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— Mon couronnement ! C’est aisé à voir. Et celui-là ?

— Régence et gouvernement de la Reine.

— A merveille… mais cet autre ?

— Comme Votre Majesté peut le voir, il s’agit de l’apothéose du roi Henri IV, son auguste époux…

Elle fronça le nez et avança sa lèvre inférieure :

— Vous pourriez peut-être le réunir au précédent ? Après tout, et puisque j’ai commandé une série pour le Roi destinée à la galerie de l’Est, cela risque de faire double emploi… Quand pensez-vous avoir terminé ?

Rubens s’apprêtait à défendre son point de vue mais dut y renoncer pour faire face à la nouvelle exigence qu’il sentait poindre.

— Madame, madame ! Votre Majesté doit songer que le travail est énorme et que dans mon atelier d’Anvers où j’ai cependant trente assistants et élèves…

— Ventre Saint-Gris, comme disait feu le roi Henri. Pourquoi donc faire un tel chemin ? Venez travailler ici avec le monde qu’il vous faudra ! Ce n’est pas la place qui manque ! Vos ouvrages sont magnifiques et me plaisent mais comme vous pouvez le constater les travaux de ce palais avancent vite et je veux pouvoir m’installer dans une demeure achevée à tous égards. Je vous donne… six mois !

— Six mois ? Miséricorde !

— Ne l’implorez pas en vain, monsieur Rubens ! coupa le cardinal de Richelieu. Songez que cette œuvre magnifique portera votre réputation au pinacle… et que vous avez tout intérêt à satisfaire Sa Majesté ! Vous devriez suivre son conseil et travailler ici. Puis se tournant vers Marie de Médicis : J’ai l’immense plaisir d’amener Mme la duchesse de Chevreuse à Votre Majesté !

La Reine-mère s’extirpa de son fauteuil et ouvrit les bras :

— Ah, Maria !… Comme c’est gentil… mais aussi imprudent ! En fait, je suis très fâchée !

— Je cherche en vain en quoi j’ai eu le malheur de déplaire à la Reine ? marmotta celle-ci du fond de sa révérence. Je venais seulement m’inquiéter de sa santé pour l’avoir trouvée pâle hier au soir !

— Si j’étais pâle, c’est de colère ! Qu’est-ce qu’il te prend de pousser ce jeune fat de Montmorency dans les affections de ma bru ?

— Moi ?… Je ne pousse personne, madame ! Si Montmorency est amoureux de Madame Anne je n’y suis pour rien.

— Cela vaudrait mieux pour toi. Tu n’es déjà pas si bien avec le Roi mon fils et tu devrais veiller davantage sur elle. Jeune et inconséquente comme elle est, elle a besoin de conseils avisés… surtout si elle éprouvait quelque sentiment pour le Duc… Il faudrait qu’elle apprenne à se faire violence… à dissimuler faute de pouvoir éteindre la flamme de ce fol. D’autant que les hommes séduisants sont de plus en plus nombreux à la Cour, tu ne trouves pas ?

— Mon Dieu… Non ! émit la jeune femme, fermement décidée à jouer les idiotes si besoin était.

— Vraiment ? Alors apprends-moi donc qui sont ces splendides gentilshommes avec lesquels toi et ton époux vous entreteniez hier au Louvre après le ballet ? Je ne crois pas en avoir jamais vu d’aussi beaux ! Tu devrais me les présenter…

— Eux ?… Ah !… Des voyageurs anglais que mon seigneur Claude a déjà rencontrés à Londres et qui, passant par Paris, sont venus applaudir le spectacle…

— A merveille… mais ils ont certainement un nom ?

— J’ai du mal à me rappeler ces noms anglais. Il me semble que l’un s’appelait…

— Mylord Buckingham et Mylord Kensington, intervint Richelieu. Quant au troisième, je ne pense pas me tromper en avançant qu’il s’agissait du prince de Galles…

— Puisque Votre Eminence a l’air de tout savoir, riposta Marie, furieuse, elle devrait savoir qu’ils sont venus incognito.

— Incognito ! s’écria la Reine-mère déjà en selle sur ses grands chevaux. Et pourquoi incognito ?

— Parce qu’ils ne font que traverser la France en route pour Madrid. Le Prince a eu l’idée tellement romantique de voir de près l’Infante qu’il espère l’épouser. L’ambassadeur espagnol à Londres a dû lui en faire un portrait idyllique…

— Ridicule ! hurla Marie de Médicis hors d’elle. Feu mon époux souhaitait l’alliance anglaise pour notre fille Henriette-Marie ! A quoi songe le roi Jacques ?

— D’après les rapports que j’en ai, je le crois sincèrement désolé, malheureusement il vieillit. Il est entièrement sous la coupe de Mylord Buckingham, son favori affiché, et du prince Charles qui en a fait son meilleur ami.

— Où allons-nous si les souverains se laissent mener par de vulgaires favoris, déclara dignement la Reine-mère, ce qui fit sourire Marie : la chère femme avait décidément effacé de son souvenir les Concini, mari et femme.

— Ce sont des choses qui arrivent, fit Richelieu philosophe, mais peut-être serait-il bon, pendant leur absence, de contrebalancer l’influence de Gondemar, l’ambassadeur d’Espagne, en envoyant à Londres une sorte d’ambassadeur extraordinaire doublé d’un… parent du Roi ? Dans ce rôle Monseigneur le duc de Chevreuse pourrait réussir à merveille. Le roi Jacques a de l’amitié pour lui…

— Eh bien, proposez cela à mon fils !

Richelieu baissa les paupières et frotta ses longues mains l’une contre l’autre d’un air gêné :

— Sa Majesté ne m’a pas encore rappelé au Conseil mais l’avis d’une mère tendrement aimée…

Marie décida qu’il était temps d’intervenir :

— Si le prince Charles est amoureux de l’Infante et s’il gagne le cœur de celle-ci, toutes vos manigances seront inutiles !

— Fais attention à ce que tu dis, Maria ! Une reine ne manigance pas !

— Précautions serait plus juste, émit doucement le Cardinal. Le Prince et son ami sont deux jeunes fous et l’on n’aime guère les fous à Madrid. Moins encore si le duc d’Olivares, le tout-puissant ministre du roi Philippe IV, recevait un écho discret sur la présence en Espagne de ces deux trublions.

— Ces trois ! corrigea Marie. Son Eminence oublie…

— Le vicomte Kensington ? Pas le moins du monde, mais ce huguenot convaincu est hostile au mariage espagnol et je serais fort étonné que le prince le tolère jusqu’en Castille !

Marie de Médicis retrouva aussitôt sa bonne humeur :

— Le Roi, décidément, n’a pas de meilleur serviteur que vous, mon ami ! Il faudra qu’un jour il en prenne conscience ! Je lui parlerai de votre idée au sujet de Chevreuse…

Ainsi approuvé, Richelieu prit une mine modeste qui ne trompa pas Marie. Elle venait de mesurer à quel point un homme aussi renseigné pouvait devenir un redoutable adversaire… à moins que, devenu un ami, elle ne réussît à s’en faire un instrument. Qu’il la trouvât belle ne faisait aucun doute. Elle était trop habituée aux regards des hommes pour se tromper sur leur expression. Qu’il soit prêt à la servir était plus problématique. Elle sentait en lui une force redoutable en dépit de l’humilité qu’il affectait devant sa bienfaitrice, la Reine-mère. Il y avait là-dessous un immense orgueil et un appétit de puissance qui ne se contenteraient pas de demi-mesures. Comme par exemple remettre le pouvoir à la Florentine en ne conservant que les apparences. Et s’il y parvenait resterait à savoir quel camp il se choisirait. A tout hasard et puisque cela ne tirait pas à conséquence, elle opta pour le sourire. Quant à son idée d’expédier Claude en Angleterre, elle n’était pas si bête au bout du compte ! Marie, pour sa part ne pouvait qu’approuver un resserrement des liens avec le pays de ce Kensington dont elle ne pouvait s’empêcher de rêver un peu trop souvent.

— Je suis certaine, dit-elle en caressant Richelieu du regard, que mon seigneur époux serait enchanté de se mettre au service d’une aussi noble cause qu’un mariage entre le prince de Galles et Madame Henriette-Marie.