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— Il y paraît !

— C’est à cause de M. de Mont…

— Chut ! Il y a des noms qu’il vaut mieux ne pas prononcer en ce moment. Ce que je sais est que le Duc doit être en route pour son château de Chantilly.

— Cela fera au moins plaisir à sa femme, mais un tel drame pour si peu de chose ! Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat !

La voix grondeuse de « Stefanille » réclamant, avec son furieux accent espagnol, du silence au nom de la Reine souffrant de la tête, mit fin à l’entretien. Le ballet des femmes de chambre reprit dans une atmosphère digne d’un couvent troublé parfois – oh, à peine ! – par un soupir. Etant donné les nouveaux ordres, il n’y eut pas de grandes entrées ce matin-là et quand la toilette fut achevée, on fut tout droit entendre la messe, après quoi Anne d’Autriche déjeuna seule, son époux étant parti tôt le matin chasser à Saint-Germain. Pas une seule fois elle n’avait adressé la parole à Marie – aux autres non plus d’ailleurs – et celle-ci, n’ayant plus de charge officielle, choisit d’écourter sa visite. Elle savait bien que l’humeur sombre de la Reine ne durerait que jusqu’au moment où elle remarquerait l’absence de son amie et en sentirait le manque. On allait sans doute prier beaucoup dans les heures à venir et Marie, peu portée sur la religion, n’avait pas la moindre envie d’y prendre part. Elle s’éclipsa discrètement suivie des yeux par l’escadron envieux des filles d’honneur qui osaient à peine respirer…

Pour essayer d’en apprendre davantage sur les événements de la nuit, elle descendit chez la Reine-mère mais n’y trouva que sa dame d’honneur, Mme de Guercheville : Sa Majesté était allée visiter le chantier du palais qu’elle se faisait construire sur la rive gauche de la Seine en compagnie de son chancelier, autrement dit le tout nouveau cardinal de Richelieu. La présence de ce personnage en qui elle devinait une force contraire n’enchantait pas Marie, mais Mme de Guercheville ayant ajouté que Sa Majesté était d’une humeur charmante, elle décida d’aller la rejoindre, rentra à l’hôtel de Chevreuse par les jardins, commanda son carrosse, laissa Elen assise au coin du feu rêver sur une broderie qui n’avait guère avancé depuis la veille, demanda Malleville, ne le trouva pas – il s’absentait souvent ces temps-ci et elle se promit de lui en toucher un mot dès qu’elle pourrait mettre la main sur lui ! –, et finalement partit pour s’en aller visiter ce qui promettait d’être la plus belle résidence de Paris[11].

Il y avait déjà un moment qu’elle était en construction.

Lorsqu’elle s’était retrouvée veuve en 1610, Marie de Médicis s’était préoccupée de se procurer un logement à elle, plus commode que le vieux Louvre dont elle s’était arrangée tant bien que mal, et surtout plus champêtre et mieux aéré. Son choix s’était porté sur la propriété du duc de Luxembourg rue du Vaux-Girard, qu’elle convainquit assez aisément le Duc de lui vendre. Cet hôtel était pourvu d’un joli jardin mais celui-ci, comme d’ailleurs le bâtiment, lui paraissant insuffisant, elle se mit en devoir d’agrandir son pré carré en achetant toutes les terres qu’elle put trouver autour, après quoi elle envoya un courrier à la grande-duchesse de Toscane, sa tante, pour la prier de lui faire relever les plans du cher palais Pitti, à Florence, où elle avait passé son enfance. Ceux-ci furent remis à l’architecte en vogue du moment, le grand Salomon de Brosse, petit-neveu d’Androuet du Cerceau que la Reine-mère avait déjà employé pour son château de Montceaux en Brie et qui achevait le château de Coulommiers tout en exécutant les plans du parlement de Bretagne à Rennes.

Salomon de Brosse sut adapter le modèle proposé aux traditions purement françaises et, le 2 avril 1615, Marie de Médicis posait glorieusement la première pierre accompagnée de trois médailles d’or et de trois médailles d’argent tandis que pour mieux surveiller les travaux l’architecte s’installait avec son fils Paul dans l’ancien hôtel ducal, déjà rebaptisé Petit-Luxembourg[12].

Malheureusement la construction eut à pâtir des démêlés entre la Reine-mère et Louis XIII et, durant leurs « guerres », les travaux furent complètement arrêtés trois ans. A présent la propriétaire entendait les mener tambour battant afin que son beau palais fût le symbole de sa « gloire » retrouvée et d’une puissance qu’elle espérait reconquérir entièrement sur son fils.

Mme de Chevreuse n’y était pas venue depuis que, jeune fille, elle accompagnait la Reine-mère quand elle venait au Petit-Luxembourg avec ses enfants pour leur montrer les animaux de la ferme qu’elle y avait installés – poules, lapins, canards, chiens, ânes, etc. – et leur permettre de courir dans le jardin. Lorsque son carrosse arriva en haut de la rue de Tournon, elle fut impressionnée par l’importance et l’élégance du bâtiment : le grand corps de logis était achevé et couvert mais toutes les fenêtres n’étaient pas posées. Dans la cour, deux hommes discutaient avec une animation frisant la dispute. Elle reconnut Florent d’Argouges, le trésorier de la Reine-mère, et Salomon de Brosse. Un peu à l’écart, sur les marches du perron, M. de Richelieu les observait, un demi-sourire à ses lèvres minces, mais ce fut lui qui vint accueillir Marie à sa descente de voiture.

— Madame la duchesse de Chevreuse ? Quelle aimable surprise ! Sa Majesté sera enchantée… autant que je le suis moi-même !

— Votre Eminence est bien bonne ! murmura Marie qui dut faire un rapide effort pour se souvenir que le titulaire de « l’évêché-crotté » de Luçon était à présent un prince de l’Eglise et que c’était à elle de baiser l’anneau orné d’un rubis qu’il portait sur son gant. Je ne pensais pas lui faire un tel plaisir !

— On peut être prêtre et sensible à la présence de la plus belle dame de la Cour. La Reine-mère est dans la Grande Galerie avec M. Rubens… mais laissez-moi vous guider ! Il y a encore des passages difficiles.

Le ton était aimable, la courtoisie entière ; pourtant Marie ne put s’empêcher de penser qu’une curiosité se cachait derrière et que le Cardinal espérait certainement saisir quelques bribes de la conversation entre deux femmes dont l’une, surtout, avait le verbe haut. Néanmoins ce que Marie voulait savoir ne relevait pas du secret d’Etat.

Guidée par lui, elle monta à l’étage où s’affairaient plusieurs corps de métier, traversa une imposante pièce carrée enrichie d’une magnifique cheminée de marbre blanc et d’or destinée à devenir la chambre de la maîtresse des lieux et déboucha dans la longue galerie de l’Ouest dont une pièce était encore inachevée. La Reine-mère s’y trouvait en compagnie du peintre flamand dont Richelieu avait mentionné le nom d’une façon naturelle parce que sa célébrité était acquise. Proche de la cinquantaine, c’était un homme de belle mine et de taille imposante avec un visage plein et coloré, vêtu avec une richesse en rapport avec son renom. Il était occupé à présenter à Marie de Médicis, assise dans un fauteuil d’ébène qui avait peine à contenir sa vaste personne augmentée du vertugadin et des amples jupes, trois tableaux plus hauts que larges, posés sur des toiles à même le sol du précieux parquet. La Reine-mère, son menton grassouillet appuyé sur sa main, les examinait avec attention.

Il s’agissait de peintures appartenant à une série de vingt-quatre destinées à décorer cette même galerie et dont le sujet unique était la vie de Marie de Médicis. Somptueusement vêtue ou un rien dénudée – une épaule et un sein, pas plus ! –, elle y figurait au milieu d’allégories dodues voire débordantes et d’angelots copieusement nourris, mais les couleurs d’une extraordinaire fraîcheur en étaient admirables.

— Celui-ci, disait l’artiste avec un solide accent flamand, représente…