché. On eut la surprise – désagréable ! – d’y trouver la Reine-mère installée. Espérant pouvoir s’entretenir en tête à tête avec son fils, la grosse Florentine s’était hâtée de quitter Pougues avant l’arrivée de sa belle-fille.

En effet, bien qu’elle eût été l’artisane du mariage de Louis avec l’Infante – et en même temps de celui de sa fille Elisabeth avec le prince des Asturies, futur roi d’Espagne –, Marie de Médicis détestait sournoisement sa belle-fille dont elle jalousait la jeunesse et la beauté.

Touchant alors la cinquantaine, c’était une imposante et forte femme alourdie de graisse avec une chair très blanche, un visage massif pourvu d’un double menton – elle l’avait déjà quand à vingt-sept ans elle avait épousé Henri IV –, des yeux bleus globuleux à fleur de tête, des cheveux grisonnants, frisés et coiffés en hauteur à la mode florentine au-dessus d’un front étroit, têtu comme le menton grassouillet. Toujours ruisselante de perles, diamants et autres joyaux dont elle avait la passion, sa silhouette épaisse ne manquait pas de majesté et déplaçait beaucoup d’air.

D’une piété étriquée qui l’inféodait au Pape et aux Jésuites, se souciant comme d’une guigne des intérêts profonds du royaume, de cœur sec et d’esprit rusé, Marie de Médicis restait avide de pouvoir au point d’avoir, après la chute de son favori Concini, déclaré la guerre à un fils qui avait osé la chasser du Louvre et l’assigner à résidence au château de Blois… dont elle avait réussi à s’enfuir une belle nuit à l’aide d’une échelle de corde. Auparavant, elle avait franchi une fenêtre non sans difficultés à cause de son tour de taille et des cassettes à bijoux dont elle était bardée. Evasion rocambolesque et passablement ridicule, orchestrée par son vieux complice le duc d’Epernon et dont à Paris on avait ri sans retenue, jusqu’à ce qu’elle prétendît arracher la couronne à son fils les armes à la main. Il est vrai qu’à cette époque son conseiller le plus sage et le plus intelligent, un certain évêque de Luçon nommé Richelieu, avait été exilé dans son diocèse d’abord puis en Avignon.

Des six enfants qu’elle avait eus, la Reine-mère n’aimait qu’un seul : son second fils Gaston, duc d’Anjou, beau jeune homme écervelé mais fourbe, lâche mais aimable. Louis XIII, livré dès l’enfance à une sorte de martyre aux mains d’un gouverneur stupide et cruel, n’avait jamais reçu d’elle la moindre marque d’affection. Et cependant, comme nombre d’enfants maltraités, il avait aimé sa mère. C’est à cause de cela, peut-être, qu’il avait accepté un premier traité de paix dont le jeune Richelieu avait été l’artisan… succès qui n’avait pas duré, la mère abusive souhaitant toujours accaparer le pouvoir. D’où une seconde guerre, brève et sans gloire aucune pour elle qui après une escarmouche en Anjou s’était soldée par une seconde réconciliation pour laquelle Hercule de Montbazon avait prêté son château de Couzières.

Depuis les choses semblaient aller pour le mieux entre une mère et un fils qui lui avait rendu sa place au Conseil. Même si ce n’était pas la première ! Mais ce que Marie voulait à présent, c’était y faire entrer son cher évêque de Luçon que Louis XIII avait pris en grippe parce qu’il le croyait responsable des folies de sa génitrice…

Naturellement, la Florentine s’estimant un Machiavel en jupon, haïssait les Luynes, cause de ses malheurs et de ceux des Concini. Le mariage de Marie, sa filleule, avec l’aîné, l’avait mise hors d’elle mais elle n’en avait pas tenu rigueur à la jeune femme, sachant pertinemment qu’on ne lui avait pas demandé son avis. La place que Marie avait prise auprès d’Anne d’Autriche lui convenait parfaitement : la soupçonnant d’être portée au dévergondage, elle n’espérait rien d’autre que la voir entraîner sa belle-fille sur des chemins assez cahoteux pour, sinon la faire répudier, au moins lui faire perdre tout crédit auprès du Roi qui ne pourrait que lui rendre la première place à elle, sa mère !

C’était au fond plutôt infâme mais on est une belle-mère ou on ne l’est pas !

Anne d’Autriche n’ayant aucune illusion sur cette grosse femme vieillissante qu’elle n’aimait pas mais respectant les lois de la civilité puérile et honnête, les retrouvailles à l’Archevêché de Lyon furent ce qu’elles devaient être : un chef-d’œuvre de maternalisme hypocrite d’un côté, et de résignation fataliste teintée de morgue espagnole de l’autre. Entre elles, cependant, un lien invisible mais solide formé par Mme de Chevreuse et la princesse de Conti qui l’une comme l’autre avaient un pied dans chaque camp : Marie en tant qu’amie de la Reine et filleule de sa belle-mère, Louise de Conti, amie de longue date de la Reine-mère et un des éléments les plus appréciés du cercle d’Anne d’Autriche. Unies par l’affection ainsi que par une communauté d’intérêts, toutes deux s’efforçaient de maintenir à un niveau supportable les relations entre une jeune reine orgueilleuse – souvent exaspérée d’ailleurs ! – et une vieille harpie jalouse acharnée à lui arracher son droit d’occuper le premier rang. Aussi ce petit monde attendait-il avec fièvre le moment où le Roi se retrouverait en face d’elles. Laquelle aurait de lui le meilleur accueil ?

Le 6 décembre, les Reines prenaient place dans un bateau magnifiquement décoré pour s’en aller au-devant de Louis XIII qui arrivait du Midi et, quand vint l’heure de la rencontre, on sut vite à quoi s’en tenir : le Roi embrassa sa mère avec chaleur, lui fit compliment sur sa bonne mine en se déclarant heureux qu’elle eût si bien profité des eaux de Fougues, et ce fut presque à regret qu’il s’en détacha pour se tourner vers sa femme ; celle-ci, les larmes aux yeux mais raidie dans son orgueil, s’efforçait de faire bonne contenance. Il l’embrassa, sans l’étreindre et du bout des lèvres.

— Je vous trouve en assez bon point, madame, et j’espère que vous vous y maintiendrez…

Toujours courtois, cependant, il salua les dames parmi lesquelles était Marie, plongée dans sa révérence :

— Madame la duchesse de Chevreuse ! Votre noble époux a fait preuve des plus grandes vertus durant cette campagne et je compte qu’à l’avenir vous aurez à cœur de lui faire honneur. Surtout de ne plus donner à parler de vous autrement que pour vanter vos mérites…

L’œil était dur, la voix cassante. Il n’attendait pas de réponse. Pourtant Marie osa :

— Que le Roi veuille croire que je n’aurai plus d’autre but que le bonheur de Sa Majesté la Reine ! Et, bien entendu, celui du Roi !

Il passa son chemin sans dire mot mais, en se relevant, Marie croisa le regard de l’évêque de Luçon qu’elle n’avait jamais eu encore l’occasion de rencontrer. Lorsque à seize ans elle était devenue fille d’honneur de la Reine-mère, il était lui-même secrétaire d’Etat pour l’Intérieur et la Guerre dans le gouvernement de la Régente sur lequel régnait Concini. La chute de ce dernier, suivie du mariage avec Luynes, avait jeté Jean-Armand du Plessis-Richelieu sur les chemins de la disgrâce via Blois.

A présent, il était là presque devant elle, droit et hautain dans ses moires violettes. C’était à cette époque un homme de trente-sept ans, maigre et de haute taille, dont l’allure avait quelque chose de souverain. Le visage aux traits fins s’allongeait encore d’une barbiche et la moustache aux pointes relevées corrigeait peu le pli dédaigneux de la bouche mince. Le regard brun était inoubliable quand les paupières ne le voilaient pas : l’intense reflet d’une intelligence exceptionnelle et d’une froide détermination. Pour l’instant, une légère flamme ironique s’y mêlait à ce qui ressemblait à de l’admiration mais dont Marie ne put déterminer si elle s’adressait à sa beauté ou à son audace. Agacée, elle détourna la tête pour répondre à Mme du Vernet qui la pressait de rejoindre le couple royal dans le bateau pour rentrer à l’Archevêché…

Elle oublia vite cependant M. de Richelieu au bénéfice des événements contradictoires du séjour à Lyon. En effet, le soir même de son arrivée le Roi, après avoir applaudi les Comédiens français, rejoignait sa femme dans la nuit mais deux jours plus tard, il conférait à Richelieu le chapeau de cardinal, ce qui représentait une victoire pour sa mère. Même s’il lui refusait encore de le reprendre au Conseil. En outre, le plaisir de retrouver un époux d’autant plus amoureux qu’il ne l’avait pas vue depuis longtemps effaça momentanément de l’esprit de Marie les problèmes du couple royal. Dans son esprit, le lit était un terrain où l’on ne pouvait que s’accorder. La Reine était jeune, belle et il était de bon augure que Louis XIII n’eût pas attendu davantage pour s’en souvenir…