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Tous cependant n’adhéraient pas au complot : les Schomberg, Bellegarde, Guise et surtout pas Claude de Chevreuse qui se tenait éloigné de sa femme et se trouvait ainsi dans l’ignorance de ses activités alors qu’elle était l’âme de la conjuration et faisait ce qu’elle voulait dans l’hôtel parisien qu’on lui abandonnait, lui-même préférant habiter sa chambre du Louvre. Jamais elle ne s’était sentie aussi heureuse, aussi puissante. Le Parti de l’Aversion était en train de se transformer en un dangereux complot destiné à mettre Gaston sur le trône, que son frère soit vivant ou mort. Le Prince, personnellement, était d’accord et se posait en chef, poussé, naturellement, par d’Ornano que Mme de Chevreuse ne cessait d’aiguillonner avec un plaisir pervers, sachant bien qu’il la désirait mais ne tenterait rien pour obtenir ses faveurs. Un dévot de cette sorte était même plutôt amusant et elle en riait souvent dans le cercle étroit qu’elle maintenait autour de la Reine.

Celle-ci était entièrement acquise au complot, sans doute parce qu’elle n’imaginait pas jusqu’où il était capable d’aller. Pour elle il visait seulement à l’élimination du Cardinal, l’ennemi déclaré de l’Espagne et du Pape, donc une sorte de suppôt de Satan. Et que son époux approuvât les agissements d’un tel homme la révulsait. Tout doucement, influencée par Marie, qui lui en donnait des nouvelles, Anne se remettait à penser à Buckingham dont la maladresse, avec le temps, perdait son côté brutal pour ne laisser subsister que la passion. Et quand, avant de s’endormir, elle reposait à son chevet Amadis de Gaule, son livre préféré, Anne d’Autriche se plaisait à en parer le héros des traits du bel Anglais.

Fort de tels appuis, étayé en sous-main par les Espagnols, les Anglais et le duc de Savoie, le Parti de l’Aversion osa demander ouvertement le renvoi du cardinal de Richelieu, cause de tout le mal et qui menait la France à la damnation… En même temps d’Ornano et les conjurés mettaient au point les derniers détails de leur plan.

Sachant que le Roi n’obtempérerait pas sans réagir à la demande de renvoi de son ministre, il fut convenu au cours d’une réunion à l’hôtel de Vendôme que l’on profiterait de la prochaine absence de Louis XIII qui devait se rendre à Fontainebleau comme à chaque printemps, pour soulever le peuple de Paris et s’emparer de la Bastille ainsi que du château de Vincennes afin de s’assurer un moyen de pression efficace. Si, comme on pouvait le concevoir, le Roi accourait avec des forces armées, on mettrait Monsieur – le précieux futur occupant du trône – à l’abri à Dieppe ou au Havre qu’offrait le duc de Longueville acquis au prince. Le Grand Prieur et d’Ornano se chargeaient de l’insurrection parisienne tandis que César rentrerait dans son gouvernement de Bretagne qu’il se faisait fort de dresser contre le pouvoir royal. Son épouse – tenue dans l’ignorance absolue ! – et ses trois enfants étaient en sécurité dans son château d’Anet, César ayant préféré ne pas les amener avec lui afin de ne pas attirer l’attention des Guise, parents de la Duchesse, qui n’étaient pas du complot.

— N’importe comment, conclut César, nous devons regarder la vérité en face. Puisque nous sommes, je le crois, assez puissants pour cela, chasser Richelieu est ce que nous réclamons hautement mais en fait, nous songeons tous, dans le secret de nos âmes, à déposer le Roi. Nous serons ainsi débarrassés des deux !

— Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, mon frère ! coupa Alexandre, le Grand Prieur. Nous le détestons parce qu’il oublie trop souvent que nous sommes du même sang et ne cesse de nous faire toutes sortes d’injustices mais tous ici ne sont peut-être pas d’accord ?

— Allons donc ! Je pense moi que la couronne siérait à merveille à Monsieur. Et je défie quiconque de me dire le contraire. Quant à Louis, je m’en chargerai. Il y a grâce à Dieu dans ma Bretagne de forts châteaux où il aura largement le loisir de soigner ses éternelles maladies. A « ma » façon !

— César a raison, approuva le comte de Soissons. Cependant il ne faut rien hâter. Débarrassons-nous du Cardinal, nous verrons ensuite. Privé de son mauvais génie nous n’aurons guère de peine à nous assurer de l’esprit du Roi. Il suffira de lui trouver un nouveau favori puisqu’il songe déjà à renvoyer cet âne de Barradat qui se croit tout permis.

— C’est à voir, dit d’Ornano. En attendant et sur mon avis Monsieur a l’intention de réclamer à nouveau son entrée au Conseil, plus 500 000 livres de rentes en apanage. De son côté, Mme de Chevreuse annoncera dès demain, chez la Reine, que le Parti de l’Aversion va demander ma propre admission au Conseil. Cela devrait faire bouger les choses… et de la sorte nous serons au fait des décisions du gouvernement !

— Quelle femme étonnante ! s’écria Longueville. Elle a toutes les grâces de la femme avec le cerveau d’un homme. Comment a-t-elle pu épouser ce benêt de Chevreuse qui ne sait que galoper à la queue du cheval du Roi ! Par elle nous tenons la Reine !

— Sans doute, reprit César, elle nous est d’autant plus précieuse. Quant à son époux, un bon duel… ou une mauvaise rencontre pourraient l’en délivrer ! Chevreuse n’ayant pas de fils, sa veuve serait un morceau de choix pour un épouseur ! Elle est aussi riche que belle !

— Vous êtes marié, César, ne l’oubliez pas ! intervint son frère.

— Je ne songe pas à moi. Nous pourrions en faire la récompense d’un de nos vaillants compagnons quand nous aurons remis de l’ordre dans le royaume.

— C’est une Rohan ! coupa d’Ornano agacé. On ne peut pas la donner à n’importe qui ! En admettant qu’elle vous le permette ! Et elle n’est pas de celles qui se laissent manœuvrer aisément… Si par hasard elle devenait veuve, je suis certain qu’elle saurait admirablement se choisir un époux.

Un époux qui pourrait bien être lui-même puisqu’il était veuf. Un tel mariage mettrait fin à ses tourments : il pourrait sans remords aucun posséder enfin cette Marie qui hantait ses nuits, puisque le sacrement serait intervenu…

La veille des Rameaux, Louis XIII partit pour Fontainebleau avec ses gentilshommes, Monsieur son frère et le Cardinal qui, lui, se rendait au château de Fleury-en-Bière en attendant que soit achevée la demeure qu’il se faisait construire en ville. La distance étant courte, cela ne l’empêcherait pas de se rendre régulièrement au Conseil où Gaston souhaitait tellement siéger. Les reines suivirent le surlendemain mais nettement séparées afin d’éviter les frictions toujours possibles. Marie de Médicis savait fort bien que sa belle-fille était le centre – inactif ! – de L’Aversion dont Mme de Chevreuse ne se cachait pas d’être le porte-drapeau. Celle-ci partit donc avec Anne d’Autriche mais, n’ayant plus de poste à la Cour, s’en alla loger dans l’agréable maison que l’on avait achetée à Fontainebleau près de l’hôtel d’Estrées. A son grand déplaisir, elle y trouva son époux déjà installé… et de très méchante humeur : alléguant le manque de place occasionné par des travaux prochains, le Roi lui avait fait comprendre qu’il serait mieux à tous égards dans son propre logis.

C’était la première fois depuis trois mois qu’ils allaient habiter sous le même toit et si Marie, déjà habituée à une large indépendance, s’efforçait de montrer bon visage, il n’en alla pas de même de Chevreuse encore endolori par le semblant d’exclusion dont il était l’objet :

— Il ne fait aucun doute pour moi que je vous dois cet éloignement, lui reprocha-t-il avec amertume. Vous allez faire tant et si bien que vous obtiendrez le sort dont je vous ai sauvée en vous épousant : on vous chassera… et moi avec vous naturellement !

Il se tenait à l’embrasure d’une fenêtre d’où l’on pouvait apercevoir la grille principale du château au bout de la rue Royale. Marie pensa qu’il ressemblait à Moïse contemplant la Terre promise où il n’avait pas le droit de pénétrer et cela l’agaça :