Выбрать главу

Mme de Chevreuse ne participait pas au spectacle : le Roi dont la rancune ne cédait pas, n’en avait pas voulu, avanie qu’elle ajoutait à ses anciens griefs mais qui ne semblait pas la troubler outre mesure. Elle s’en consolait en occupant une place proche du siège où trônait Marie de Médicis, littéralement couverte de perles et dont l’œil, pétrifiant à force d’être fixe, ne quittait pas sa belle-fille.

Marie adorait le théâtre mais si elle appréciait, en femme de goût, la magnificence des décors et des costumes, elle ne s’intéressait guère à ce qui se passait sur la scène parce qu’elle attendait quelqu’un. Autrement dit l’entrée de Montmorency. Enfin, le voilà ! Couvert de rubans et de pampres, il s’avança à pas précautionneux vers Junon-Anne d’Autriche et, le regard mourant, déclama avec âme :

Plût au Ciel qu’un jour seulement

Jupiter m’eût donné sa face

Et qu’il voulût pour un moment

Me laisser régner à sa place

Les beautés que je vois ici…

Jupiter, apparemment, en avait assez entendu et son œil à lui n’avait rien de mourant quand il le darda sur le malheureux candidat à la divinité. Il se plaça entre lui et une Junon devenue pourpre, lui montra la sortie du doigt et fit avancer un chœur de bacchantes dont les clameurs couvrirent les protestations du jeune homme condamné à jouer le reste de son rôle à l’autre bout de la scène. Marie, de son côté, s’amusait franchement de cet épisode imprévu, soutenue d’ailleurs par la Reine-mère enchantée de voir sa bru dans l’embarras et qui applaudit à tout rompre mais, le ballet terminé, elle prit son fils à part afin de lui jouer la comédie de l’indignation apitoyée où elle excellait.

— Il est évident que le jeune Montmorency a perdu la tête. Oser une déclaration d’amour publique ! Il faut dire à sa décharge qu’il y a été amené sans vraiment s’en rendre compte…

— Je crois au contraire qu’il savait fort bien ce qu’il faisait mais sa mère est votre amie et vous avez pour lui toutes les indulgences…

— N’en croyez rien ! Je suis seulement mieux placée que vous pour observer ce qui se passe chez votre épouse. Montmorency n’aurait jamais osé cela s’il n’y avait été encouragé par une coquetterie dont notre chère Anne ne sait pas encore apprécier les effets néfastes. Elle est encore si jeune !

Indignée, Marie s’en serait volontiers mêlée mais la froideur quasi polaire de ses relations avec Louis XIII lui faisait éviter de tomber sous sa coupe. Elle se dirigea vers le fond de la salle pour rejoindre Elen qui avait pris place derrière les filles d’honneur de Marie de Médicis. Celles-ci rejoignaient leur maîtresse et Marie put voir que sa suivante restait assise sur sa banquette, le regard fixé sur un groupe de quatre hommes au milieu desquels Mme de Chevreuse reconnut son mari.

— Eh, mais que regardez-vous là ? Vous connaissez ces gentilshommes avec lesquels le duc s’entretient ?

— Non, madame, mentit la jeune fille qui avait cependant parfaitement reconnu Henry Rich.

— Il est vrai qu’ils méritent attention ! Mille tonnerres ! Deux d’entre eux sont les plus beaux hommes que j’aie jamais vus… et le troisième n’est pas si mal ! Je veux savoir !

Et, maniant son éventail avec nonchalance, Marie s’approcha de l’embrasure de la fenêtre où se tenaient ceux qui l’intriguaient.

— Que faites-vous céans à comploter dans un coin ? fit-elle en allumant pleins feux son plus éblouissant sourire. Auquel son époux ne répondit pas. Il semblait contrarié d’une intrusion cependant naturelle quand on connaissait la curiosité de Marie.

— Nous ne complotons pas, madame. Encore qu’un minimum de discrétion s’impose mais puisque vous voilà ! Monseigneur, ajouta-t-il en se tournant vers le plus petit, le moins beau mais le plus important des trois personnages, souffrez que je présente à Votre Altesse Royale la duchesse de Chevreuse, mon épouse. Et vous, Marie, oubliez que vous avez devant vous le prince de Galles Charles Stuart qui voyage incognito et vous autorise à le saluer comme vous feriez de l’un des nôtres.

La révérence de Marie, juste un peu plus profonde qu’il n’aurait fallu, fut un chef-d’œuvre de grâce diplomatique. Elle en fut remerciée par un sourire, un baisemain plus chaleureux qu’on ne pouvait l’attendre d’un Anglais et un :

— Vous êtes un homme heureux, Chevreuse ! Je ne pense pas avoir jamais rencontré plus jolie dame ! Vous êtes… une merveille, Duchesse ! Mais je vous présente mes amis : voici George Villiers, comte de Buckingham, qui m’est presque frère tant nous sommes proches, et Henry Rich, vicomte Kensington, de la maison de Warwick, qui prétend veiller sur notre « folle jeunesse » bien qu’il ne soit pas tellement plus âgé que nous.

Ce fut celui-là qui retint l’attention de Marie dont la gorge sécha d’un seul coup. Elle éprouva en face de lui une émotion telle que jamais elle n’en avait ressenti devant un homme. Son compagnon était sans doute plus séduisant – Marie reconnaissait même n’avoir jamais vu pareille perfection chez un homme –, mais c’était l’autre qui l’attirait comme un irrésistible aimant et quand leurs yeux se rencontrèrent – on pourrait presque dire : se prirent –, il lui sembla que son être entier, sa vie étaient suspendus à ce regard. Elle sut alors que pour l’amour de cet homme elle se sentait prête aux pires folies. Il était l’incarnation de ce qu’elle cherchait sans le trouver depuis que sa gorge avait commencé à fleurir, l’Amant avec un grand A parce qu’en lui se concrétisait l’Amour. Lorsqu’il toucha sa main de ses lèvres elle ressentit un frisson si violent qu’elle s’évanouit.

Quand elle reprit connaissance, étendue sur une banquette, Elen, à genoux près d’elle, bassinait son front avec de l’eau fraîche tandis que Louise de Conti lui faisait respirer des sels. Aussitôt elle se redressa :

— Où sont-ils ? demanda-t-elle tandis que ses yeux cherchaient une haute silhouette vêtue de velours noir.

— Si vous cherchez mon frère et ses… amis, fit Louise avec bonne humeur, ils se sont éloignés en hâte, raccompagnés par Claude. Quelle idée de vous trouver mal en face d’un prince qui voyage incognito ! Une sacrée bonne manière d’attirer l’attention sur eux !… Il est vrai que ces discrets visiteurs n’ont vu dans votre malaise que le prélude à un heureux événement dont ils ont félicité votre époux… Le voilà tout fier à présent !

Marie ouvrit la bouche pour dire qu’il n’en était rien, du moins à sa connaissance, mais la referma prudemment. C’était la meilleure version possible pour la galerie. Comment expliquer sans embarras, sinon qu’elle venait de subir, à la lettre, ce coup de foudre dont elle n’avait jamais rien cru ?

Cependant, Chevreuse, fringant comme un coq, revenait vers les trois femmes en répondant aux compliments des quelques personnes témoins de l’incident :

— Eh bien, madame ? fit-il en lui prenant la main. Vous sentez-vous mieux ? J’aurais préféré d’autres circonstances pour l’annonce d’une si bonne nouvelle mais la nature vous joue de ces surprises ! Et le prince Charles m’a chargé de vous offrir ses vœux chaleureux ! C’est vraiment quelqu’un d’admirable pour un Anglais ! Sensible, aimable ! Le roi Jacques Ier, son père… et notre cousin, a toutes raisons d’être fier de lui…

— Mais enfin, coupa sa sœur, que faisait-il ici incognito, quand il eût été si facile de venir par la grande porte avec les honneurs qui lui sont dus ?

— Parce qu’il ne souhaitait pas que la Cour sût son passage et celui de ses amis. Ils ne sont chez nous que depuis deux jours, logent à l’auberge et partent demain pour l’Espagne.