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Il se mit à rire et ce rire était si insolent qu’elle en rougit de colère. Voyant flamber les yeux sombres qui le dévisageaient, il s’excusa :

— Veuillez me pardonner un oubli dont je n’ai pas eu conscience tant j’avais l’impression que nous nous connaissions.

— Je ne suis jamais allée en Angleterre et vous ne vivez sans doute pas à Paris.

— Non, mais j’aime y venir. C’est une ville qui me plaît… et ne me dites pas qu’elle est sale : Londres l’est davantage…

— Quoi qu’il en soit je peux jurer ne vous avoir jamais vu.

— Peut-être alors vous ai-je vue en rêve ! soupira-t-il. Puis s’arrêtant, il ôta son chapeau pour la saluer : je me nomme Henry Rich, de famille… honorable et ainsi que je vous l’ai dit je voyage pour mon plaisir.

— … dans ce que vous appelez les rues borgnes ? fit-elle avec une ironie qu’elle regretta aussitôt en comprenant qu’elle lui donnait des verges pour la fouetter.

— Elles ont tant de pittoresque ! soupira-t-il. Mais vous devez y être aussi sensible que moi puisque nous nous y sommes rencontrés ?

— Un simple message à délivrer, murmura-t-elle furieuse de sentir ses joues brûler. Nous avons ici un fournisseur…

— Nous ? Ce pluriel de majesté dénonce-t-il une jeune dame au service de la Reine ?

— Tout le monde en France est au service de la Reine ! riposta-t-elle sèchement. Mais je ne souhaite pas vous intriguer : j’appartiens à Mme la duchesse de Chevreuse, j’ai nom Elen du Latz et je suis née en Bretagne.

Le parcours s’achevait. La porte de Bourbon était devant eux. Elen se détacha de son sauveur et le salua courtoisement :

— Me voici arrivée. Souffrez que je vous quitte… en vous rendant mille grâces ?

— Aurai-je la joie de vous revoir ?

Sans se l’avouer, elle attendait ces mots-là surtout appuyés par un regard presque grave. Un frisson de bonheur la parcourut :

— Ce sera au plaisir de Dieu. Lorsque je ne loge pas ici, je suis à l’hôtel de Monseigneur le Duc, rue Saint-Thomas-du-Louvre… ou au château de Dampierre quand viennent les beaux jours, mais Madame la Duchesse ne quitte guère Sa Majesté la Reine et moi je ne quitte guère Madame la Duchesse.

— Alors ce sera facile ! lança-t-il joyeusement. Je quitte Paris après-demain…

— Pour l’Angleterre ?

— Non. Pour l’Espagne… mais je reviendrai bientôt !

Elle lui tendit spontanément une main qu’il effleura de ses lèvres puis recula de trois pas pour lui offrir, cette fois, un salut digne d’une princesse mais avant de s’éloigner, il se ravisa :

— Voulez-vous me faire une promesse ?

— Laquelle ?

— Ne plus jamais retourner dans cette abominable ruelle ! Sans moi du moins !

La réalité repoussa le rêve et serra le cœur d’Elen. Se pourrait-il qu’elle pût en venir à ne plus avoir besoin de l’onguent de la Sounion ? Et si, comme elle l’espérait follement maintenant, le bel Anglais la recherchait et donc la priait d’amour, oserait-elle lui offrir un corps défloré et devenu, peut-être, incapable de retrouver l’éblouissement de la nuit de Couzières ?… Il attendait une réponse et, brusquement, la jeune fille repoussa violemment cette barrière dressée par le passé. Elle sourit à Henry :

— Je vous le promets.

Elle s’engouffra sous la voûte obscure, se retourna un instant et sentit la joie l’inonder en constatant qu’il la suivait des yeux… puis se hâta de regagner la chambre qu’elle occupait auprès de celle de Mme Chevreuse. A cette heure, celle-ci devait être chez la Reine et ce fut avec soulagement qu’elle retira sa robe lacérée et maculée de sang et la roula en boule pour la cacher au fond d’un coffre en se promettant de la jeter un jour prochain. Grâce à Dieu Marie était généreuse et sa suivante ne manquait pas de vêtements. En outre, Elen put constater que si le grand décolleté lui serait défendu pendant quelques jours à cause des bleus de sa poitrine, ses écorchures n’étaient pas profondes et s’effaceraient vite. La beauté parfaite de ses seins n’en serait pas altérée et si même une ou deux marques légères subsistaient, celui qui les découvrirait n’aurait pas de questions à poser sur leur origine…

Un moment plus tard, rafraîchie et rhabillée, elle rejoignait Marie qui venait de rentrer pour changer elle aussi de toilette…

A cent lieues d’imaginer les états dame de sa suivante, la Duchesse n’avait en tête pour l’instant que le souci d’avancer auprès de la Reine les affaires du jeune Montmorency et ne manquait aucune occasion de le mettre en valeur. Ce qui à dire vrai n’était pas très difficile : le jeune homme, dont partout on vantait la valeur, possédait ce qu’il fallait pour séduire. En outre, comme la mode en venait, il protégeait un poète de valeur nommé Théophile de Viau. La vérité oblige à dire que Viau appartenait surtout à sa duchesse, la charmante Maria-Felicia Orsini, née princesse romaine, qui le cachait à Chantilly depuis que, poursuivi pour ses écrits, il avait dû s’enfuir afin d’éviter que l’on fît un feu de joie de sa personne en même temps que de ses ouvrages littéraires. Tombé amoureux de sa protectrice, il ne cessait de rimer pour celle qu’il appelait « Sylvie » des vers tendres et respectueux. Ce qui n’empêchait pas le mari de faire appel à lui pour son propre compte.

Ainsi Montmorency lui avait-il demandé d’écrire le rôle qu’il devait jouer dans l’un de ces ballets que l’on donnait au Louvre, sortes de bals costumés à thème avec entrées et prestations individuelles. Les plus grands y prenaient part à commencer par le Roi qui, sans être excellent danseur, adorait monter ces machineries imposantes où il tenait souvent le premier rôle.

Le lendemain de la rencontre entre Elen du Latz et Henry Rich, on donnait au Louvre un de ces ballets, Les Plaisirs de Junon, où Louis XIII incarnait Jupiter et Anne d’Autriche Junon. Or, Marie attendait beaucoup de cette fête dont elle espérait un rapprochement significatif entre la Reine et Montmorency. Pas jusqu’à en faire un amant peut-être car la vertu de l’Espagnole lui semblait solide. Tout du moins pas dans l’immédiat. Sachant les choses humaines sujettes à usure, la vertu des reines ne devait pas faire exception et l’insolente rêvait tout simplement de faire porter des cornes à Louis XIII. Ce serait pour elle la plus délectable des vengeances…

La Grande Salle, revêtue d’admirables tapisseries rehaussées d’or, était éclairée par douze cents flambeaux qui faisaient scintiller les murs et les soieries, les diamants, les parures somptueuses des assistants. La scène, adossée à l’antichambre, était étroite et mal commode d’accès mais couverte de tapis turcs dont les couleurs s’accordaient aux différents décors qui allaient s’y succéder. Au pied s’installaient les musiciens et chanteurs et dans la salle même il y avait les fauteuils surélevés destinés au couple royal, ceux plus bas des princes et des grands, enfin des banquettes où prendrait place la Cour… si elle occupait les lieux assez tôt pour ne pas être débordée par les gens de la ville. Louis XIII tenait en effet à ce que ces divertissements soient ouverts à son peuple et les invitations étaient toujours plus nombreuses que les places. D’autant qu’accouraient aussi ceux qui n’étaient pas invités et que les gardes se trouvaient vite débordés.

Le spectacle, en vérité, était pleinement réussi. Quand il voulait s’en donner la peine, le royal metteur en scène montrait infiniment de talent. Moins peut-être en tant qu’acteur mais son Jupiter de pourpre et d’or, s’il était un peu raide, ne manquait pas d’allure. La Reine, elle, rayonnait drapée d’un tissu vert et or de la nuance exacte de ses yeux, sous une coiffure de plumes, d’émeraudes et de diamants un peu extravagante mais qu’elle portait à ravir.