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— Donnez-moi tout de même votre adresse…

— Dans l’immédiat l’auberge La Vigne en Fleur des Nonnains-d’Yerres près l’hôtel de Sens. J’espère par la suite trouver un logis aux alentours de l’hôtel de Tréville. Et maintenant si vous le permettez je vous tire ma révérence. Si nous arrivons trop tard, Pons et moi, nous risquons de ne plus trouver à souper. Alors je vous baise les mains, mademoiselle du Latz. Veillez sur votre maîtresse. Quoi que vous pensiez, je l’aime bien… mais je crois sincèrement que je ne lui suis plus utile. Et je m’ennuyais vraiment !

L’inquiétude de Gabriel concernant le repas du soir était sans fondement. Enchantée de voir son amant venir s’installer chez elle, la belle Eglantine eût tué le veau gras s’il l’avait fallu. Ce qui n’était pas le cas. Elle lui offrit le meilleur de sa cuisine et de sa cave sans compter sa chambre où il eut droit à un festival de mignardises et autres échauffements bien propres à lui faire oublier sa triste condition de sans domicile fixe. Elle s’était toujours méfiée de la « Chevreuse » qu’elle jugeait beaucoup trop séduisante pour la paix de son cœur aimant. Ce soir qui amenait son « chevalier » sous son toit était le plus beau de sa vie et, farouchement décidée à le garder, elle lui offrit dès le lendemain une chambre personnelle pour lui et son valet. Et si celui-ci consentait à donner de temps en temps un coup de main, l’arrangement financier entre eux pourrait être aussi satisfaisant pour la bourse de Malleville que pour sa dignité. Pons, lui, se déclara enchanté : il avait eu un bon souper, même si cette première nuit, il avait dû la passer couché sur une couverture devant la pierre de l’âtre, et son séjour à l’hôtel de Chevreuse lui avait donné le goût du confort.

Les choses ainsi réglées, Gabriel s’en alla rue du Cherche-Midi se mettre à la disposition de son capitaine.

Quelques jours plus tard, le duc Claude partait pour Londres rendre une visite amicale à son cousin le roi Jacques dont la santé laissait à désirer. Livrée à elle-même, Marie ne tarda pas à se morfondre entre son hôtel en travaux et le Louvre où la Reine n’avait toujours pas le droit de recevoir des hommes. Anne d’Autriche finit par tomber malade ce qui n’arrangea ni son humeur ni l’atmosphère de son appartement où l’habituel élément distrayant – Mmes de Chevreuse, de Conti et du Vernet ! – perdait son temps à essayer d’améliorer l’ambiance. Le Roi, lui, était quasiment invisible.

Laissant les affaires de l’Etat à des ministres plus ou moins incapables, voire à sa mère dont les incessantes cajoleries cachaient mal l’intérêt et l’avidité, Louis XIII, cherchant en vain l’homme d’Etat – qu’il n’était pas mais dont il savait que la France avait besoin –, se réfugiait de plus en plus fréquemment dans ses forêts où il chassait dès que c’était possible. Les pas de son cheval moreau favori l’entraînaient le plus souvent vers Versailles, un maigre village à l’écart des grandes routes, une poignée de chaumières au bord du chemin qui menait à Montfort-l’Amaury, avec des étangs, quelques vignes et pommiers mais autour des bois immenses, drus, giboyeux. Et le Roi se plaisait de plus en plus dans cet endroit où il se sentait comme nulle part ailleurs. Non loin de là deux hostelleries, A la Corne de Cerf et A l’Image de Notre-Dame de Versailles, pouvaient recevoir des voyageurs à condition de ne pas être difficiles. Et plus Louis allait là-bas, plus il sentait le besoin d’y revenir. Alors sur la butte où s’égrenaient les quelques habitations, il décida de se faire construire une maison à lui, trop petite pour contenir plus de monde que son entourage immédiat et ses domestiques. Pas un château : une gentilhommière plutôt, vouée à la chasse et à la vie entre hommes dans laquelle rien ne devait être prévu pour sa femme et sa mère – seulement les indispensables servantes. Le fulgurant Bassompierre parlera avec un peu de dédain du « chétif château de Versailles » mais Louis y sera chez lui et interdira à quiconque de venir l’y troubler à moins d’une invitation formelle ou dans un cas grave. Ce qui ne se produira guère qu’une seule fois…

Enfin le duc de Chevreuse revint d’Angleterre avec des nouvelles des plus satisfaisantes : Jacques Ier l’avait confidentiellement chargé de tâter le terrain du Louvre en vue de la reprise du vieux projet de mariage entre son fils, le prince de Galles, et la dernière fille d’Henri IV, après quoi des ambassadeurs seraient accrédités pour entreprendre les pourparlers.

En effet l’équipée espagnole du prince Charles et du cher Buckingham – « Steenie » dans l’intimité ! – se soldait par un échec retentissant en dépit de l’accueil courtois du roi Philippe IV et de la reine Elisabeth de France[13]. Des réceptions avaient été données mais la sévère Espagne plus catholique que le Pape et son étiquette encore plus rigide voyaient d’un mauvais œil le comportement extravagant de ces Anglais protestants qu’elle considérait plus ou moins comme des suppôts du Diable. Le comble fut atteint dans une aventure décidée par Buckingham pour que l’infante Maria, sœur du Roi, pût apprécier par elle-même la galanterie et le charme de son prétendant qu’elle n’avait pas eu l’occasion de voir.

Ayant appris que l’Infante avait pour habitude de se promener le matin dans le jardin d’un agréable pavillon d’été, la Casa de Campo, l’industrieux « Steenie » tira son maître de son lit aux aurores et l’emmena jusqu’à la Casa où il réussit à l’introduire dans la partie la plus extérieure des parterres. Le verger où l’Infante venait respirer la fraîcheur de l’air matinal en était séparé par un mur de clôture et une porte fermée à double verrou. Il en aurait fallu bien davantage pour décourager l’envahisseur. Buckingham fit la courte échelle à son maître et Charles se retrouva à califourchon sur le mur d’où il put apercevoir, en effet, la charmante Maria – elle était aussi blonde que ravissante ! – errant sous les arbres escortée de sa gouvernante Doña Margarita de Tavara et d’un vieux gentilhomme chargé de veiller à ce qu’aucun incident ne vînt troubler la promenade. Ce que voyant, Charles se laissa tomber de l’autre côté, se reçut sans mal et se précipita vers l’Infante avec l’intention évidente de la prendre dans ses bras. L’effet fut immédiat : Doña Maria poussa un grand cri, ramassa ses jupes et prit la fuite en courant. Charles voulut la suivre mais il trouva devant lui le vieux gentilhomme qui, l’ayant reconnu, tomba à genoux en le suppliant de s’en tenir là et de repartir d’où il venait. Si l’on découvrait qu’il avait laissé un homme approcher la princesse, sa tête tomberait…

Il fallut bien se résigner, mais repartir par le même chemin paraissait impossible puisqu’il n’y avait plus la haute stature de Buckingham pour l’aider à grimper : Charles obtint donc de ressortir par cette porte même qu’il n’avait pu franchir et retrouva son ami de l’autre côté. Non seulement c’était raté mais il dut répondre de ses agissements devant le roi Philippe et aussi devant son redoutable ministre, Gaspar de Guzman, duc d’Olivares, qui n’avait pas pour habitude de donner dans la dentelle. Ce que le Prince entendit ce fut un ultimatum : s’il voulait l’épouser il serait d’abord obligé de se convertir au catholicisme et de jurer que les enfants à venir seraient tous reçus dans le sein de l’Eglise. L’impossible pour un prince anglais qui, s’il passait outre, mettrait en danger le trône de son père !…

Il ne restait qu’à repartir, bredouille évidemment. Cependant lors de la dernière audience qui lui fut accordée, le prince Charles entendit la reine Elisabeth lui murmurer :

— Que n’épousez-vous plutôt ma petite sœur Henriette ?

— N’est-elle pas catholique elle aussi ?