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— On ne vous a pas parlé de moi mais de travaux ! Pourquoi diable le Roi se donnerait-il la peine de vous mentir ?

— Parce qu’il a de l’amitié pour moi, je crois, et ce en dépit de vos manigances ! Alors il me ménage. Mais j’aimerais savoir quelle mouche vous a piquée d’aller vous opposer au mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier ? Vous feriez mieux de vous occuper de vos enfants qui ne vous voient guère ! Ils finiront par ne plus vous reconnaître…

— Ils n’ont pas besoin de moi pour manger leur bouillie ou téter leur nourrice tandis que la Reine, elle, a besoin de moi… et aussi le Roi bien qu’il soit de trop mauvaise foi pour le reconnaître. Mariez Monsieur qui a déjà dû semer quelques petits bâtards ici ou là, avec cette ronde génisse de Montpensier, et neuf mois après vous aurez un beau petit monstre, braillant et bavant mais pourvu de génitoires qui mettront le royaume en transe et la Reine au supplice puisqu’elle n’a toujours pas d’enfant.

— Elle n’a qu’à en avoir… ou laisser la place à une autre ! La répudiation existe…

— Si c’est tout ce que la situation vous inspire, je ne vous fais pas mon compliment ! Nous aurions la guerre…

— Ce ne serait pas la première fois et les hommes comme moi sont là pour ça ! Quant à vous, lorsque l’on vient me dire que l’on vous voit sans cesse dans les entours de Monsieur et surtout de cette brute sauvage de d’Ornano j’ai envie de vous renvoyer à votre père et demander au Pape de me démarier !

— Que ne le faites-vous alors ? fit Marie d’une voix soudain mal assurée.

Claude se décida à quitter sa fenêtre et fit face à sa femme qu’il contempla un instant avec un mélange de colère et de lassitude. En même temps il levait une main et elle crut qu’il allait la frapper, mais il se contenta de lui prendre le menton pour scruter les profondeurs de ses yeux. Cependant et avec un soupir il haussait les épaules en laissant retomber sa main :

— Je me demande de plus en plus souvent ce qui me retient…

— Et c’est ?

— Que je suis un imbécile ainsi que le pensent vos brillants amis… ou peut-être que je vous aime encore ? Mais rassurez-vous ! C’est une maladie dont je finirai bien par guérir. Au fait, il faudra peut-être que je vous tue.

La porte claqua derrière lui avec tant de violence que Marie sursauta et qu’une statuette qui se trouvait sur le manteau de la cheminée tomba à terre et s’y brisa aux pieds de la jeune femme. C’était une précieuse porcelaine chinoise achetée à un marchand vénitien, une image de femme qui évoquait un peu la Sainte Vierge. Marie s’agenouilla pour en ramasser les morceaux avec au cœur une bizarre impression…

Cette nuit-là, au château, le Roi convoqua en son privé le cardinal de Richelieu et le maréchal de Schomberg pour s’entretenir longuement avec eux. C’étaient les deux membres du Conseil qui jouissaient de son entière confiance et rien ne transpira des propos échangés. Le lendemain et les jours suivants, le Roi chassa comme d’habitude et la Cour mena son train coutumier sans que rien laissât supposer que quelque chose se préparait. C’était la semaine sainte et le temps de Pâques. Aussi la vie mondaine fit-elle aux dévotions une place prépondérante, apaisant momentanément les esprits, éloignant les sujets de fâcherie. Mais peu de temps après la bombe éclatait…

Au soir du 3 mai, Anne d’Autriche, rentrant de sa promenade quotidienne, goûtait quelques instants de repos en compagnie de ses dames avant de se changer pour souper avec le Roi. On mangeait des fruits et des confitures en buvant un doigt de vin quand Mme du Fargis qui avait passé l’après-midi chez elle pour mettre à jour son courrier en retard accourut, visiblement bouleversée. Dès l’entrée son regard effrayé rencontra brièvement celui de Mme de Chevreuse avant de se poser sur la Reine :

— Le Roi vient de faire arrêter le maréchal d’Ornano ! lâcha-t-elle du fond de sa révérence…

Anne d’Autriche, Marie et Louise de Conti se levèrent d’un même mouvement au milieu des exclamations de stupeur des autres dames. Seule Doña Estefania ne leva pas les yeux de son livre d’heures.

— Etes-vous certaine ? demanda la première.

— Absolument, madame. Le commandeur de Jars que je viens de rencontrer sortant de l’antichambre m’a tout raconté. En revenant de la chasse Sa Majesté a fait appeler le Maréchal dans le Salon Ovale. Il s’est entretenu quelques instants avec lui, puis le laissant sur place il est sorti tandis que M. Du Hallier entrait avec un piquet de gardes. Il a emmené M. d’Ornano, l’a fait monter dans une voiture fermée et entourée de mousquetaires qui attendait dans la cour. Le malheureux est en route pour le donjon de Vincennes. Ses frères sont arrêtés aussi.

Un silence succéda au brouhaha. La Reine se laissa tomber sur un fauteuil, incapable d’articuler une parole. Mme de Chevreuse se reprit la première :

— Sait-on où est Monsieur ?

— Dans son appartement… mais gardé par les suisses !

— Ah !

Elle ne trouva rien d’autre à dire et resta là immobile au milieu du salon comme si la foudre venait de la frapper elle aussi. Ornano pris, Gaston mis sous surveillance, elle avait tout à redouter ! Les dames autour d’elle semblaient pétrifiées et le regard dilaté de la Reine révélait sa peur. Seule Louise de Conti réagit. Elle alla prendre sa belle-sœur par le bras :

— Avec la permission de Sa Majesté, vous devriez rentrer chez vous, Marie, et n’en bouger sous aucun prétexte !

— Pour y attendre tranquillement que l’on vienne me chercher et me conduire aussi à Vincennes ? Je préfère rester ici. J’espère que l’on n’oserait pas s’emparer de moi chez la Reine !

La voix de la Princesse baissa de plusieurs tons :

— Elle-même n’est pas en sûreté ! Faites ce que je vous dis ! Si l’on vous trouve chez elle, votre cas à toutes deux sera aggravé…

— Mais… et vous ?

— Moi je suis la cousine du Roi, je loge au château et c’est tant mieux car je pourrai vous envoyer un message si les choses tournent mal auquel cas…

— … il me faudra fuir ?

Louise acquiesça d’un mouvement des paupières puis ajouta très vite :

— Rentrez à pied, je vous renverrai votre voiture. Evitez la cour du Cheval Blanc ! Sortez par la porte du jardin de Diane. Je vais m’occuper de la Reine.

Un regard de Marie sur la souveraine lui montra qu’elle était hors d’état de l’aider : elle venait d’avoir un malaise et « Stefanille » lui tapait dans les mains tandis que Mme de Lannoy, visiblement enchantée, lui faisait respirer des sels. Marie ne lui en adressa pas moins une belle révérence avant de s’élancer au-dehors, s’enveloppant de la mante en léger taffetas à capuchon qu’elle mettait lorsqu’il faisait doux et que l’on risquait une ondée.

Hormis dans l’antichambre où elle compta plus de gardes qu’à l’arrivée, elle ne rencontra personne. La Cour devait se concentrer chez le Roi afin de ne rien perdre d’événements dont plus d’un aurait lieu de se réjouir. Cependant le cœur battait fort à Marie quand ses petits souliers de satin rouge touchèrent le sable de l’allée. Bien qu’elle eût envie de courir, elle se contraignit à une allure plus calme afin de ne pas attirer l’attention : les fenêtres du Roi donnaient aussi sur le jardin de Diane ! Par chance le temps se maintenait : elle se voyait mal barbotant en robe de cour dans les flaques d’eau. Ses minces chaussures ne s’en seraient pas remises, en admettant qu’elles existent encore lorsqu’elle arriverait chez elle !